En Afrique, plus d’un an après le début de la pandémie à COVID-19, la catastrophe épidémique prévue n’est pas advenue. Par contre, les conséquences socioéconomiques et politiques sont désastreuses. La croissance économique est en berne, les recettes fiscales se sont effondrées pendant que le stock de la dette s’envole et le chômage s’étend. La crise des économies populaires a entrainé des millions de personnes dans la pauvreté. Sur le plan politique, la lutte contre la pandémie a été le prétexte au renforcement de l’autoritarisme pour de nombreux régimes.
Abstract :
In Africa, more than a year after the start of the COVID-19 pandemic, the predicted epidemic disaster has not occurred. However, the socio-economic and political consequences are disastrous. Economic growth is at half mast, tax revenues have collapsed while the stock of debt is soaring and unemployment is increasing. The crisis in the people’s economies has driven millions of people into poverty. Politically, the fight against the pandemic has been a pretext for increased authoritarianism in many regimes.
Plus d’un an après le début de la pandémie de COVID-19, la catastrophe épidémique que les cassandres prédisaient à l’Afrique n’est pas advenue. Au 25 avril 2021, le Centre de contrôle des maladies de l’Union africaine (Africa CDC) a dénombré 4 506 054 cas confirmés de SRAS-Cov 2. À la même date, la pandémie de COVID-19 avait entrainé la mort de 120 145 personnes sur le continent. L’Afrique du Sud et l’Égypte sont les pays les plus touchés. Comparée à celles de l’Europe, de l’Amérique, ou certaines parties de l’Asie la situation épidémiologique de l’Afrique est moins dramatique en matière de morbidité et de mortalité. Mais il faut noter que la pandémie fait de plus en plus de victimes. Entre juin de 2020 et avril 2021, les nombres de cas et de personnes décédées du fait de la maladie ont été multipliés par dix ! Le temps permettra aux chercheurs d’élucider les raisons de cette moindre vulnérabilité à un virus qui a ébranlé les grandes puissances du monde et des systèmes de santé réputés efficients. En attendant que la science résolve la question, de nombreuses explications sont avancées : démographiques (jeunesse de la population), météorologiques et climatiques (chaleur, humidité, etc.), virologique (c’est un virus à enveloppe, donc supposé fragile sous les tropiques), de santé publique (mise en place précoce du dépistage, distanciation sociale, etc.) et économique (faiblesse des échanges sino-africains), etc. Ces explications de bon sens relèvent pour le moment d’extrapolations. Il manque des données empiriques pour les confirmer ou les infirmer. La question qui revient inlassablement est de savoir si les systèmes de santé africains pourront faire face si l’expression épidémiologique de la pandémie à COVID-19 venait à changer négativement. Sans entrer dans des généralisations abusives, il est légitime de craindre que les difficultés que les pays touchés par l’épidémie à virus Ebola qui a dévasté trois pays de l’Afrique de l’Ouest en 2014-2015 se reproduiront dans de nombreux pays du continent en cas dissémination du SRAS-Cov2.
Des conséquences socio-économiques dramatiques
Si la catastrophe épidémique n’a pas touché le continent, ses conséquences économiques sont bien présentes. Selon les estimations de la Banque mondiale[1], l’activité économique s’est contractée de 2,0 % en 2020. La pandémie a plongé la région dans sa première récession depuis plus de 25 ans. La pauvreté, mesurée par le seuil international de pauvreté, a augmenté en 2020 pour la première fois depuis 1998. On compte 26 à 40 millions de personnes pauvres supplémentaires. La Banque mondiale rapporte que « les femmes et les jeunes ont souffert de façon disproportionnée du manque d’opportunités et d’un accès inégal aux filets sociaux de sécurité. »
Des millions d’emplois ont été détruits dans le secteur informel qui occupe plus de 80 % des actifs dans la majorité des pays. La Commission économique pour l’Afrique (CEA) a calculé qu’un confinement total d’un mois sur l’ensemble du territoire africain a coûté environ 2,5 % de PIB annuel, soit environ 65,7 milliards de dollars américains[2]. Ce montant ne tient pas compte des conséquences de la COVID-19 telles que la baisse des prix des matières premières et des flux d’investissement. Face aux difficultés induites par la pandémie, les ministres des Finances et les banques centrales du G20 ont décidé le 15 avril 2020 de suspendre le remboursement de la dette de 76 pays à travers le monde, dont 40 en Afrique. Ainsi, les paiements qui devaient s’opérer en 2020 sont reportés à 2022 et échelonnés sur trois ans, c’est-à-dire jusqu’en 2025. Un geste qui libère 20 milliards de dollars de liquidités. Ce moratoire concerne une partie seulement de la dette publique — 20 milliards sur les 32 que ces pays doivent rembourser tous les ans, aussi bien à des États qu’à des institutions internationales. La pandémie à COVID-19 a rendu insoutenable pour les pays africains le fardeau de cette dette et donné une preuve supplémentaire des inégalités mondiales des termes de l’échange, les bases de productions et d’exportations trop étroites, la vulnérabilité aux chocs exogènes (y compris aux fluctuations des flux de capitaux) des pays africains.
