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Poste partagé ville hôpital en région parisienne en France,  un système au profit des plus précaires

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Résumé :
Le système de santé français, dit de couverture maladie universelle devrait garantir à tous, indifféremment de leur niveau social, des soins de santé accessibles et efficients. Le système français fait aujourd’hui face à de nombreux défis : vieillissement de la population, explosion des maladies chroniques, inégalités sociales et territoriales de santé. Dans le cadre de la création de postes partagés entre la ville et hôpital, plusieurs médecins généralistes ont partagé leur temps entre un centre de santé (CDS) polyvalent et un hôpital public dans Paris. L’approche innovante des postes partagés entre CDS et hôpital public dans cette étude française a montré sa pertinence en permettant l’accès au système de soins primaires pour une population précaire. Ce type de dispositif vertueux, reliant la ville et l’hôpital, attractif pour les jeunes médecins, permettant à terme un système de santé plus intégré nécessite d’être financé et pérennisé, associé à des mesures d’impact social et médico économique.

Abstract :
The French health system, known as universal health coverage, should guarantee accessible and efficient health care to all, regardless of their social level. The French system is currently facing many challenges: an aging population, an explosion of chronic diseases, social and territorial health inequalities. As part of the creation of shared positions between the city and the hospital, several general practitioners shared their time between a multipurpose health center (CDS) and a public hospital in Paris. The innovative approach of shared positions between CDS and public hospital in this French study has shown its relevance by allowing access to the primary care system for a precarious population. This type of virtuous system, linking the city and the hospital, attractive to young doctors, ultimately allowing a more integrated health system, needs to be financed and sustained, associated with social and medico-economic impact measures.

Le système de santé français repose sur un modèle de Sécurité sociale financé en majorité par les cotisations sociales des employeurs et des salariés. Ce système, dit de couverture maladie universelle devrait garantir à tous, indifféremment de leur niveau social, des soins de santé accessibles et efficients. Comme dans beaucoup d’autres pays européens, le système de santé français fait aujourd’hui face à de nombreux défis : vieillissement de la population, explosion des maladies chroniques, inégalités sociales et territoriales de santé (1,2). A ces enjeux médico-sociaux fondamentaux s’ajoutent la maitrise des dépenses de santé et la décroissance de la démographie médicale annoncée pour la décennie à venir (3,4).

Différentes réformes du système de santé ont été menées en France ces dernières décennies. Les réformes Debré ont, par exemple, profondément restructuré le paysage hospitalier français, mais ont aussi eu pour effet de renforcer le cloisonnement entre la médecine de ville (pratique majoritairement libérale) et l’hôpital public (5). Ces réformes ont introduit un statut spécifique pour les médecins hospitaliers et universitaires, différent de celui des médecins libéraux exerçant en ambulatoire. Cela a créé des parcours professionnels distincts et des cultures médicales différentes entre l’hôpital et la ville. Les réformes ont également mis en place des modes de financement et de régulation spécifiques pour les hôpitaux, distincts de ceux de la médecine de ville, rendant difficile les initiatives communes ou les passerelles entre les deux secteurs. En renforçant l’autonomie et la spécialisation des hôpitaux, les réformes Debré ont ainsi créé des ruptures dans la continuité des soins entre le suivi en ville et les interventions hospitalières. Ces réformes ayant pour conséquence une complexification des parcours de soins qui deviennent peu lisibles pour les usagers.

La loi n° 2004-810 du 13 aout 2004 relative à l’assurance maladie définit la place du médecin traitant et place les soins primaires au cœur du système de soins (6). Cette réforme a pour objectif une meilleure organisation de l’offre de soins et un accès généralisé aux médecins de ville. Près de vingt ans après cette réforme, et à cause des pénuries de médecins généralistes, un rapport sénatorial a révélé que 11% de la population n’avait toujours pas de médecin traitant et que deux tiers des médecins généralistes refusent d’accepter dans leur patientèle de nouveaux patients (7,8).

