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Instituer des alternatives en termes de production publique pour les technologies de santé

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L’auteur présente un ensemble d’arguments en faveur de la création d’un pôle public du médicament à l’occasion des développements récents de la pandémie de Covid 19. Il donne l’expérience des divers pays qui ont déjà réalisé de telles actions dans l’intérêt général dans le passé ou encore aujourd‘hui. Il vise à développer une production publique pour assurer une maîtrise sociale des marchés et une réponse aux besoins de la santé publique.

 Abstract :

The author presents a set of arguments in favor of the creation of a public drug pole on the occasion of recent developments in the Covid 19 pandemic. He gives the experience of the various countries which have already carried out such actions. in the general interest in the past or even today. It aims to develop public production to ensure social control of markets and a response to public health needs.

La pandémie de la covid 19 a suscité depuis le début de l’année 2020 une variété de propositions pour la production publique de vaccins, y compris les plus innovants comme les vaccins à ARNm, de médicaments ou encore de tests biologiques, pour augmenter l’autonomie des États pour faire face aux risques sanitaires, pour élargir les capacités de production (la production publique est ainsi mobilisée en Inde pour produire davantage de vaccins aux côtés du secteur privé), pour améliorer l’accessibilité des produits de santé, notamment en termes de prix. La création d’établissements publics de production pharmaceutique est également évoquée comme un outil privilégié pour relocaliser l’industrie ou pour créer une production locale.

Les projets de production publique, dès lors qu’ils visent la production de produits de santé accessibles pour les populations et économes pour les payeurs publics et sociaux, supposent une régulation spécifique de la propriété intellectuelle qui suspende ou annule les exclusivités de marché et les rentes de monopole. Dans ce cas, les droits de propriété existants doivent aménager la concession de licences non exclusives ou des dispositions de licence d’office pour produire à usage gouvernemental des médicaments essentiels. La discussion actuelle sur la suspension mondiale des brevets sur les vaccins devrait être associée à des projets de production publique à large échelle, qui permettraient de créer rapidement des capacités supplémentaires de production tout en annulant les rentes de monopoles prélevées sur des inventions très largement subventionnées.

La production publique, qui est organisée généralement à l’échelle des États-nation pour couvrir les besoins domestiques, ce qui tend à réduire les économies d’échelle possibles, peut aussi être organisée sous forme de consortiums à l’échelle régionale ou être assurée par des Établissements Publics Régionaux (des Établissements Publics Européens sont évoqués dans un rapport du Ministère de la Santé de 2019). Bien que les établissements publics aient vocation à satisfaire les besoins nationaux, ils sont aussi susceptibles d’exporter leur production à l’image du laboratoire brésilien Biomanguinhos qui commercialise son vaccin contre la fièvre jaune certifié par l’OMS dans 70 pays.

Dans la perspective que je défends, la production publique n’est pas réductible à une économie résiduelle qui pallie les défections du secteur privé qui abandonne la production de médicaments jugés insuffisamment rentables (par exemple des antibiotiques ou les médicaments contre des maladies négligées) ou encore qui se limite à remédier aux ruptures d’approvisionnement issues de la délocalisation des productions pharmaceutiques au cours des 30 dernières années. Elle recouvre également, et même principalement, une économie qui s’efforce de mieux coordonner les innovations thérapeutiques et les besoins de santé en réduisant l’emprise des marchés exclusifs, en contrôlant la formation des prix, en coordonnant les besoins prioritaires de santé à la production industrielle et clinique (la production hospitalière publique est très utile pour approvisionner l’hôpital public et aussi pour développer des innovations au contact direct des cliniciens). Je signale que ce qui a fait la réputation mondiale des laboratoires publics brésiliens au début des années 2000 (« Look at Brazil » titrait le New York Times en 2001), ce n’est pas la production de médicaments de base utilisant des techniques éprouvées, certes indispensables pour traiter les populations, et qu’il faut aussi produire localement comme on l’a vu à l’occasion des ruptures d’approvisionnement de molécules de base lors de la pandémie de covid 19, mais leur capacité à dupliquer les technologies les plus sophistiquées des médicaments antirétroviraux contre le VIH/sida et à les rendre accessibles à leur population sur la base d’un accès universel et gratuit. Il s’agit simultanément d’être en mesure de produire le paracétamol, les antibiotiques, les antiviraux à action directe contre l’Hépatite C et les vaccins à ARNm, pour garantir leur accessibilité en termes d’approvisionnement et de prix et pour œuvrer à une régulation plus efficace du marché dans son ensemble, intégrant des acteurs publics et privés. La notion de « pôle public », défendue depuis plusieurs années par le PCF, renvoie, à mon sens, à un secteur public suffisamment étendu et efficace pour réguler voire orienter le marché des produits de santé, en relation sinon en coopération avec un pôle privé et commercial, également avec un pôle associatif ou coopératif (voir l’initiative de l’Association Française contre les Myopathies pour produire des thérapies géniques et cellulaires à un « prix juste et maîtrisé »[1] ou le modèle coopératif suggéré récemment par les Mutuelles de France[2] ).

