Résumé :
L’auteur, médecin du service public en Guyane, rappelle ici l’importance de dépister et soigner les patients atteints par le SIDA. Il dit son optimisme mais aussi son désarroi de voir le recul des droits s’insinuer dans le système de soin.
Abstract :
The author, a public service doctor in Guyana, recalls here the importance of screening and treating patients with AIDS. He expresses his optimism but also his dismay at seeing the decline in rights creep into the healthcare system.
Cette phrase constitue le slogan de la Journée Mondiale de Lutte contre le SIDA 2024, journée proposée par ONUSIDA à chaque 1er décembre depuis 1988. La multiplication des périodes de l’année mettant en lumière des problèmes de santé publique, nullement contestable par ailleurs, en atténue toutefois un peu la portée comparativement aux décennies précédentes.
L’enjeu est pourtant de taille : 40 millions de personnes vivent dans le monde avec le VIH, dont 53% sont des femmes, et dont 5 millions ignorent leur statut de séropositifs. 30 millions seulement ont accès à un traitement antirétroviral. C’est évidemment beaucoup plus qu’en 2000 ou 2010 mais en-deçà des objectifs de l’OMS. 630 000 personnes sont mortes des complications du VIH en 2023, là encore, objectif non atteint, de même que les 120 000 nouvelles contaminations annuelles.
En France même, les nouvelles contaminations, selon le Bulletin Epidémiologique Hebdomadaire du 26 novembre 2024, ne diminuent pas en nombre, autour de 5000/an et près de 40% des découvertes de séropositivité se situent à un stade avancé d’évolution de l’infection, témoignant de multiples occasions manquées de dépistage. L’épidémie cachée est donc toujours bien présente, autour de 20000 personnes séropositives vivent en France en ignorant leur statut sérologique.
Certes, la cascade de prise en charge dans notre pays demeure l’une des plus efficaces au monde, du dépistage à l’accès au traitement puis à la mise en œuvre de celui-ci et au succès thérapeutique, mais il existe encore de nombreux trous dans la raquette. Nous sommes une génération de médecins, infirmières, mais aussi patients et militants associatifs à avoir vu leurs quarante dernières années rythmées par la lutte contre VIH/SIDA, pour ma part sur trois continents. Aucun héroïsme à cela, le jeu des circonstances essentiellement, mais aussi le développement de la solidarité thérapeutique en réseau mondial telle qu’elle a pu se mettre en place au début des années 2000. Certes, les succès l’emportent largement dans le rétroviseur mais les chiffres actuels laissent à penser que l’objectif d’éradication du VIH reste encore illusoire à court et moyen terme. Et paradoxalement, ces mêmes succès ont indirectement contribué à diluer l’exceptionnalité du VIH.
Et pourtant…
Tous les outils existent pour y mettre un terme programmé. La recherche fondamentale reste bien entendu indispensable mais en imaginant que l’on se contente des méthodes de 2024, l’éradication est parfaitement envisageable. Généraliser le dépistage, généraliser partout l’accès aux traitements, l’éducation thérapeutique permettraient de briser la chaîne de transmission puisqu’il est totalement et solidement établi que les personnes en succès thérapeutique ne transmettent plus le virus.
- Les moyens du dépistage se sont considérablement diversifiés, entre les tests rapides, les autotests, la pratique des dépistages « hors les murs », la gratuité des tests sans ordonnance au laboratoire. Les chiffres actuels montrent néanmoins l’insuffisance de ces stratégies pour venir à bout de l’épidémie cachée. Il faut donc multiplier les occasions de dépistage en milieu de soins et hors milieu de soins.
- La prévention multidirectionnelle comporte également la prophylaxie pré-exposition permettant aux personnes séronégatives exposées à des risques de transmission de réduire celle-ci à quasiment zéro selon des protocoles de traitement préventif qui évoluent constamment vers la simplification, et dont la « coût-efficacité » a été démontrée. De même la réduction des risques de transmission virale par échange de matériel d’injection, par les salles de consommation à moindre risque, a fait preuve de son efficacité. Toute restriction, imaginée par certains, serait un retour en arrière con sidérable.
- L’accès au traitement antirétroviral était jusqu’à présent l’un des points forts de la France dans la lutte contre le VIH. Nous sommes nombreux, professionnels de santé, militants syndicaux et associatifs, simples citoyens à frémir de rage devant les perspectives de réduction ou de suppression de l’Aide Médicale d’Etat prônée avec insistance par l’extrême-droite (et pas que…). Charge économique marginale dans le cadre des dépenses de santé, l’AME participe au maintien de l’accès aux soins des séropositifs migrants et donc au chemin vers l’éradication du VIH/SIDA dans notre pays. On en frémit d’autant plus que les données du récent BEH confirment que 45 % des séropositifs migrants ont contracté le VIH après leur arrivée en France. Même frémissement de rage devant les menaces de renvoi dans leur pays d’origine de personnes séropositives, le traitement étant considéré (souvent trop vite) comme accessible dans leur pays d’origine sans la moindre vérification.
- Les traitements antirétroviraux ont considérablement évolué au cours des vingt dernières années et les nouvelles formes retard simplifient la vie des patients, les effets secondaires se sont considérablement réduits. L’apport de l’éducation thérapeutique, des pairs aidants, des associations là où elles sont en activité, est majeur. Certes, l’état actuel des connaissances oblige pour l’instant à une poursuite du traitement à vie, situation que connaissent l’immense majorité des porteurs de maladie chronique. Un coup d’œil sur les attaques budgétaires dirigées par le pouvoir contre l’Assurance-Maladie et la financiarisation de la santé éveille bien entendu les inquiétudes. Les difficultés engendrées par la désertification médicale aussi.
Oui, le SIDA se combat aussi par la politique. Et ONUSIDA a raison également, suivons le chemin des droits.