Les difficultés d’accès au médecin traitant ou plus globalement à une équipe de soins primaires ont pour conséquence un renoncement aux soins de populations déjà éloignés du système de santé (9). Ainsi, l’enjeu de l’accès aux soins pour les populations les plus précaires devrait être au cœur des préoccupations des politiques publiques visant l’équité et la qualité des soins pour tous. L’intégration des services de santé apparait comme une stratégie prometteuse pour répondre aux besoins complexes et variés des individus en situation de précarité. Cette approche intégrée des soins, centrée sur la personne, va de la prévention à la prise en charge spécialisée, et est préconisée par l’Organisation Mondiale de la Santé depuis de nombreuses années (7). Permettre à tous l’accès aux soins de santé primaire est une des clés de la réduction des inégalités sociales de santé (10). La coopération entre la ville et l’hôpital, visant un système de santé coordonné et adapté au juste niveau de recours du patient est un enjeu majeur de santé publique. Plusieurs études ont démontré que des partenariats entre les soins primaires et l’hôpital permettaient d’améliorer l’état de santé des populations et de réduire les couts (11,12). De même l’anticipation lors de l’hospitalisation du suivi du patient en ville était efficace pour diminuer les ré-hospitalisations. (13)

En France, de nombreux centres de santé publique polyvalents ont été créés dans l’après-guerre par certaines municipalités. Ces structures se multiplient depuis ces vingt dernières années. Elles permettent des soins de santé à tous les citoyens souvent à faible cout ou gratuitement, et visent l’accessibilité et l’équité en santé (14). Les médecins comme l’ensemble des personnels exerçant dans ces centres y sont rémunérés à la fonction et non à l’acte, ce qui permet de créer des conditions favorables au travail en équipe. Un système de santé intégré nécessite donc une bonne coordination des acteurs et une bonne connaissance du parcours du patient. La loi du 24 juillet 2019 relative à l’organisation et à la transformation du système de santé avait pour objectif de réduire les inégalités d’accès aux soins et de favoriser les coopérations des professionnels de santé en rassemblant les soignants en ville et à l’hôpital autour de projets de santé (12). Dans ce contexte, l’État français a proposé la création de postes de médecin généraliste à exercice mixte entre la ville et l’hôpital, dans des zones où la densité médicale était décrite comme insuffisante (15). L’un des objectifs déclinés dans ce dispositif était de faciliter l’accès des patients à une équipe de soins primaires.

Dans le cadre de la création des postes partagés en ville hôpital, plusieurs médecins généralistes ont bénéficié de postes partagés entre un centre de santé polyvalent parisien (centre de santé Richerand) et un hôpital public situé à proximité (Hôpital Lariboisière à Paris). Ces deux établissements sont situés dans un quartier prioritaire de la ville de Paris. Deux médecins généralistes exerçaient en temps partagés au centre de santé et à l’hôpital Lariboisière. L’objectif de ce travail de recherche était d’évaluer les caractéristiques socio démographiques des patients ré-adressés en soins primaires grâce à cet exercice partagé.

Objectif :

Évaluer les caractéristiques des patients adressés sur un dispositif de soins primaires par la création de postes partagés ville hôpital

Matériel et méthode :

Une étude descriptive, comparative et analytique, a été réalisée de façon rétrospective entre novembre 2018 et novembre 2022 sur les patients pris en charge dans le dispositif ville hôpital entre le centre de santé Richerand dans Paris et l’hôpital Lariboisière situé à proximité sur le même territoire. Deux médecins généralistes exerçaient en temps partagé en médecine interne à l’hôpital de Lariboisière et au centre de santé Richerand. Ils exerçaient à temps partiel dans chaque structure ce qui leur permettait de lier les équipes. Les deux médecins généralistes ont reçu les patients en de médecine générale au sein de l’hôpital. Les patients étaient adressés par les services de médecine interne, de neurologie, de diabétologie, les urgences et la policlinique-PASS (lieux de consultation pour les patients sans ressources et/ou sans couverture maladie). A la fin de la consultation, il était proposé aux patients sans médecin traitant de bénéficier d’un suivi en soins primaires au centre de santé de proximité. Si les patients acceptaient, un rendez-vous était pris pour eux au centre de santé. Les critères d’exclusion du dispositif étaient le fait d’avoir déjà un médecin traitant ou le refus de l’usager.