Une nouvelle tendance à la relance de la production publique des produits de santé ?

Je fais l’hypothèse d’une nouvelle tendance à la relance des productions publiques des produits de santé, visible dans le contexte de la pandémie de covid 19, également présente depuis les années 2010 pour pallier les ruptures d’approvisionnement de médicaments provoquées par la délocalisation des productions de principes actifs et de médicaments finals en Asie. À l’échelle mondiale, ce renouveau de la production publique intervint également au tournant des années 2000 pour produire des médicaments génériques contre le VIH/sida, particulièrement au Brésil. Cette tendance à la relance des laboratoires publics vient contredire et contrebalancer la tendance lourde à la privatisation des laboratoires publics de production de vaccins et de médicaments depuis les années 1980, par exemple des instituts publics de production de vaccins en Europe du Nord (Danemark en 1993, Pays-Bas en 2012), les laboratoires Connaught du Canada en 1988, également les laboratoires publics égyptiens naguère créés par Nasser tandis que les laboratoires publics brésiliens étaient délaissés par les investissements du gouvernement jusqu’au milieu des années 1990.

Si l’on se réfère à la pandémie de covid 19, on observe depuis le début de l’année 2020 une variété de propositions, d’expériences et d’investissements pour créer des productions publiques :

  1. a) les pénuries de matériels médicaux et les tensions sur l’approvisionnement de plusieurs médicaments de base ont motivé plusieurs appels pour promouvoir les productions publiques : en mai 2020, une coalition d’associations engagées dans des actions pour la transparence et la maîtrise des prix des médicaments ainsi que la CGT de Sanofi, la fondation Sidaction, etc. revendiquent la mise en place d’un pôle public du médicament, faisant notamment référence à un projet de loi déposé par la France Insoumise[3];
  2. b) en mars 2020, la CGT demande « la nationalisation de l’essentiel », entre autres de la firme Luxfer qui produit des bouteilles d’oxygène[4];
  3. c) la plateforme d’innovation et de production pharmaceutiques des Hôpitaux Civils de Lyon met en place dans l’urgence une production de curares pour pallier les ruptures d’approvisionnement[5];
  4. d) en janvier 2021, l’économiste de la santé Frédéric Bizard propose la création d’un consortium public/privé pour implanter « un hôtel de production et de recherche sur l’ARNm » capable de répondre dans l’immédiat à la demande mondiale de vaccins ARNm[6]. L’État français et l’Union Européenne seraient parties du projet qui associerait « un consortium d’industriels de la biotechnologie et de la pharmacie disposés à s’engager dans cette initiative ». L’auteur défend la production de vaccins considérés comme « des biens publics accessibles à tous les pays de la planète ». L’auteur constate quelques mois plus tard l’inertie du gouvernement pour monter une telle organisation. A mon sens, ce projet tout à fait heuristique se heurte aux positions de marché des détenteurs des technologies vaccinales, dont la valeur est fondée sur les monopoles de propriété intellectuelle, et qui n’entendent pas voir émerger une nouvelle institution de production dans le paysage des vaccins ARNm. Frédéric Bizard défend un modèle de biens publics pour les vaccins, mais critique la demande de suspension généralisée des brevets discutée à l’OMC. Il me semble qu’une telle suspension supprimerait justement les barrières à la mise en œuvre de son projet ;
  5. e) à l’échelle mondiale, les laboratoires publics de production du Brésil et de l’Inde ont étendu leurs capacités de production pour implanter des productions de vaccins, grâce à des transferts de technologie du vaccin chinois Sinovac et du vaccin Oxford-AZ au Brésil, et à la production par un laboratoire public indien du vaccin indien développé par la société privée Barhat Biotech, grâce à un transfert de technologie entre le privé et le public ;
  6. f) le rapport de la commission indépendante missionnée par l’OMS consacré à l’augmentation des capacités de production publié en mai dernier recommande que les firmes qui ont bénéficié des financements publics soient invitées sinon requises à partager leur savoir faire avec d’autres entreprises pharmaceutiques, « y compris les installations de production du gouvernement »[7].

