© National Cancer Institute (unsplash)

Pour un registre général des cancers

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L’auteur rappelant ses positions anciennes propose la création d’un registre national général des cancers. Il soutient la position de l’Académie de médecine qui dans un rapport récent fait une proposition du même type. Il estime que les pouvoirs publics ont trop attendu. Il expose les raisons médicales et épidémiologiques et montre l’intérêt de cette initiative. Les outils scientifiques et techniques existent.

 Abstract : The author, recalling his old positions, proposes the creation of a general national cancer registry. It supports the position of the Academy of Medicine, which in a recent report made a proposal of the same type. He believes that the authorities have waited too long. It explains the medical and epidemiological reasons and shows the interest of this initiative. The scientific and technical tools exist.

Depuis des années (plus de 20 ans) beaucoup d’entre nous militent pour un registre national des cancers. De quoi s’agit-il ? Un tel registre collecterait l’ensemble des données concernant la totalité des cancers dépistés en France avec en particulier un identifiant garantissant l’anonymat, un diagnostic précis (anatomopathologique), un bilan clinique, une localisation géographique précise, une prise en compte des éléments environnementaux, une prise en compte des éléments concernant le travail, les facteurs de risques etc. La liste serait à établir avec les spécialistes. Le but est le suivant : accumuler les connaissances sur la situation générale à partir de l’accumulation des informations personnelles. Cette démarche suppose évidemment une garantie absolue de confidentialité et une gestion par un service public soumis à un contrôle strict. Cette accumulation de données sur le long cours permettrait des études scientifiques solides et donnerait les moyens de repérer des informations tirées de grands nombres que l’observation des cas individuels ou des petites séries ne permet pas de mettre en évidence. Nous pourrions ainsi progresser sur le repérage de facteurs étiologiques nouveaux en particulier écologiques dans les milieux de vie ou de travail et des éléments génétiques. Pourquoi y a-t-il plus de cancers de tel type ou de telle localisation ici plutôt que là ? Nous pourrions aussi progresser dans l’usage des traitements et des modes de prise en charge.

Plus les années passent, plus on perd du temps. Pourtant aujourd’hui les techniques de mise en œuvre existent. Les renseignements peuvent être facilement collectés : histologie, connaissance des traitements, profils génétiques, facteurs de risques etc. Les moyens informatiques existent : informatique puissante, réseaux sécurisés, intelligence artificielle, outils de séquençage etc. Et des collecteurs de données sont déjà à l’œuvre : l’Assurance maladie connaît les dossiers médicaux car les cancers sont pris en charge à 100% au titre des affections de longue durée (ALD), dossiers médicaux informatisés, fichiers existants portant sur des cancers particuliers etc.. Pourquoi ce retard ? Les pouvoirs publics n’ont pas pris la mesure du problème. Question d’argent ? Peut-être mais un tel service ne coûterait pas bien cher eu égard aux progrès attendus. Tous les outils existent déjà. Et de nombreux services ont des pratiques qui faciliteraient la mise en place. Alors on a fait comme d’habitude devant la pression : on a créé des registres locaux[1]. C’est mieux que rien… Et on attend.

Un réveil semble se faire, poussé par le secteur privé en particulier l’industrie pharmaceutique mondiale qui souhaiterait accéder à plus d’informations. C’est lié au fait que la révolution des biotechnologies en cours ouvre des perspectives de création de nouveaux médicaments très performants mais aussi très profitables pour elle. Et les groupes informatiques de niveau mondial (les fameux GAFAM) souhaitent faire le commerce de ces données et se positionnent sur ce qu’ils considèrent comme un marché, particulièrement celui du médicament. Le risque est grand de voir ces registres développés et commercialisés par le privé lucratif qui pourrira l’esprit du système en l’orientant vers ce qui est profitable pour lui. Déjà on a vu la direction de l’Assistance publique des Hôpitaux de Paris confier la gestion de ses dossiers médicaux informatiques à l’américain Google.  Ceci n’est pas sans poser des problèmes éthiques.

Voici que l’Académie de médecine appelle dans un rapport[2] à l’établissement d’un registre national du cancer. Il ne s’agit pas d’étendre géographiquement les registres déjà existants au niveau local, mais plutôt d’intégrer leurs données à une entité européenne à venir. Ce serait une bonne idée que de le faire au niveau européen, mais dans tous les cas, l’étape nationale semble incontournable. Ne voyons ni trop petit (c’est déjà fait) ni trop grand (ce n’est pas près de se faire). Alors commençons immédiatement au bon niveau : le niveau national. « La nationalisation des données des registres doit viser à améliorer le fonctionnement du recueil de données et la rapidité d’obtention des résultats (un rapport annuel et non pas tous les cinq ans), tout en gardant l’exhaustivité et la qualité actuelles, rendant ainsi ce dispositif de santé publique encore plus efficace », écrit l’Académie, recommandant aussi d’« assurer la pérennisation du soutien national aux registres du réseau FRANCIM (qui assure l’alimentation des registres des cancers) dans la double optique de la collecte des indicateurs actuellement enregistrés et de leur mise à jour régulière sans interruption ».

Anne-Corinne Zimmer dans un très bel article publié le 13 janvier 2022 dans l’Humanité Dimanche indiquait que dans le cadre du troisième Plan Cancer (2014-2019) l’Inspection générale des affaires sociales et l’Inspection générale de l’éducation, du sport et de la recherche avaient déclaré: «La question de la création de nouveaux registres est récurrente… L’accès aux données des registres et l’interopérabilité demeurent des objectifs à atteindre (…). Sous ces réserves, la création de registres couvrant l’ensemble du territoire n’apparaît pas aujourd’hui prioritaire, mais des registres visant à mieux prendre en compte l’impact des facteurs sociaux et environnementaux sur les cancers devraient être créés. ». Une façon de noyer le poisson de la part des administrations ministérielles. Bien sûr, l’interopérabilité est un impératif pour tous ces registres. La mise en place d’un registre national[3] doit être réalisée sans hésiter. Le progrès attend depuis trop longtemps.

Carte des départements couverts par un registre des cancers

général ou spécialisé ( juin 2019)

[1] Ainsi les Bouches-du-Rhône ni aucun des départements de la région Île-de-France ne disposent pas de registres.

[2] Son rapport de décembre 2021: « Les cancers en France. Vers un registre national de fonctionnement centralisé »

[3] « Cependant, si cette étape évoluait positivement grâce au développement des moyens de recueil et de vérification, on pourrait avoir un “système de surveillance” qui permettrait de répondre à un certain nombre de questions avec une plus grande rapidité d’obtention des informations et un élargissement aux secteurs non pris en charge par les registres actuels (exhaustivité géographique, prise en charge, thérapeutique, résultats, parcours de soins) » page 8 du rapport de l’Académie de médecine.

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Michel Limousin, « Pour un registre général des cancers », Les Cahiers de santé publique et de protection sociale, N° 41, Juin 2022.