Le recueil de données a été fait de façon rétrospective par analyse des dossiers médicaux de l’hôpital Lariboisière et du centre de santé Richerand.

Éthique :

L’étude a été faite en respect de la règlementation française sur les données de santé et ce travail a fait l’objet d’une déclaration de type MR004 auprès de la CNIL. En adéquation avec la règlementation française dans ce type d’étude, aucune demande auprès du comité d’éthique n’était nécessaire.

Analyse statistique : Des analyses en multi-variés ont été faites à l’aide d’une régression logistique binaire avec un modèle ajusté sur les variables significatives en uni-variés (l’âge, le pays d’origine, le sexe, le type de logement, le statut d’emploi, le service d’inclusion et la couverture maladie). Toutes les analyses ont été réalisées avec un risque alpha à 0,05. Les logiciels SAS version 9.4 et R++ 1.6.04 ont été réalisés.

Résultats

Entre novembre 2018 et novembre 2022, 1246 demandes hospitalières de prise en charge en médecine générale ont été faites aux deux médecins en postes partagés. Sur ces demandes, 1175 respectait les critères d’éligibilités.  63% des patients ayant eu cette consultation ont par la suite été pris en charge au CDS, soit 725 patients. Les 1175 patients éligibles étaient majoritairement des hommes (72,60%) nés hors de France (76,96%) avec une moyenne d’âge de 45,41 ans (Tableau 1). Près de la moitié ne vivait pas en logement personnel (46,15%) et était en majorité sans activité professionnelle (58,72%). Il est à noter qu’un peu plus de la moitié étaient détenteur d’une Sécurité sociale sans condition de ressource classique (54,51%) (Tableau 1).

Tableau 1 : Caractéristique des patients inclus dans l’étude (n = 1175)
CaractéristiquesEffectifs(%)
Venu au CDS   
Oui725(61.70%)
Non450(38.30%)
Âge
    Moyenne (SD)45.41(16.01)
    Médiane [Q1, Q3]43[33,56]
Sexe
    Homme853(72.60%)
    Femme322(27.40%)
Pays de naissance
    France259(22.04%)
Hors de France865(73.62%)
    Donnée manquante51(4.34%)
Logement
    Logement personnel489(41.62%)
Logement instable248(21.11%)
    Sans domicile fixe171(14.55%)
    Donnée manquante267(22.72%)
Catégories socioprofessionnelles
    Artisans, commerçants17(1.45%)
    Cadres40(3.40%)
    Professions intermédiaires26(2.21%)
    Employés145(12.34%)
    Ouvriers89(7.57%)
    Retraités102(8.68%)
Autres personnes sans activité professionnelle596(50.72%)
    Donnée manquante160(13.62%)
Prise en charge sociale
    Sécurité sociale556(47.32%)
    CMU/CSS235(20.00%)
    AME183(15.57%)
Aucune46(3.91%)
Donnée manquante155(13.19%)
SD = écart type, Q1 et Q3 = premier et troisième quartile, CMU = Couverture Maladie Universelle, CSS = Complémentaire Santé Solidaire, AME = Aide Médicale d’État

Le tableau 2 analyse les caractéristiques des patients ayant bénéficié d’un suivi dans un centre de santé. Ces patients étaient significativement plus jeunes et plus souvent bénéficiaires d’une protection sociale d’Etat, reflet d’une situation sociale précaire pour la protection sociale des personnes en situation irrégulière (AME) ou sous conditions de ressources (CMU) et la Complémentaire Santé Solidaire (CSS).