Avant la pandémie de covid 19, plusieurs propositions ont envisagé l’utilisation et l’expansion de laboratoires pharmaceutiques publics, y compris en France. La production publique étant un des moyens envisagés pour faire face aux ruptures d’approvisionnement et pour relocaliser la production de médicaments essentiels ou stratégiques. Un rapport du Sénat publié en septembre 2018 préconise la mise en place d’un « programme public de production et de distribution de quelques médicaments essentiels exposés à des arrêts de commercialisation ou des ruptures d’approvisionnement »[8]. Des pistes de travail du gouvernement publiées en juillet 2019 évoquaient également la mise en place « d’établissements pharmaceutiques publics européens capables de produire certains médicaments » (Action 22)[9]. La mission stratégique visant à réduire les pénuries de médicaments essentiels confiée à J. Biot est restée très prudente sur le recours à un modèle public/privé, dès lors que le laboratoire de production de l’APHP a réduit ses productions internes au bénéfice de la sous-traitance[10]. Elle évoque furtivement la production de certains principes actifs, par exemple des antibiotiques, via un tel modèle, et fait part de son intérêt pour le laboratoire de production de médicaments génériques Civica monté par une association à but non lucratif regroupant 1000 hôpitaux aux États-Unis.

La variété et les potentialités des expériences passées et présentes de production publique

Je reviens ici succinctement sur des expériences de production publique dans les industries de santé, à la fois sur leurs justifications et leurs impacts. Davantage que pour les médicaments, la production publique des vaccins a joué un rôle important depuis l’invention même des premiers vaccins. Le sociologue S. Blume nous rappelle la création des premiers laboratoires municipaux de vaccins aux États-Unis à la fin du 19ème siècle, avant que le secteur privé ne mène campagne pour capturer le marché[11]. La production publique aura une longévité beaucoup plus longue au Canada, où les laboratoires Connaught créé en 1914 par l’État de l’Ontario dans les murs de l’Université Publique de Toronto fourniront des vaccins et des médicaments à bon marché (l’insuline, découverte à l’Université de Toronto en 1922) jusqu’à leur rachat par Pasteur-Mérieux en 1989[12]. Les laboratoires Connaught, créés pour produire localement les nouvelles technologies vaccinales et approvisionner la politique de santé publique, associaient étroitement production et recherche. S. Blume a fait l’histoire de l’Institut public de production de vaccin des Pays-Bas depuis sa mise en place en 1919 pour suppléer une offre privée insuffisante[13]. Ce laboratoire public a connu une expansion de ses productions pour approvisionner les programmes vaccinaux du Ministère de la santé des années 1950 aux années 1980. Ses activités de R&D étaient orientées par les priorités de la politique de santé du gouvernement et il mit au point des combinaisons vaccinales originales. Les échanges de savoirs et de matériel biologique avec le secteur privé, notamment avec Mérieux, étaient alors assez libres. Il imagina une coopération avec des instituts publics de production de vaccins en Europe du nord pour partager des connaissances et bénéficier d’économies d’échelle. Un consortium des laboratoires publics de l’Europe du nord fut formé en 1990, mais les pressions pour la privatisation s’intensifièrent et aboutirent finalement en 2012 par son rachat par le Serum Institute of India. Entre temps, la propriété intellectuelle des vaccins s’était beaucoup renforcée et les échanges de savoirs s’étaient fermés.

