L’auteure fait un vaste tour d’horizon sur la place de la femme dans l’histoire de la médecine et elle montre de nombreux points de discrimination. Elle élargit son propos avec la théorie du genre et montre que la médecine a fonctionné sur un modèle andro-genré. Enfin elle ouvre des perspectives d’évolution positive en particulier dans le domaine de la recherche. Elle relie cette situation aux autres causes d’aliénation.
Abstract :
The author gives a broad overview of the place of women in the history of medicine and she shows many points of discrimination. She broadens her subject with gender theory and shows that medicine has worked on an andro-gendered model. Finally, she opens up prospects for positive development, particularly in the field of research. She links this situation to other causes of alienation.
« La médecine centrée sur les hommes a de graves conséquences pour les femmes. » En 2018, l’Humanité interviewait le Dr Alyson McGregor, médecin urgentiste américaine connue pour son engagement envers la santé des femmes et son ouvrage Le sexe de la santé. Elle y dénonce une médecine occidentale « androcentrée » qui place l’homme, son corps et son point de vue au centre de la recherche médicale. La recherche médicale a longtemps négligé les spécificités sexuées et l’influence des codes sociaux sur les pathologies et l’état de santé des patientes. En ont découlé des inégalités et discriminations de genre dans le parcours médical revêtant plusieurs formes : retard de diagnostic, errance médicale, plans de prévention et prise en charge non adaptés.
En 2020, le Haut Conseil à l’Egalité remettait au gouvernement son rapport « Prendre en compte le sexe et le genre pour mieux soigner : un enjeu de santé publique »: « Dans ce rapport, l’analyse […] met en lumière : des différences de morbi-mortalité et des comportements plus ou moins à risque, fortement reliés à l’identité sexuée, souvent à l’intersection d’autres facteurs ; une trop faible prise en compte des spécificités sexuées sur le plan médical, comme en témoignent des exemples dans les domaines des infections sexuellement transmissibles, de la cardiologie, de la santé mentale, de l’ostéoporose ou encore de la vie après un cancer… ».
Si l’absence d’une approche plurifactorielle (sexe, genre, âge, milieu socio-économique etc…) est au détriment de la santé de toutes et tous, elle l’est en particulier pour les femmes, qui ont longtemps été exclues de la pratique médicale. Une pratique médicale subissant ainsi l’empreinte des stéréotypes de genre, de l’idéologie patriarcale et libérale.
Dans un premier temps, une perspective historique périodique nous permettra de comprendre quel était la place réservée aux femmes dans le domaine médical. Puis nous présenterons des cas concrets de discriminations et inégalités de genre que traversent les femmes au sein de leur parcours de santé. Enfin, nous mettrons en lumière les évolutions positives en cours dans la prise en compte du sexe et du genre dans la recherche médicale et ses applications.
La domination patriarcale à l’œuvre dans l’histoire médicale
a) Exclusion des femmes de la pratique de la médecine
Françoise d’Eaubonne dans le Sexocide des sorcières nous apprend que le féminin de médecin existe grâce au poète Gautier de Coincy: « n’a si bonne physicienne, Tant soit bonne médecienne ». Elle cite la célèbre Hildegarde de Bingen, abbesse du XIème siècle, première naturaliste d’Allemagne, autrice d’un traité de médecine aussi savant que populaire, suscitant toujours l’admiration. Mais, dès le XVème siècle, Charles VIII interdit aux femmes la profession médicale et l’Église l’interdit aux hommes mariés en raison de leur contact physique avec des femmes.
Dans Sorcières, sages-femmes et infirmières. Une histoire des femmes soignantes, B. Ehrenreich et D. English traitent de l’importance du rôle médical des femmes pour les classes populaires : « Les sorcières-guérisseuses étaient souvent les seuls médecins généralistes d’une population qui n’avait ni docteurs ni hôpitaux. […] La médecine masculine pour la classe dominante sous les auspices de l’Église était acceptable, une médecine intégrée à une sous-culture paysanne ne l’était pas »[1]. En 1484, le pape Innocent VIII condamne la « sorcellerie » et en 1486 ce qui deviendra un best-seller est publié par Sprenger et Kramer: le Malleus maleficarum ou Marteau des sorcières visant principalement les femmes. La chasse aux dites sorcières fut terrible et son absence de traitement historique officiel révélatrice de la domination patriarcale encore en vigueur dans l’écriture de l’Histoire. Dans beaucoup de villages, aucune femme ne survit à ces persécutions. Les femmes guérisseuses furent considérées comme des sorcières. Elles étaient en réalité des concurrentes gênantes de la formation universitaire des hommes qui purent bénéficier du statut professionnel de médecins. L’homme était du côté de la loi et de la foi, excluant les femmes de toute possibilité d’être reconnues dans leur savoir et leur droit, leur déniant non seulement le droit d’exercer mais le droit même de vivre.
