La pandémie Covid 19 a mis en évidence la crise de l’industrie pharmaceutique qui répond plus aux besoins du capital que des malades. L’auteur fait la proposition de création d’un pôle public du médicament chargé de conduire des recherches fondamentales et appliquées en matière de médicaments et de vaccins, de les produire ou de les faire produire et de les diffuser. Cette structure appuyée sur un financement public, capable à terme de s’autofinancer à terme par le résultat de ses recherches aura un fonctionnement démocratique et s’inscrira dans le cadre d’une réindustrialisation de la France.
Abstract:
The Covid 19 pandemic has highlighted the crisis in the pharmaceutical industry, which responds more to the needs of capital than of patients. The authors propose the creation of a public drug center responsible for conducting fundamental and applied research in the field of drugs and vaccines, producing them or having them produced and disseminating them. This structure, supported by public funding, capable of ultimately self-financing through the results of its research, will operate democratically and will be part of the France’s re-industrialization.
La pandémie de la Covid a rendu encore plus criante la dépendance de l’État aux industriels du médicament. Les exemples n’ont cessé de se multiplier depuis le début de la crise :
- Des pénuries de médicaments ont affecté les hôpitaux français et menacent de sévir à nouveau en cas de nouvelle vague. Ces ruptures ne sont pas nouvelles, le phénomène est en constante augmentation. Les pouvoirs publics en ont recensé 44 en 2008, 1200 en 2019 et 2400 en 2020. Nous dépendons à 80 % de puissances étrangères pour l’acquisition des matières premières ou des produits finis. La privatisation de la production, sa délocalisation pour maximiser les profits, en sont la cause principale.
- Comme les autres multinationales pharmaceutiques, Sanofi reçoit des aides publiques conséquentes sans pour autant faire preuve de transparence sur les aides reçues dans le développement de produits, ni sans que des conditionnalités lui soient opposées. La suppression d’emplois ces dernières années notamment dans la recherche, n’ont pas été sans répercussions sur son incapacité à fournir un vaccin en temps et en heure.
Des groupes politiques ont déposé à l’Assemblée nationale comme au Sénat des projets de loi demandant la création d’un « pôle public du médicament », et cette exigence monte tant dans la population que dans toute la gauche, voire au-delà. Une campagne d’Initiative Citoyenne Européenne est en cours pour faire des vaccins un « Bien commun de l’Humanité » prolongeant ces propositions au niveau européen. Elle rassemble à ce jour plus de 150 000 signatures sur le site https://noprofitonpandemic.eu
Pourquoi disons-nous qu’il est urgent de mettre en place un pôle public du médicament?
Si la santé est un bien universel, le médicament fait partie intégrante de l’offre de soins. Avec le Pôle public du médicament, nous nous intéresserons à l’ensemble du processus conduisant de la recherche à la mise à disposition des médicaments et vaccins aux malades. C’est pourquoi, comme pour tout ce qui concerne la santé, nous faisons de la sortie du médicament du marché, un de nos principaux objectifs.