Le second pôle public que je veux examiner est celui des laboratoires publics du Brésil pour la production de médicaments et de vaccins. Ce pôle public, affaibli dans les années 1980, a été relancé par le programme de copie des médicaments contre le VIH/sida décidé par le Ministère de la Santé du Brésil en 1996[14]. Pour dupliquer des molécules aussi sophistiquées, les laboratoires publics ont renforcé leurs capacités de recherche interne et développé des coopérations régulières avec des firmes privées qui produisaient les principes actifs des médicaments tandis que les laboratoires officiels étaient chargés de leur formulation. Cette économie mixte s’est structurée à partir de 2008 sous la forme de Partenariats de Développement de Produits, qui passent contrat avec le Ministère de la Santé pour produire sur place une liste de médicaments dits « stratégiques » qui répondent aux besoins de santé du pays et qui permettent aussi de réduire les importations de produits de santé. Une centaine de PDPs ont été créés depuis 2010, ce qui a permis de financer la modernisation des laboratoires publics, inégalement équipés, et des investissements de capacité des firmes privées. Ces PDPs produisent de manière privilégiée des nouvelles thérapies coûteuses dans le champ du VIH/sida, de l’hépatite C, du cancer, du diabète, etc. Ils produisent aussi des vaccins et tests biologiques. Ils sont à la fois des instruments pour introduire de nouvelles technologies, des moyens de réduire le déficit commercial, et des outils au service de la santé publique. Le poids économique des laboratoires publics de production vaccinale du Brésil est encore plus important que celui des laboratoires pharmaceutiques dès lors qu’ils assurent la totalité de la production domestique pour alimenter les programmes d’immunisation. Les deux grands laboratoires publics, Biomanguinhos, qui fait partie à la Fondation Oswaldo Cruz,  et l’Institut Butantan, ont établi dès 2020 deux accords de transfert de technologie pour produire sur place des vaccins covid : Biomanguinhos a contracté avec Astra Zenica, pour dans un premier temps recevoir la substance active d’AZ, formuler et embouteiller le vaccin, puis pour apprendre la technologie de production de la substance active ; l’Institut Butantan a passé un accord de transfert de technologie avec la société privé chinoise Sinovac pour produire CoronaVac. Simultanément, les laboratoires brésiliens financent plusieurs vaccins en développement et investissent dans de nouvelles plateformes de production, dont une plateforme ARN construite en coopération avec l’Université de Washington à Seattle et une nouvelle usine de grande capacité construite en coopération avec une biotech britannique, Emergex.

Le troisième exemple de production publique que je veux signaler a trait à la production hospitalière en France. Outre la plateforme de recherche et de production des Hôpitaux civils de Lyon citée plus haut, l’APHP dispose d’une unité de recherche et de production, l’AGEPS. L’APHP s’est dotée d’une usine de fabrication en 1963, à la fois pour pallier les lacunes de l’offre privée, pour industrialiser les innovations développées par les cliniciens et les pharmaciens de l’hôpital, également pour produire des médicaments moins chers que le secteur privé[15]. Pour certains médicaments, la production temporaire de l’Ethambutol contre la tuberculose en 1969-1970, de l’hormone de croissance jusqu’en 1988, de la méthadone, l’usine de l’APHP a joué un rôle national. Le nouveau statut des Établissements Pharmaceutiques des Établissements Publics de Santé a réduit la production aux « médicaments répondant à des besoins de santé publique qui ne sont pas déjà satisfaits par les médicaments disponibles en France ». Il n’est alors plus possible de faire pression sur les prix du secteur privé. L’APHP développe et produit désormais des médicaments orphelins contre les maladies rares ou prend en charge des productions arrêtées par le secteur privé. Le catalogue de l’APHP s’est fortement réduit depuis 1990 et depuis 2018 la production interne a été limitée par la politique de sous-traitance.

Il serait possible de relancer ce dispositif d’innovation et de production publiques, par exemple via la mise en réseau des pharmacies hospitalières françaises ou la création d’une usine plus importante, à l’image de Civica récemment créée aux États-Unis par l’association de plusieurs centaines d’hôpitaux.

Développer une production publique pour une maîtrise sociale des marchés et une réponse aux besoins de la santé publique

 Je pointe ici 4 aspects pour installer une production publique visant à assurer une maîtrise sociale de l’innovation et des marchés de médicaments et à répondre aux besoins de santé essentiels des populations à protéger.