b) Le soin comme prétendue vertu naturelle des femmes
Les soins infirmiers ont ouvert une nouvelle dimension au rôle des femmes dans l’univers médical. Réservée aux religieuses jusqu’à la moitié du XIXème siècle, la fonction d’infirmière relevait de la charité et non d’une compétence. Deux femmes ont marqué l’histoire et la reconnaissance du métier d’infirmière : Valérie De Gasparin et Florence Nightingale. De Gasparin fonde en 1859 la première école laïque d’infirmières « La Source » et y développe une formation afin de ne plus seulement « garder » le malade mais de le soigner. Elle initiera l’exigence d’un salaire pour cette fonction. Nightingale, surnommée « la dame à la lampe » par les soldats, conserve quant à elle la notion plus conservatrice et religieuse de « vocation » mais forge les préceptes du soin infirmier dit « nursing ». Elle publie le premier livre sur la pratique infirmière « Notes on nursing : what it is and what it is not ». Elle entre dans l’histoire en luttant contre la propagation des maladies infectieuses au sein de l’hôpital grâce à l’élaboration d’une organisation pavillonnaire appuyée de graphiques et diagrammes. Les résultats sont édifiants : le taux de mortalité passe de 40 à 2%. En 1858, elle devint la première femme à intégrer la Société royale de statistique britannique pour son utilisation de graphiques dans le cadre des soins de santé. En 1860, elle fonde elle aussi son école avec la Nightingale Home and Training School for Nurses. Elle institue une vraie place pour les infirmières dans l’hôpital, en s’appuyant paradoxalement tout autant sur une naturalité des femmes à l’exercer que sur des standards professionnels. Son apport est tel que la journée internationale des infirmières est célébrée le 12 mai, jour de sa naissance.
Les stéréotypes de genre persistent. Le Manuel de l’infirmière-hospitalière rédigé en 1914 établissait que : « L’infirmière est là pour nourrir le malade, le soigner et le panser, le laver avec patience, avec délicatesse comme si vous étiez sa mère ou sa sœur ». Les compétences professionnelles sont gommées au profit d’une aptitude universelle des femmes aux soins. En France, il faut attendre 1922 pour la création du brevet d’infirmier professionnel et 1951 pour le diplôme d’Etat. Le métier demeure fortement genré avec en 2021, 86,6% de femmes.
c) L’enfermement et la monstration du corps féminin
Une autre place, mortifère, existait pour les femmes à l’hôpital. Les articles de Frédéric Boulanger « Les interactions entre la psychiatrie et le patriarcat » et « Le bal des folles : une page sombre de l’histoire de la psychiatrie » parus en mars 2022 dans le n°40 des Cahiers de santé publique et de protection sociale y font référence. Victoria Maas a mis en lumière en 2019 dans son livre Le Bal des Folles la condition des femmes enfermées à la Salpêtrière à la fin du XIXèmesiècle, qui n’avait jusqu’à la Révolution aucune fonction hospitalière. Une dizaine de milliers de femmes enfermée dans cet hospice l’est pour des pathologies d’hystérie, de psycho-traumatismes non diagnostiqués, mais l’est aussi « pour des motifs familiaux ou politiques. Par exemple, un mari qui souhaite quitter sa femme peut invoquer la folie de celle-ci. […] Les femmes battues peuvent aussi être internées à la demande de leur mari. […] Les motifs sont parfois contradictoires, une femme peut être internée pour masturbation, pour une sexualité trop émancipée ou au contraire si elle se refusait au désir de son mari. On remarque donc que des diagnostics sont tout simplement inventés pour répondre à la nécessité du maintien de l’ordre établi »[2]. Les tortures y étaient fréquentes : bains glacés, flagellations, introduction de fer chaud dans le vagin, pression sur les ovaires etc.