Les négociations sur un accord-cadre concluent en 2016, entre le CEPS (Comité économique des produits de santé) et les représentants des entreprises du médicament n’ont en rien entamé le niveau de rentabilité injustifié des dividendes acquis par les actionnaires des multinationales de la pharmacie. Nous sommes loin d’une « (re)conciliation » entre le besoin de régulation médicamenteuse, de maîtrise budgétaire et les enjeux de l’innovation pharmaceutique. Les multinationales à qui l’on a fait cadeau d’un Crédit Impôt Recherche (CIR), censé favoriser l’emploi scientifique et l’investissement dans la recherche, l’ont en réalité massivement utilisé à d’autres objectifs. Le CIR de la SANOFI a plus que doublé entre 2008 (70 millions €) et 2015 (150,7 millions €), et dans le même temps ce sont plus de 5000 emplois qui ont été supprimés. Des sites de recherche ont été fermés ou vendus, des axes thérapeutiques abandonnés (cardio-vasculaire, antibiotiques, maladie d’Alzheimer, …), des équipes de chercheurs démantelées et plus de 70 projets de recherche arrêtés. Le Directeur de Sanofi en France a déclaré lors de son audition fin février 2021 devant la commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale : « Au Centre Gustave Roussy : énormément de potentiel. On peut faire de la recherche translationnelle de bon niveau. Sanofi ne fera néanmoins pas de cluster avec l’IGR si la puissance publique ne met pas 300 ou 400 millions ». Pourtant l’argent ne manque pas ; avec 12,3 milliards de « résultat net consolidé » Sanofi progresse de 338% sur 2019 (2,8 milliards), devenant 1er au classement du CAC 40. Ces dernières années, l’industrie pharmaceutique est devenue l’un des secteurs boursiers qui réalise les bénéfices les plus importants. Il devance notamment le très lucratif secteur du pétrole ou celui du luxe. Les marges de bénéfice de l’industrie pharmaceutique oscillent entre 10% et 43%. En fait, l’industrie pharmaceutique profitant du quasi-monopole qui est le sien grâce aux brevets, a obtenu de fixer son prix non au regard des coûts, mais du prix de la vie sauvée. La France ne peut plus laisser les laboratoires pratiquer de telles marges.
Nous contestons les prix astronomiques des médicaments qui nous renvoient à plusieurs constats :
- un modèle économique fondé sur la propriété exclusive des inventions pharmaceutiques qui permet de récupérer une rente d’innovation à partir d’une situation de monopole juridique et industriel.
- des critères de rentabilité économique et financière très élevés qui poussent les firmes pharmaceutiques à renforcer les normes de propriété intellectuelle, en les étendant à l’échelle de la planète, y compris dans les pays en voie de développement et dans les pays les moins développés.
- une situation de crise de l’innovation, complexe, qui fait que la productivité de la R&D a tendu à stagner sinon à décroître globalement dans le secteur pharmaceutique.
- une recherche clinique sous domination écrasante de l’industrie : ce n’est pas à l’industrie de payer les professeurs hospitaliers, de subventionner les associations de patients, de s’occuper de la formation des internes et de l’information médicale mais à l’État. L’indépendance de la recherche nécessite des fonds publics.
Comme le note le CCNE (Comité Consultatif National d’Éthique) dans son Avis 135 publié le 30/11/2020 et signalé dans les Cahiers de Santé Publique et de Protection Sociale N°36: c’est “le prix exorbitant de ces thérapies innovantes qui pose clairement la question de l’accès à tous les patients qui pourraient en avoir besoin“, il y a là “l’enjeu éthique posé par l’accès.. aux thérapies innovantes“. Plus loin le CCNE dénonce aussi “l’utilisation par l’industrie pharmaceutique des résultats de la recherche publique et universitaire“. Enfin le CCNE déplore le manque de volonté politique pour assurer la transparence sur les “contributions publiques à la recherche et au développement“. Par ailleurs, par sa décision N° 2019-795 DC, le Conseil Constitutionnel a invalidé l’amendement parlementaire (au PLFSS 2020) qui obligeait les firmes pharmaceutiques à rendre public “le montant des investissements publics de recherche & développement dont elles ont bénéficié“. Une suppression qui selon le CCNE « favorise l’opacité du système » et l’amène à conclure par la recommandation de “Créer un pôle public du médicament à but non lucratif“.
Cette question du prix du médicament renvoie plus largement à celle de sa recherche, sa production, sa distribution aujourd’hui entre les mains du privé. Cette situation ne peut plus durer.
Cela pose la question de :
- La transparence dans ce domaine et en particulier la fixation du prix des médicaments,
- L’obtention d’une véritable démocratie sanitaire,
- L’affirmation du besoin d’une production nationale publique,
- Et du financement d’une autre politique du médicament.
Il est urgent de retrouver une maîtrise publique dans la politique du médicament et de socialiser tout ou partie des firmes de la Big-Pharma, afin de créer un pôle public industriel. Depuis des décennies, nous préconisons l’urgence d’une politique alternative de santé ; cela passe par l’impérieuse nécessité pour la société, les citoyens et les professionnels de se réapproprier cette chaîne de la santé. C’est le sens que nous donnons à notre proposition de mettre en place un Pôle public du médicament en France, en Europe et dans le Monde.