Le premier point est stratégique : le pôle public des médicaments et des technologies médicales a vocation à développer et à produire une liste de médicaments essentiels ou stratégiques prioritaires pour répondre aux besoins de santé du pays. Je rappelle que les listes de médicaments essentiels ont été publiées régulièrement par l’OMS à partir de 1977 dans le but de rationaliser le marché pharmaceutique, selon des critères d’utilité et d’efficacité thérapeutique, et aussi selon des critères d’accessibilité économique. L’industrie pharmaceutique internationale ne s’y est pas trompée et les a vigoureusement combattues dès leur publication. Il faut souligner que la liste des médicaments essentiels de l’OMS comprend de nombreux médicaments hors brevet, à l’instar de la morphine et du paracétamol, et de nouvelles thérapies très onéreuses qui sont sous brevet. Il est crucial pour le pôle public du médicament de produire les médicaments et vaccins sous brevets, avec à la clef des économies substantielles pour les payeurs sociaux. Ceci suppose des mesures de suspension des brevets, de préférence automatique comme au Canada dans les années 1970, pour produire les médicaments de cette liste.

Le second point a trait à l’étendue de ce pôle public. La production des médicaments et vaccins d’une telle liste, qui couvre aussi bien le paracétamol que le sofosbuvir contre l’hépatite C ou les thérapies ciblées contre le cancer, suppose de réunir une variété de technologies et d’établissements susceptibles de les fabriquer, plus encore s’il s’agit d’en produire les substances actives. Si les pharmacies hospitalières mises en réseau et l’Établissement Français du Sang, renforcé, peuvent prendre en charge quelques produits, il est évident que la création d’un pôle public susceptible d’orienter le marché suppose la création de nouveaux Établissements Publics (par exemple pour les technologies ARNm) et nécessairement la nationalisation de certaines firmes privées. Si je me réfère au Brésil, alors que les laboratoires publics assurent la totalité de la production de vaccins, les laboratoires pharmaceutiques publics ne fournissent que 10% de la production nationale de médicaments génériques. Mais leur production se concentre sur une liste réduite de médicaments stratégiques pour lesquels ils orientent effectivement le marché via des Partenariats de Développement de Produits avec le secteur privé qui fixent les prix et organisent les transferts de technologie. Un projet de nationalisation proposé en 2020 en France discute assez précisément de la nationalisation des 3 usines françaises du groupe Ipsen pour y produire des médicaments génériques[16]. Toutefois, le projet cité limite la production publique aux molécules dont le brevet a déjà expiré, sans évoquer la production des nouvelles thérapies brevetées très coûteuses, qu’il importe justement de fabriquer dans des établissements publics via la suspension des droits exclusifs de brevet. Il paraît indispensable d’évaluer la nationalisation de Sanofi, pour relocaliser à la fois la recherche du groupe, qui diminue en France, et des productions de médicaments et de principes actifs.

Le 3ème point s’intéresse aux relations entre le secteur public de la recherche en santé, dont il faut accroître le financement public en France[17], et le pôle public du médicament. Je rappelle que la chimie du CNRS en France a fortement contribuée dans les années 1970 et 1980 à l’innovation thérapeutique dans le domaine du cancer, innovations qui furent transférées de manière exclusive à Rhône-Poulenc et à Pierre Fabre. La chimie du CNRS pourrait aujourd’hui être mise à contribution pour développer de nouvelles synthèses de médicament pour relocaliser des productions en France dans l’industrie publique et privée. La création d’un pôle public du médicament, qui intègre recherche de base, recherche clinique et production, serait susceptible d’éviter la capture des innovations thérapeutiques développée par la recherche publique et philanthropique, à l’image de la thérapie génique initialement développée par l’INSERM et le Généthon appropriée par Novartis qui l’a commercialisée en France pour un prix de 2 M d’euros le traitement[18] ! La recherche publique serait conduite à penser de nouvelles formes de gestion de sa propriété intellectuelle en adoptant le principe de licences non exclusives ou de licences open source pour supprimer les rentes de monopole.