La pandémie a entrainé de nombreux mouvements d’humeur du fait des restrictions qui ont mis à rude épreuve la résilience des classes populaires. Au cours de la première semaine du mois de mars 2021, le Sénégal a connu de violentes émeutes (14 morts, plus de 600 blessés, plusieurs dizaines de bâtiments publics, des commerces vandalisés et pillés). Si la cause immédiate de ces émeutes est l’arrestation du principal opposant, la majorité des observateurs s’accorde sur le fait que les contextes socioéconomiques et politiques liés à la pandémie y ont également un rôle.
Une pandémie très politique
Un profit : l’autoritarisme
À de rares exceptions près, les autorités des pays africains, notamment celles des pays francophones ont été extrêmement réactives dès que la pandémie a été déclarée en Europe. Le concept français « d’état d’urgence sanitaire », notamment les deux premiers termes qui le composent, a eu beaucoup de succès auprès de nombreux gouvernants. L’adoption du confinement, du couvre-feu et des mesures barrières visant à contenir la propagation du virus a été le prétexte à un tour de vis autoritaire. En Côte d’Ivoire, le président Alassane Ouattara en même temps qu’il libérait des prisonniers de droit commun pour désengorger les lieux de détention recherchait avec zèle le moindre prétexte pour y envoyer les dirigeants des partis d’opposition. Au Sénégal, le président Macky Sall qui constitutionnellement a de très larges pouvoirs a fait adopter une loi d’habilitation qui a mis en congé l’Assemblée nationale. Il s’est donné les pleins pouvoirs qu’il a de fait puisqu’au parlement les membres de la majorité disent qu’ils « sont des députés du président de la République ». En Guinée, le président Alpha Condé a d’abord fait comme si la maladie n’existait pas. Le temps de faire adopter par référendum une nouvelle constitution lui permettant de briguer un troisième mandat, la lutte contre la pandémie devint une priorité nationale. Au nom des impératifs de santé publique, les manifestations de protestations de l’opposition étaient interdites et réprimées.
Tout le pouvoir aux Indignés des réseaux sociaux !
En Afrique où la transition épidémiologique est balbutiante, la pandémie de COVID-19 a été l’occasion d’une remise en cause virulente notamment sur les réseaux sociaux de la vaccination. Tout est parti d’un débat entre deux scientifiques sur le plateau de la chaîne française LCI, le 2 avril 2020. Les deux chercheurs dont l’un décide d’être « provocateur » imaginent mener des essais cliniques peu soucieux des principes éthiques en Afrique en utilisant le vaccin du BCG contre la COVID-19. Les termes employés, les références aux travaux menés contre le sida « sur des prostitués », soulèvent un tollé en Afrique. Cet épisode a fait découvrir d’insoupçonnées véritables « ligues anti-vaccins ». Diverses initiatives ont été lancées sur internet. Sur le site spécialisé Change.org, une pétition demandant « l’interdiction de faire des tests du vaccin contre le coronavirus en Afrique » a recueilli plus de 130 000 signatures. Dans le propos introductif de la pétition, il est écrit « les Africains ne sont ni des cobayes ni des singes de laboratoires. »
Le lendemain de ce débat qu’il n’a sans doute pas regardé, le Professeur Jean-Jacques Muyembe annonçait fièrement que son pays, la République démocratique du Congo, était choisi pour les futurs essais cliniques d’un candidat vaccin contre la COVID-19. Aussitôt diffusée cette déclaration a suscité de vives protestations chez des « internautes » et quelques heures après son annonce, Jean-Jacques Muyembe reculait piteusement pour dire que sa déclaration a été mal comprise et tronquée et annonçait que… la RDC attendrait que le vaccin soit testé ailleurs (Chine et États-Unis) et mis au point avant que les Congolais en bénéficient. Le professeur Muyembe est un virologue qui a une longue expérience de la santé publique. Il est reconnu mondialement et a mené et participé à plusieurs recherches biomédicales. Il pilotait encore la riposte à la dixième épidémie d’Ebola à l’est de la RDC, quand il a été choisi le 10 mars 2020 pour diriger la lutte contre la COVID-19. Il est codécouvreur du virus Ebola, avec le docteur Peter Piot et le docteur Ngoï-Mushola à qui l’on doit la première description clinique de la maladie de la fièvre hémorragique à virus Ebola.
Conclusion
En Afrique, la pandémie à COVID-19 sans prendre des proportions dramatiques du point de vue épidémiologique n’en demeure pas moins inquiétante. La vague du dernier trimestre de 2020 et du début de cette année a montré que la vigilance s’impose. Les conséquences socioéconomiques des mesures qu’impose la lutte contre le virus nécessitent une plus grande solidarité envers des pays dont les ressources proviennent d’une économie mondiale en pleine dépression.