Nous en avons les instruments scientifiques (les chercheurs du public et du privé peuvent développer les technologies) ; les outils réglementaires pour contrôler ces médicaments ; la capacité industrielle pour les produire ; et pour définir et construire un autre modèle d’industrie pharmaceutique en réduisant les exigences de rentabilité, immédiatement. Il coupler recherche publique, industrie pharmaceutique, Sécurité sociale et usagers du médicament.
Nous en avons également les instruments juridiques. La France pourrait faire baisser drastiquement le prix de ces médicaments en recourant à la licence d’office comme le prévoit l’article L613-16 du code de la Santé publique qui dit que « si l’intérêt de la santé publique l’exige et à défaut d’accord amiable avec le titulaire du brevet, le ministre chargé de la propriété́ industrielle peut, sur la demande du ministre chargé de la santé publique, soumettre par arrêté́ au régime de la licence d’office […] tout brevet délivré́ pour :
- Un médicament, un dispositif médical, un dispositif médical de diagnostic in vitro, un produit thérapeutique annexe ;
- Leur procédé́ d’obtention, un produit nécessaire à leur obtention ou un procédé́ de fabrication d’un tel produit ;
- Une méthode de diagnostic ex vivo.
Lorsque la licence a pour but de remédier à une pratique déclarée anticoncurrentielle ou en cas d’urgence, le ministre chargé de la propriété́ industrielle n’est pas tenu de rechercher un accord amiable ».
À cela s’ajoutent les mesures dérogatoires prises en cas d’urgence sanitaire, telle la loi du 23 mars 2020, qui instaure l’état d’urgence sanitaire en réaction à l’épidémie de covid-19. Cette loi a permis d’insérer un article L. 3131-15 au code de la santé publique qui prévoit que le Premier ministre peut, dans les circonscriptions territoriales où l’état d’urgence sanitaire est déclaré́ et aux seules fins de garantir la santé publique, ordonner la réquisition de tout bien nécessaire, prendre toutes mesures temporaires de contrôle des prix, la mise à la disposition des patients de médicaments appropriés comme décider toute mesure règlementaire limitant la liberté́ d’entreprendre.
Mais comme le souligne l’Observatoire de la transparence dans les politiques du médicament, si les pénuries constatées durant cette pandémie notamment en matière de vaccins sont notoires, « le Gouvernement n’a pas voulu utiliser le cadre légal qu’il s’était donné ». De même, ce principe de transparence que Marisol Touraine avait tenté de réformer, aurait nécessité, comme nous le demandions, d’améliorer les synergies entre les trois instances principales qui contrôlent l’utilisation des médicaments en France : la Commission d’autorisation de mise sur le marché (AMM), qui donne son feu vert à la commercialisation d’un produit lorsque celle-ci n’a pas été décidée au niveau de l’EMA, l’Agence européenne des médicaments ; la Commission de pharmacovigilance, qui surveille les risques d’un produit commercialisé ; et la Commission de transparence, qui évalue le service rendu par un produit (SMR) et le progrès qu’il apporte ; les avis de la Commission de transparence jouent un rôle crucial dans la fixation du prix des médicaments. Ces trois instances sont censées agir en synergie pour garantir que seuls les bons produits soient commercialisés et que ceux qui ont des effets indésirables graves soient rapidement retirés du marché. En réalité, elles peuvent très bien s’ignorer mutuellement. Elles ne dépendent même pas toutes les trois d’une administration unique.
Il faut mettre un terme à cette situation, et opposer la force publique aux industriels.
La santé est un bien universel : l’ensemble du processus conduisant de la recherche à la mise à disposition des médicaments et vaccins aux malades doit répondre à cet objectif. Cela est aussi vrai pour ce qui concerne les médicaments dérivés du sang (MDS) qui jouent un rôle essentiel dans le traitement de pathologies lourdes : ils font partie de la politique du médicament que nous défendons. Dans ce contexte, le LFB (Laboratoire français du fractionnement et des biotechnologies), avec son savoir-faire et ses moyens de recherche aura naturellement sa place dans ce pôle public du médicament.