Une soirée annuelle était organisée, prétextant la vocation thérapeutique, à mardi gras, entre patientes appelées « hystériques », « aliénées » et quelques invités curieux de la bonne et haute société. La presse parisienne l’appelle « le bal des folles ». Mais, finalement, les curieux sont pour la plupart déçus, le spectacle de la folie n’est pas au rendez-vous. Cela s’ajoute aux exhibitions des patients du célèbre neurologue Jean-Martin Charcot, tous les vendredis lors de séances publiques d’hypnose. « Hystérie » est étymologiquement issue du grec ὑστέρα, hyster ou hustéra signifiant l’utérus, ainsi considérée comme une maladie des femmes liée à un dysfonctionnement de l’organe utérin. La révolution Charcot dans les années 1880 déplace l’hystérie au niveau du système nerveux, du cerveau. Il affirme que si cette maladie est essentiellement féminine, des hommes (nécessairement faibles, efféminées) pourraient aussi en être affectés. Lorsque certains soldats ayant subi de l’horreur de la guerre commencèrent à manifester des symptômes d’hystérie, on refusa ce diagnostic afin de préserver la virilité de ces derniers. On parlera alors de shell shock puis de stress post-traumatique[3].
Freud qui est venu observer les travaux de Charcot, pense quant à lui « les conflits inconscients liés à un traumatisme sexuel et la symptomatologie de l’hystérie », il met « en lumière la répression de la sexualité féminine et l’existence des violences sexuelles[4]. ». F. Boulanger en conclut: « l’exemple de l’hystérie montre comment l’approche psychopathologique évolue en fonction de la vision qu’avaient les hommes du corps de la femme et de la sexualité féminine ».[5]
La patiente la plus notoire de Charcot est Augustine née Louise Augustine Bouvier. Arrivée à l’âge de 14 ans à la Salpêtrière après avoir été violée sous la menace d’un rasoir par son patron, elle subit de violentes crises d’hystérie qui fascinent Charcot. Exhibée lors des séances publiques, les invités sont même autorisés à la toucher. Les crises lui donnent l’occasion de tester de nouvelles techniques d’hypnose et les photographies deviennent l’illustration même de l’hystérie. Augustine est soumise à l’isolement lorsqu’elle refuse de coopérer. Alors qu’elle est considérée comme guérie le 18 février 1879, elle continue à travailler, rémunérée, à l’hôpital et à se prêter aux séances. Augustine finit par refuser d’être exhibée et de simuler l’hystérie et reprend sa liberté en s’enfuyant déguisée en homme. Après avoir interdit aux femmes le droit de soigner, d’exercer leur savoir-faire médical, elles deviennent désormais des sujets d’expérience. Leur corps et traumas servent d’objets d’expérimentation. Un corps méprisé, malmené et exhibé comme objet de curiosité aux yeux d’autres hommes, dont l’enjeu médical ne saurait faire oublier la marque patriarcale.
Discriminations et inégalités médicales de genre
Dans les années 1980, l’historienne des sciences Margaret Rossiter théorise l’effet « Matilda » mettant en lumière l’invisibilité voire l’exclusion des femmes scientifiques de la reconnaissance de leurs découvertes scientifiques prenant pour exemple le plus lointain Trotula de Salerne, une chirurgienne italienne du XIème siècle[6]. Ses ouvrages sur la gynécologique devenus des références au Moyen-Âge ont été attribués à un homme car on ne pouvait imaginer qu’une femme tienne une telle place dans la médecine.
Si les femmes ont étendu leur champ d’action au fil du XXème siècle au sein de l’hôpital jusqu’à représenter 52% des médecins, 78% d’entre elles affirment avoir été victimes de comportements sexistes selon une étude Ipsos réalisée en 2021 pour l’association « Donner des elles à la santé ». Le plafonds de verre reste une réalité : seulement 20% des postes de PU-PH (professeur des universités-praticien hospitalier) sont aujourd’hui occupés par des femmes et 87% d’entre elles se sont senties discriminées dans leur carrière.
a) Charge mentale des femmes
En 2017, le laboratoire Biogaran publie une campagne pour la promotion de son site « monurgencepilule ». Une série de vidéos intitulées « mademoiselle joublitou » sont aussitôt jugée sexiste. Les affiches sont placardées dans les laboratoires d’analyse, les cabinets médicaux, les pharmacies. Comment ne pas comprendre que la pilule soit difficile à avaler alors que les femmes portent l’essentiel de la charge mentale du foyer ?
