Résumé :
L’auteur, philosophe, plaide ici pour un retour de l’esprit scientifique et de raison. En quelques mots il nous redit l’essentiel. La santé publique et la réflexion sur notre système social sont concernées.
Abstract :
The author, philosopher, pleads here for a return of the scientific spirit and reason. In a few words he tells us the essentials. Public health and reflection on our social system are concerned.
Reculs dans les classements PISA, effondrement du niveau des élèves dans les matières scientifiques, désaffection aux concours de recrutement dans ces disciplines, fuite des doctorants de haut niveau à l’étranger ; la crise de l’enseignement et de la culture scientifique est là, indéniable, et documentée depuis des décennies. Cet affaissement a eu des répercussions dans tous les secteurs de l’éducation, car avec lui ce sont les valeurs de rigueur, d’observation, de précision, de responsabilité par rapport à ce qu’on dit et à ce qu’on fait, qui ont marqué le pas. Même les disciplines sportives en ont pâti : je me rappelle la réponse de ce collègue d’éducation physique auprès duquel je m’étonnais, un peu naïvement, qu’il reproche à certains élèves un « manque de précision dans le travail » : « Oui, le sport ce n’est pas seulement ni même fondamentalement une dépense d’énergie, c’est aussi la gestion de cette dépense et plus encore, par ce moyen, la construction d’une autonomie personnelle. » Construction, le mot était dit. L’approche critique des contenus d’enseignement tels que la tradition nous les a livrés est évidemment nécessaire : pour autant, elle ne suffit pas. Auguste Comte, qui parlait peut-être, à la cantonade, aussi de la formation des hommes, soulignait que les instruments de démolition, qui ont leur utilité, ne sont pas en mesure de construire quoi que ce soit. Et il appelait l’âge métaphysique, destructeur de l’âge théologique qui l’a précédé et voué à être dépassé à son tour par l’âge positif « le règne du prétoire ».
Le prétoire, nous y sommes : tout ne serait qu’une question de discours, à « faire passer » voire à « muscler », de libération de la parole, tenue pour porteuse non seulement de sens mais de vérité, l’énonciation devenant critère de vérité. L’affranchissement à l’égard de toute norme de retenue, de pudeur et même de rationalité est mis sur le même plan que le courage de briser la loi du silence. Mais dans les faits, c’est le « buzz » qui advient. Et l’on a vu au moment du débat moisi sur l’identité nationale institué par Sarkozy en 2008 à quel point la soi-disant « lutte contre les non-dits » avait entraîné une libération de la parole raciste, désormais décomplexée, libération suivie d’actes.
De fait, le relâchement de l’attention, de l’esprit d’observation, du recul critique et de la rigueur dans l’expression ouvre grand les portes à toutes les crédulités. C’est sur ce terreau que prospèrent les démagogues et les populistes de tous bords. Comment s’étonner que la laïcité soit attaquée de tous les côtés quand on lui a ôté ce qui en faisait la force, à savoir la formation du sens critique contre toute autorité quelle qu’elle soit ?
Car la raison, c’est le contraire de l’autorité. Seule la raison, dans son activité constituante, nous permet de comprendre la réalité pour éventuellement la transformer, au lieu de la subir. Les mythes, les religions, les histoires qu’on se raconte sont des interprétations du monde et des événements. Elles peuvent avoir du charme. Elles ont toujours de la cohérence. Elles sont un système de réponses. Elles désamorcent l’esprit critique. N’est-ce pas là qu’il faut chercher le fameux « opium du peuple » ?
Réévaluer l’esprit scientifique, c’est d’abord préférer le travail au laisser-aller, refuser de se laisser manipuler, que ce soit par les modes ou par toutes les formes de démagogies. Et cela pose évidemment la question de la formation, car comme le disait Marx « l’éducateur a lui-même besoin d’être éduqué ».