C’est pourquoi, nous proposons de faire grandir une autre industrie pharmaceutique couplée à des normes d’accès universel et de maîtrise des dépenses de médicaments par la Sécurité sociale, qui, jusqu’à aujourd’hui, paye sans sourciller la rente d’innovation exigée. Il s’agirait simultanément de construire d’autres partenariats avec le système public de recherche pour développer de nouvelles recherches, dans le secteur public et dans le secteur privé répondant aux besoins de santé, grâce à l’intervention citoyenne et syndicale, à la vigilance des assurances sociales, des mutuelles et des associations de patients. Nous voulons impulser une recherche fondamentale non orientée et en parallèle travailler à une vraie collaboration à partir des découvertes scientifiques permettant de développer médicaments et vaccins.
Il faut sauver l’industrie pharmaceutique française.
Il faut mettre un terme aux restructurations qui, comme récemment chez SANOFI, vont à l’encontre des intérêts industriels, scientifiques et sanitaires et des emplois dans notre pays. L’industrie pharmaceutique est une industrie stratégique, dans un domaine sensible, la santé, inscrite dans les droits de tous. L’État, garant de la santé publique, doit permettre à notre pays de disposer dans ce domaine d’une recherche et d’une industrie pharmaceutique de qualité répondant aux besoins. Il doit s’opposer à toute maltraitance et toute destruction du patrimoine. C’est une industrie d’avenir à condition qu’elle ne soit pas dirigée par des financiers. Ils ont fait la preuve de leur dangerosité. Ce qui compromet l’avenir de notre industrie ce n’est pas le coût du travail, ce sont bien les exigences du capital. Permettre le maintien et le développement de ce potentiel indispensable pour la santé publique, pour l’emploi, nos régions, la nation, constitue un enjeu majeur et une responsabilité du gouvernement et de l’ensemble de la nation.
La nationalisation seule ne convainc presque personne. La méthode, testée avec Rhône-Poulenc en 1982, a surtout permis de nationaliser les pertes, et de privatiser les bénéfices : l’État s’est désengagé en 1993 après avoir redressé la barque ; l’entreprise deviendra Rhône-Poulenc-Rorer cinq ans plus tard pour fusionner avec Hoeschst-Marion-Roussel et finir avec Aventis. Mais si la nationalisation nous paraît inadaptée, la « socialisation » et « l’appropriation sociale » sont des pistes qui nous intéressent. Il ne s’agit pas de remplacer simplement des actionnaires privés par des actionnaires institutionnels ; cela ne marche pas. Pour que cela fonctionne, il faut faire se confronter les pouvoirs publics, les usagers, les professionnels de santé, les associations de malades et les salariés, au sein d’une gouvernance de l’entreprise.
Notre proposition de création d’un Pôle public du médicament reconnait à cette industrie sa finalité de service public pour l’en détacher de la sphère financière. Il faut donc en France, mais aussi en Europe et dans le monde un maillon de plus dans cette chaine solidaire, une entreprise publique et un contrôle du public.
Cela suppose d’établir la politique du médicament sur des bases nouvelles :
- Sur le plan éthique : une industrie qui ne spécule pas sur la misère du monde, mais qui s’attache à faire progresser la santé humaine. La propriété des brevets ne peut pas être opposée à la vie. L’intérêt de profit immédiat à l’espoir de prévenir et guérir. La financiarisation doit laisser la place à l’industrialisation et au développement.
- Sur le plan de la santé publique, les intérêts majeurs des populations doivent être pris en compte. Le médicament n’est pas une marchandise comme les autres. Alors même que des fonds publics alimentent les laboratoires pharmaceutiques, leurs prix sont fixés très en dessus des coûts de fabrication, en fonction du service rendu, excluant des populations ou faisant financer les profits par la protection sociale. Cela doit cesser.