Le 4ème point concerne une nouvelle maîtrise sociale de la formation des prix des médicaments. Les établissements d’un pôle public du médicament doivent viser, en relation avec la Sécurité Sociale, les Mutuelles de Santé, les associations de patients et les professionnels de santé, une maîtrise des prix ajustés aux coûts d’innovation et de production, à l’opposé de l’inflation des prix et des profits gonflés par des multiples prélèvements du capital industriel et financier qui déstabilisent gravement les couvertures santé. La gestion du pôle public viserait l’efficacité sociale des financements, mesurée en termes de médicaments essentiels développés et produits adéquats aux besoins sanitaires, d’économies réalisées par les payeurs publics et sociaux sur le prix des médicaments pour une qualité et une utilité thérapeutique équivalentes, d’égalité d’accès aux technologies de santé. La gestion transparente des prix pratiquée par le pôle public, sous la surveillance des patients, des assurés sociaux et du Parlement, s’opposerait à la « pharmocratie » étudiée par l’anthropologue Kaushik Sunder Rajan[19]

[1] YposKesi, 1er industriel pharmaceutique français dédié à la production de médicaments de thérapie génique et cellulaire pour les maladies rares, AFM, 3 novembre 2016.

[2] Mutuelles de France, Cahier de propositions, 21 juin 2021.

[3] https://blogs.mediapart.fr/edition/transparence-dans-les-politiques-du-medicament/article/290520/la-production

-publique-de-médicaments-doit-être-au-ce

[4] http://www.cgt63.fr/joomla3/ (http://www.cgt63.fr/joomla3/)

[5] https://www.chu-lyon.fr/fripharm

[6] https://www.fredericbizard.com/pour-un-airbus-de-larn-messager-en-france/

[7] Scaling Up Production Capacity : Legal Challenges and Recommendations, Ellen T’Hoen, Christpher Garrison, Pascale Boulet, Kaitlin Mara, Katrina Perehudoff, The Independent Panel, may 2021, 15 p.

[8] Rapport d’information n° 537 sur la pénurie de médicaments et de vaccins, Y Daudigny, président, JP Decool, rapporteur, Sénat, 27 septembre 2018, 297 p.

[9] Lutter contre les pénuries et améliorer la disponibilité des médicaments en France, Feuille de route 2019-2022, Juillet 2019, Ministère des Solidarités et de la Santé, juillet 2019.

[10] Rapport au premier ministre visant à réduire les pénuries de médicaments essentiels, J Biot, Amine Benhabib, Y Ploquin, 72 p, juin 2020.

[11] Immunization. How vaccines became controversial, Stuart Blume, Reaktion Books Ltd, 2017, p 56.

[12] P. Malissard : « Les centres universitaires de production et de recherche en microbiologie au Canada ou savoir se rendre utile », Bulletin d’Histoire Politique, 1999.

[13] S. Blume : The erosion of public sector vaccine production: the case of the Netherlands,  in The politics of vaccination, Christine Holmberg, Stuart Blume and Paul Greenough, 2017, Manchester University Press.

[14] Cassier M., Correa M., 2003, « Patents, Innovation and Public Health : Brazilian Public-Sector Laboratories’experience in copying AIDS drugs », in Economics of AIDS and Access to HIV/AIDS Care in Developing Countries. Issues and Challenge, Ed. ANRS, p 89-107.

[15] A.M. Arborio : « La production hospitalière, en marge de l’industrie privée ou en appui ? » in Les travailleurs du médicament, édité par P Fournier, Editions ERES, 2014, p 77-99.

[16] https://hemispheregauche.fr/nouvelle-politique-publique-medicament

[17] Margareth Kyle, Anne Perrot : “Innovation pharmaceutique : comment combler le retard français », Note du Conseil d’Analyse Economique, n° 62 janvier 2021.

[18] « À quel prix le Zolgensma®, le médicament le plus cher du monde, sera-t-il vendu en France? » JY Nau, 1er juillet 2019.

[19] Sunder Rajan K, 2017, Pharmocracy. Value, Politics, and Knowledge in Global Biomedicine, Duke University Press.

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Maurice Cassier, «Instituer des alternatives en termes de production publique pour les technologies de santé», Les Cahiers de santé publique et de protection sociale, N° 38, Septembre 2021.