Résumé :
L’auteur, ancienne directrice de maternité, dénonce ici les propositions de l’Académie de médecine qui annonce un programme de réformes libérales. Privatisations, industrialisation, déshumanisation. L’auteur demande des réformes humanistes : suppression de la T2A, proximité, financement durable, revalorisation des salaires des maternités publiques.
Abstract :
The author, former director of maternity, denounces here the proposals of the Academy of Medicine which announces a program of liberal reforms. Privatizations, industrialization, dehumanization. The author asks for humanist reforms: abolition of the T2A, proximity, sustainable financing, revaluation of the salaries of public maternities.
En pleine mobilisation de masse contre la réforme des retraites de Macron / Borne et alors que la situation de crise sanitaire semble dans l’invisibilité, l’Académie nationale de Médecine sort en avant-projet un texte provocateur portant l’intitulé pompeux : « Planification d’une politique en matière de périnatalité en France : organiser la continuité des soins est une nécessité, une urgence » ! Les professionnels, la population des bassins de vie de près d’une dizaine de maternités mobilisés, comme en Bretagne, en Corse, dans les Ardennes apprécieront !
Prenant appui sur le constat des difficultés cumulées des maternités de proximité à garder leurs professionnels, à faire face à la mise en concurrence de ceux-ci par la voie de l’intérim notamment avec les grosses structures, et nonobstant, au nom de la sécurité des femmes et des bébés, le rapport entend rayer du panorama sanitaire les maternités de type 1 dont la mission est d’accueillir quelques 85% des naissance de notre pays : sur les 131 maternités de type 1 restantes dans notre pays et implantées dans des villes moyennes et petites, une centaine de ces structures de moins de 1000 naissances devraient fermer.
Il faut inscrire cette nouvelle lubie d’experts dans le droit fil de l’orientation de « Ma santé 2022 » qui sert d’aiguillon à toutes les décisions politiques pilotées par les ARS pour aller, à marche forcée vers la transformation de quelques 600 établissements hospitaliers en « hôpitaux de proximité ». Cela suppose la disparition des services d’urgence, maternités et chirurgie !
Après une première grande vague de fermeture de « petites maternités » après la parution des décrets de périnatalité en 1998, la tarification à l’activité (T2A) a joué son rôle de restructuration de ce secteur d’activité, décrétant financer les actes techniques plutôt que l’accompagnement global de l’accouchement physiologique : la médicalisation à outrance de la naissance a fait le reste. La finalité est bien de faire baisser « le prix de revient d’un bébé » !
Autre aspect pernicieux : une maternité qui disparait c’est une service d’IVG qui disparaît. La solution serait en toute logique financière : regrouper les équipes sur les grosses structures de type 2 et 3, où comme nous savons, la souffrance des personnels, la perte de sens du travail, notamment des sages-femmes les poussent vers l’exercice libéral. Déjà, ces maternités dans les métropoles sont saturées par un afflux croissant de demande de prises en charge de type 1. Ainsi, les maternités de type 3 drainent 78% des accouchements !
Déjà, les moyens de dépister les risques pour la mère et le fœtus en amont de la naissance sont insuffisants. La mortalité néonatale ne diminue pas depuis de nombreuses années et la morbi-mortalité maternelle reste élevée. Ce médiocre et inquiétant constat, nous plaçant en queue des pays européens, n’impressionne pas outre mesure les rédacteurs de ce projet, qui prônent comme solutions, le regroupement des naissances dans « les usines à bébés » en métropoles, avec un nouveau vocable de « groupements hospitaliers périnatals de territoires », la mutualisation des offres publiques et libérales dans des CPTS pour le suivi ante et post-natal, l’accès favorisé à la télémédecine, et pour faire face à l’allongement automatique des distances entre le domicile et les lieux de naissance la multiplication des hôtels hospitaliers !
Sécurité ?
Le paradoxe de la situation n’est pas la gravité de la démographie des professionnels concernés : en 2012 étaient formés 70 internes en gynéco-obstétrique contre 200 par an actuellement ; les 23 764 sages-femmes en exercice au 1er janvier 2022 (26 000 à l’horizon 2030 selon la DREES) sont en capacité de faire face aux 723 000 naissances en France. Le problème réside dans le nombre en baisse de SF exerçant à l’hôpital : 59% pour 85% de naissances assumées ! L’exercice libéral est en augmentation constante depuis 2012.
Par ailleurs, la loi Rist imposant le plafonnement des tarifs des médecins intérimaires va impacter 69 établissements : 107 services risquent de fermer, dont des services de gynéco-obstétriques, faute du « non-attrait » pour des anesthésistes, des pédiatres, des obstétriciens. Une recommandation non-respectée préconisait d’augmenter les ratios de SF dans les secteurs de naissance pour « une prise en charge de l’accouchement normal et son accompagnement, avec un soutien continu, individuel et personnalisé ». Le rapport reconnait qu’il faut augmenter l’attractivité des maternités pour les SF et propose un statut de praticiens en maïeutique au sein des maternités publiques…
Par ailleurs, il est urgent de revaloriser la situation des médecins titulaires afin de limiter l’appel à l’intérim.
L’humain ne se fragmente pas et la vraie sécurité ne se conçoit que dans une vision globale, de la conception à la période post-natale avec tous les aspects humains, environnementaux et médicaux. Le respect des rythmes naturels de l’accouchement, des choix des femmes, des couples, la proximité chaque fois qu’il n’y a pas de pathologie, sont nécessaires : la proximité pour cet acte de vie qui s’inscrit dans la durée et la construction du premier lien social est impératif. Seule elle préserve la sécurité affective autour de la mise au monde avec la famille, les amis, les voisins.
Les SF doivent trouver une place de premières professionnelles de la naissance, notamment au sein des maternités de type 1, indispensables. Plus que jamais il faut imposer partout le maintien de toutes les maternités, en finir avec la T2A et l’industrialisation de la naissance. L’avenir de véritables lieux de naissance respectueux des femmes et des personnels, est indissociable de celui de l’hôpital public : il faut un financement durable à la hauteur des besoins, des personnels en nombre et formés, une gestion démocratique !