- Sur le plan scientifique : une grande politique de recherche fondamentale doit être mise en œuvre pour alimenter ensuite une recherche appliquée.
- Sur le plan économique, l’emploi et la création de richesses à partager doivent être des objectifs majeurs. Une rationalisation et un contrôle de l’utilisation des fonds publics doivent être recherchés. Il faut exiger que la santé soit hors de portée de l’AGCS et de l’OMC.
Qu’est-ce alors que le pôle public du médicament?
Nos objectifs prennent en compte l’emploi, la réponse aux besoins humains, l’écologie, et non le taux de profit et l’accumulation du capital. Le pôle public du médicament pourrait être développé autour de différents piliers ; ceci en traitant la cohérence, les besoins, les prévisions, la planification, la recherche, la production.
Il doit reposer sur une entité de service public importante de type établissement public à caractère industriel et commercial (ou EPIC). Cet Epic est une personne morale de droit public ayant pour but la gestion d’une activité de service public de nature industrielle et commerciale. Il favorisera des coopérations entre le secteur hospitalier public existant et les entreprises privées dont Sanofi « socialisée ». Le pôle aura une capacité à investir en s’appuyant sur des investissements publics, mais aussi par des coopérations internationales avec d’autres pays d’Europe et des organismes publics internationaux concernés. Il doit pouvoir utiliser des outils spécifiques, comme les co-entreprises, les GIE, qui permettent une coopération par un accord sans dépense en capital. Les critères que nous proposons renvoient au développement des richesses réelles, au développement de l’emploi (en quantité et en qualité), aux économies de consommation de matière, aux économies de rejets polluants comme le CO2, voire les coopérations. Il passera des conventions de recherche avec, en France, les laboratoires de l’Université, de l’INSERM, du CNRS, du CEA ou de tout autre organisme compétent. Enfin il pourra initier ses propres laboratoires de recherche publics.
La gestion de cet organisme doit être démocratique pour que les objectifs initiaux de satisfaction des besoins humains soient durablement soutenus. Une place dans le gouvernement de l’institution doit être réservée aux malades, aux citoyens, mais aussi aux personnels, chercheuses et chercheurs, leurs représentants syndicaux et aux élus territoriaux comme parlementaires. C’est la rupture indispensable à opérer. Ce Pôle public du médicament serait placé sous la tutelle conjointe du ministre chargé des solidarités et de la santé et du ministre chargé de la recherche.
Les missions et moyens pour y aboutir seraient:
1) Une transparence démocratique : Le Conseil National du Médicament
Le Pôle public du médicament aura besoin de la création d’un nouveau lieu où démocratiquement, s’élaborerait la formulation des priorités en besoins de santé donc en besoins en médicaments pour les différents acteurs de la chaine du médicament ; où se prendraient les orientations et décisions en toute transparence ainsi que le contrôle de leur mise en œuvre et les arbitrages. Pour ce faire un « Conseil National du Médicament » serait mis en place, chargé de la coordination de la politique publique du médicament, de l’exercice de missions spécifiques déjà̀ assumées par divers organismes ainsi que la fabrication et la diffusion de médicaments essentiels. Il sera notamment composé de personnalités qualifiées comprenant aussi bien des représentants de l’État et de la Sécurité sociale, du Conseil national de la recherche scientifique, de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale, du Haut conseil de la santé publique, mais aussi des professionnels de la recherche, du développement, de la production et de la distribution et de leurs syndicats, des usagers et de leurs représentants, des élus des collectivités territoriales, des membres de l’Assemblée nationale et du Sénat, parmi lesquels des députés, des sénatrices et sénateurs issus des groupes d’opposition, le tout réparti en plusieurs collèges.
Ce Conseil National du Médicament devra pouvoir tout à la fois lancer des études, auditionner, regrouper des instances déjà existantes, mais surtout donner à l’État, à la Sécurité sociale, à la Nation des avis prescriptifs en amont et aval du médicament. Il devra rendre un rapport sur les diverses activités du pôle public du médicament qui sera présenté chaque année au ministre chargé des solidarités et de la santé et à celui chargé de la recherche. Ces derniers le présenteront avec les orientations annuelles gouvernementales en matière de politique de santé, aux deux chambres parlementaires.