Tableau 2 : Analyses multivariées des patients ayant consulté au CDS par rapport à ceux n’ayant pas consulté n=1175
  ORa* suivi/non suivip
Âge   
<50 ans1p<0,05
≥50 ans0,65 [0,48 ; 0,87]
  
Pays de naissance 
France0,74 [0,52 ; 1,06]p=0.10
Pays étranger1
  
 
Statut d’emploi 
Emploi1p=0.45
 Inactif0,89 [0,63 ; 1,28]
  
Prise en charge sociale 
 Sécurité sociale1p<0.001
CMU/CSS1,82 [1,16 ; 2,78]
AME2,13 [1,29 ; 3,45]
Aucune0,43 [0,20 ; 0,92]
 

Bibliographie :

1.         L’état de santé de la population en France à l’aune des inégalités sociales | Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques [Internet]. [cité 2 janv 2024]. Disponible sur le site drees.solidarites-sante.gouv.fr

2.         OECD, European Union. Health at a Glance: Europe 2022: State of Health in the EU Cycle [Internet]. 2022 [cité 6 févr 2024]. Disponible sur site oecd.org

3.         Anguis M, Bergeat M, Pisarik J, Vergier N, Chaput H, Laffeter Q, et al. Quelle démographie récente et à venir pour les professions médicales et pharmaceutique ? 2021;

4.         La sécurité sociale, rapport sur l’application des lois de financement de la sécurité sociale 2023, synthèse. 2023;

5.         Ordonnance n°58-1373 du 30 décembre 1958 relative à la création de centres hospitaliers et universitaires, à la réforme de l’enseignement médical et au développement de la recherche médicale.

6.         Loi n° 2004-810 du 13 août 2004 relative à l’assurance maladie (1). 2004.

7.         Services de santé de qualité [Internet]. [cité 2 janv 2024]. Disponible sur le site de l’OMS

8.         Sénat [Internet]. 2023 [cité 12 déc 2024]. Pénurie de médecins traitants. Disponible sur le site du Sénat

9.         Després C, Dourgnon P, Fantin R, Jusot F. Le renoncement aux soins : une approche socio-anthropologique. 2011;

10.       Gkiouleka A, Wong G, Sowden S, Bambra C, Siersbaek R, Manji S, et al. Reducing health inequalities through general practice. Lancet Public Health. 1 juin 2023; 8(6):e463‑72.

11.       Gonçalves-Bradley DC, Lannin NA, Clemson LM, Cameron ID, Shepperd S. Discharge planning from hospital. Cochrane Database Syst Rev. 27 janv 2016;2016(1):CD000313.

12.       Van Spall HGC, Rahman T, Mytton O, Ramasundarahettige C, Ibrahim Q, Kabali C, et al. Comparative effectiveness of transitional care services in patients discharged from the hospital with heart failure: a systematic review and network meta-analysis. Eur J Heart Fail. nov 2017;19(11):1427‑43.

13.       Morkisch N, Upegui-Arango LD, Cardona MI, van den Heuvel D, Rimmele M, Sieber CC, et al. Components of the transitional care model (TCM) to reduce readmission in geriatric patients: a systematic review. BMC Geriatr. 11 sept 2020;20(1):345.

14.       Afrite A, Bourgueil Y, Dufournet M, Mousquès J. Les personnes recourant aux 21 centres de santé de l’étude Epidaure-CDS sont-elles plus précaires ? 2011;

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16.       Insee. Population au 1er janvier | Insee [Internet]. 2023 [cité 16 janv 2024].

17.       DREES. La complémentaire santé solidaire (CSS) [Internet]. 2021.

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23.       L’espérance de vie par niveau de vie : chez les hommes, 13 ans d’écart entre les plus aisés et les plus modestes – Insee Première – 1687 [Internet]. [cité 12 déc 2024].

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