Un tel Conseil National du Médicament aurait le souci de prendre tout à la fois en considération les intérêts des populations et de la Sécurité sociale tout en répondant aux nécessités médicales, en s’opposant aux conflits d’intérêts, et aurait autorité sur l’élaboration transparente de la qualité des médicaments et de leurs prix.
2) Sortir de la logique des brevets
La question de la mise en commun des savoirs et des productions est posée, les brevets sont une des réponses des industriels pour se protéger, mais aussi celles pour dominer les pays du tiers-monde ! Avec les achats fusion/acquisition, les ventes à la découpe des laboratoires, les brevets s’achètent et se vendent à la corbeille.
3) Promouvoir une recherche forte en France, parce que c’est l’assurance du maintien d’un tissu industriel fort dans notre pays et la possibilité de coopérations ambitieuses attractives. Le pôle public du médicament, c’est créer un contrepoids public réel aux multinationales, pour peser et contrôler toute la chaine, en recherche, développement, production, distribution et vente de médicaments. Avec le pôle public, nous voulons aussi que la France prenne toute sa place dans la seconde révolution thérapeutique, celle des biotechnologies, des thérapies géniques, de la thérapie cellulaire, des bio-marqueurs et des traitements personnalisés. Nous voulons favoriser la découverte de molécules ou de vaccins dans nos centres de recherche, sous l’impulsion d’une force publique.
Nous ne manquons pas de moyen public en matière de recherche, à condition d’utiliser la recherche publique en santé pour construire ce pôle public du médicament. Cela passe par la relance du financement des laboratoires publics, mais aussi par un infléchissement de leur politique de transfert de technologie vers des start-up ou des laboratoires industriels et de leur politique de propriété intellectuelle. Le pôle public du médicament sera propriétaire des brevets qu’il aura financés.
Nous devons affirmer que la recherche publique existe « encore » en France. Elle a besoin que soit créée des coopérations nécessaires au développement et au progrès social, plutôt que la mise en concurrence généralisée : l’INSERM (Institut national de la Santé et de la Recherche médicale), le CNRS (Comité national de la Rechercher scientifique), le CEA (Commissariat à l’Énergie atomique), l’Institut Pasteur, l’INRA (Institut National de la Recherche Agronomique), l’Institut de recherche pour le développement (IRD), nouvelle appellation de l’Orstom (Institut français de recherche scientifique pour le développement en coopération) , l’IFREMER (Institut français d’Exploitation de la Mer) sans oublier les hôpitaux publics, leurs services et compétences divers (pharmacie et recherche universitaires), mais aussi tous les établissements concourant aux médicaments dérivés du sang qui jouent un rôle essentiel dans le traitement de pathologies lourdes. Ils font partie de la politique du médicament que nous défendons.
Ce qui plombe les unités de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM), ceux du CNRS, et des unités de recherche des hôpitaux, c’est donc bien la carence de financement public. On les a rendus dépendants du privé, avec un affaiblissement voulu de la production industrielle pharmaceutique française qui fragilise l’ensemble du patrimoine thérapeutique français. Si les chercheuses et chercheurs bénéficient des apports de la recherche publique pour leur formation, pour utiliser le matériel public, pour tester leurs hypothèses et leurs protocoles, ils et elles sont encouragés à aller développer la production et la commercialisation des produits dans des start‑ups. Ces start-ups vont donc encaisser les bénéfices, et se vendre ensuite aux multinationales. Les risques en matière de recherche sont donc publics, socialisés, et les profits privatisés. Il est temps que soient réorientés les fonds consacrés au CIR dans leur totalité vers la recherche publique, les universités, les centres à but non lucratif, de même que le reste de l’argent public octroyé aux labos sous forme de niche fiscale, d’abattements de cotisations … L’argent public dépensé dans la recherche de médicaments doit profiter à la société. Avec le Pôle public du médicament, nous voulons redonner à l’industrie pharmaceutique, son rôle stratégique.
En cette période de pandémie et de dépendance en matière de vaccin, il nous faut aussi évoquer la question des laboratoires publics de production de vaccins pour lesquels il existe une riche histoire en France, mais aussi en Europe. Jugé historiquement moins rentable avec peu de brevets, ce secteur a été délaissé. On pourrait articuler les recherches de l’Institut Pasteur (fondation privée) à la branche vaccin du nouveau pôle public du médicament.
Assurer un Pôle industriel socialisé
Il nous faut un vrai contrôle du public et une autre gestion des fonds publics qui alimentent l’industrie pharmaceutique. L’État a su montrer par le passé qu’il était le seul capable de promouvoir des politiques industrielles de très longue portée : les investissements publics doivent être faits dans le secteur de la pharmacie et d’abord dans la recherche.
Plusieurs dispositifs étrangers, publics ou à but non lucratif, de production et de distribution de médicaments constituent des exemples prometteurs, tels que :
- Le pôle de production de médicaments essentiels de la fondation Oswaldo Cruz (Fiocruz) au Brésil,
- Le groupement sans but lucratif Civica Rx aux États-Unis,
- Les entreprises pharmaceutiques du secteur public sous autorité́ ministérielle en Inde,
- La production publique de médicaments essentiels dans le cadre du « Service sanitaire coordonné » en Suisse.
Ce pôle public pourrait être financé non seulement par l’État, mais aussi par des coopérations internationales avec d’autres pays d’Europe ou par des organismes publics internationaux. Il passerait des conventions de recherche avec les laboratoires de recherche publique ou tout autre organisme compétent ; des coopérations, avec le privé, seraient possibles. Enfin il pourrait initier ses propres laboratoires. Dans une première étape, nous pourrions produire des médicaments essentiels ou stratégiques. Ainsi, il ne s’agirait pas de tout produire, mais des médicaments innovants pour en réduire le prix ou des médicaments déjà dans le domaine public que l’on peut produire librement, mais qui sont décisifs à produire dans le pays pour éviter tout problème d’approvisionnement et aussi pour maîtriser la technologie et les prix. Nous considérons qu’il existe un enjeu spécifique à disposer d’une filière publique de production de principes actifs, avec de nouvelles technologies de synthèse développées par la recherche publique en France.
Enfin, lier hôpital, pharmacie hospitalière et industrie pharmaceutique est nécessaire. L’hôpital public en France joue un rôle très particulier dans ce contexte. Il est le lieu où se fait la recherche clinique indispensable à la vérification de l’efficacité et de la sécurité des produits. Il joue à ce titre un rôle essentiel dans le développement des médicaments. Mais il est aussi le lieu où les médicaments sont dispensés. Il est donc prescripteur et consommateur. Il est à noter que les pharmacies des hôpitaux ont déjà l’expertise pour fabriquer des médicaments. Ainsi la pharmacie centrale de l’AP/HP à Paris a fabriqué la méthadone que l’industrie n’était pas intéressée à produire. La fabrication de médicaments est une des missions de cette pharmacie centrale des hôpitaux de Paris dont le statut est celui d’une « Agence générale des approvisionnements médicaux ». Son statut, assez limité, mériterait d’être revu même s’il constitue un point d’ancrage solide pour le développement de ce pôle pharmaceutique que nous appelons de nos vœux. Une des deux grandes missions de la Pharmacie Centrale est de vendre aux hôpitaux des médicaments non présents dans le commerce. Mais pour obtenir une préparation, elle peut fabriquer des formes particulières adaptées à la prescription hospitalière. La pharmacie centrale fabrique et contrôle, à destination des hôpitaux français et parfois étrangers (intégrés ou non à l’AP) uniquement les médicaments non disponibles sur le marché. Lorsqu’il s’agit de structures autres – un temps l’AP a fourni des ONG – l’agence confie la fabrication du produit à un exploitant. La loi de 1996 interdit en effet à la Pharmacie centrale de fabriquer des préparations hospitalières copiant des spécialités existant sur le marché, alors que l’inverse est possible. Les laboratoires privés ont le droit de venir piocher dans son portefeuille. Lorsqu’il s’agit de médicaments (orphelins ou non) non réservés à des malades hospitalisés, la Pharmacie Centrale demande en général des AMM (autorisation de mise sur le marché) pour se protéger et confie l’exploitation à des établissements extérieurs.
Une politique de coopération internationale:
Ce Pôle public du médicament ne saurait être que français, il faut qu’il ait aussi une dimension publique européenne, dans une nouvelle politique mondiale à ouvrir. Politique basée sur la coopération plutôt que la concurrence. Politique basée sur la satisfaction des besoins des populations et non des actionnaires.
Nous proposons de changer les missions de l’Agence européenne des médicaments (EMA), une grande organisation, avec un budget de 330 millions d’euros et un effectif d’environ 900 personnes, en Pôle public européen du médicament. Elle a déjà pour mandat de fonctionner de manière indépendante, ouverte et transparente, en appliquant des critères stricts dans ses évaluations scientifiques. Chargée aujourd’hui de prendre les décisions guidant l’utilisation des médicaments pour une population de plus de 500 millions de personnes, elle pourrait être redimensionnée dans une démarche plus large, incluant recherche et production. Ainsi, la mise en place d’un Pôle public du médicament en France et, comme nous le souhaitant, dans chacun des pays de l’Union européenne doit s’accompagner d’une démarche semblable au plan européen (l’agence européenne du médicament devant permettre une utilisation publique des brevets) comme mondial. Ceci en faisant évoluer l’OMS vers un organisme régulateur en matière de brevets indispensables à la survie des populations (médicaments du SIDA, Grippe aviaire, etc..) et devenir propriétaire de ces brevets qui seraient alors classés patrimoines de l’humanité. Il s’agit de détacher le médicament de la sphère financière, des règles établies par l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC), l’Accord général sur le commerce des services (AGCS), et demain, si on n’arrive pas à s’y opposer, le TAFTA.
Assurer l’indépendance de la formation médicale et professionnelle
Qu’elle soit initiale ou continue, il faut :
- Assurer l’indépendance de la formation médicale et professionnelle continue à l’égard de l’industrie pharmaceutique en interdisant le financement direct par l’industrie pharmaceutique de ces actions de formation.
- Renforcer le financement public de la formation continue.
- Refuser la notion de publicité sur les médicaments.
- Et assurer la transparence de l’information sur les médicaments en direction du grand public.
Il faut renforcer les moyens de contrôle de la publicité sur les médicaments, et assurer la transparence de l’information sur les médicaments en direction du grand public.
Le Pôle public du médicament devra être pour la distribution c’est-à-dire notre réseau de pharmaciens, celui qui permettra la préservation des structures et moyens de proximité permettant une réponse rapide aux besoins. Nous devons conforter, le rôle et la place originale en France, des pharmaciens avec des obligations de service public.
En conclusion
Il est nécessaire de réaffirmer l’indépendance de notre pays en matière sanitaire. La pression exercée par les marchés sur l’approvisionnement en médicaments souligne par ailleurs la nécessité pour la France d’assurer sa souveraineté sanitaire. La globalisation néolibérale ne permet pas, en effet, d’assurer l’indépendance des pays. Ces moments de tension révèlent un des effets pervers du capitalisme : l’augmentation des prix devient la seule méthode de régulation, et la concurrence entre les pays confine à l’immoralité. La soumission à un système de santé hors de contrôle n’est plus acceptable à l’heure des grands défis que nous devrons relever toutes et tous ensemble. La France est une des premières puissances mondiales. À ce titre, il est indispensable de recentrer la production de biens essentiels à la santé des Françaises et des Français. Il est donc temps de fonder, pour permettre la sortie de crise, un pôle public du médicament qui assure notre indépendance, notre souveraineté, et la qualité de notre système de soin sans tenir compte des profits qu’ils génèrent. Une autre politique du médicament, hors du marché, est non seulement possible, mais indispensable aujourd’hui. Nous ferons tout pour que ce débat sorte des cercles d’experts pour en faire un vrai débat citoyen en France et en Europe.