En mars 2022, Doctolib a révélé que 81% des rendez-vous pris pour un proche sur leur site est pris par une femme et 86% pour des jeunes enfants. Cette charge mentale consacrée au soin a de lourdes conséquences sur la vie des femmes et sur leur santé : 40% d’entre elles déclarent avoir déjà dû renoncer à des loisirs pour s’occuper de la santé de leurs proches (contre 28% des hommes), 33% des femmes ont déjà dû annuler ou repousser des soins pour elles (seulement 9% des hommes). Si les tâches domestiques ont tendance à progresser dans les jeunes couples, l’écart est encore significatif d’un partage inégal. L’observatoire des inégalités s’appuyant sur les données de l’INSEE rapporte qu’entre 1990 et 2010 « le temps moyen journalier consacré par les femmes au travail domestique a baissé de 22 minutes, passant de 3h48 en 1999 à 3h26 en 2010, celui des hommes a augmenté d’une minute, de 1h59 à 2h» Ce temps comprend notamment la charge du soin où les chiffres passent sur la même échelle de comparaison de 11 minutes par jour à 18 minutes pour les hommes et de 27 minutes à 36 minutes pour les femmes[7],[8]. Selon une enquête publiée dans la revue spécialisée Cancer en 2017 et menée par la professeure Chiara Acquati, les femmes atteintes d’un cancer ou de sclérose en plaques présentent 6 fois plus de risques d’être quittées par leur conjoint que les hommes atteints de la même maladie.
En 2018, P. Dharréville, député communiste, se voyait confier une mission parlementaire proposant la création d’un statut de l’aidant familial incluant une indemnité du congé proche-aidant. 75% sont des femmes et la Haute Autorité de Santé alerte sur la dégradation de leur état de santé. Certes, l’espérance de vie des femmes est plus longue mais, au niveau européen, le Centre d’Analyse Stratégique rapporte en 2011 que « Les deux tiers de l’aide apportée par la famille sont cependant assurés par les femmes, qu’elles soient conjointes, filles ou belles-filles. Ce sont elles qui jouent le rôle d’aidant principal. »[9]
La Haute Autorisé de Santé confirme dans son rapport Sexe, genre et Santé en 2020 notamment grâce à l’appui de l’enquête « Poids et effets de genre dans l’aide aux seniors » (PEGASE) que « lorsque l’aidé est un homme, l’aidant unique est une femme dans 87 % des cas (conjointe 50 %, mère 17 %, autre femme 14 %, fille 6 %). En revanche, lorsque l’aidée est une femme, l’aidant unique est un homme dans seulement 58 % des cas (conjoint 40 %, fils 10 %, autre homme 7 %, père 1 %) […] L’enquête suggère que, quand un homme aide sa conjointe, la relation d’aide semble mieux vécue que dans le cas inverse. Cette situation n’est pas vécue comme une inversion des rôles, mais comme leur continuation : l’homme continue de protéger sa conjointe. Et tout en maintenant ce rôle traditionnel, l’homme est considéré, et peut se concevoir lui-même, comme « exceptionnel ». Contrairement à l’aide conjugale, le genre joue un rôle important dans la désignation des enfants aidants, dans la forme de leur implication ou dans son sens. […] De même que les mères apparaissent plus souvent que les pères pour ce qui concerne les personnes bénéficiant d’une aide filiale, les filles aidantes principales semblent plus nombreuses que les fils ». Les stéréotypes de genre restent ancrés et le soin reste une fonction attribuée aux femmes.
b) Un sexisme allié au capitalisme mettant en danger la santé des femmes et de la planète
Le sexisme, allié au capitalisme, met en danger la santé des femmes et celle de la planète sur l’autel du profit. Perturbateurs endocriniens, produits cosmétiques et ménagers polluants, produits de régimes alimentaires, chirurgie esthétique etc. La consommation excessive de produits reposant sur des représentations du corps féminin illusoires au seul bénéfice des industriels capitalistes est un réel enjeu de santé publique. D’autres produits sont de première nécessité sans être soumis à une règlementation nécessaire et à une accessibilité universelle. 15,5 millions de femmes sont concernées par les menstruations. La Fondation des femmes, les Règles élémentaires et Georgette Sand ont milité ces dernières années pour une exigence de transparence sur l’impact des protections hygiéniques sur le corps des femmes. L’ex-ministre de la Santé O. Véran promettait en mars dernier que d’ici la fin de l’année un décret contraindra « les industriels à afficher sur les emballages la composition, les précautions d’utilisation et les effets indésirables graves qu’elles peuvent provoquer ». Le décret concernera également l’information autour du syndrome du choc toxique, maladie infectieuse pouvant causer la mort. Reste à conquérir l’interdiction des substances toxiques dans ces produits intimes : en 2016, 60 millions de consommateurs l’avait révélé: « Des traces de dioxines (polluants industriels) ont été retrouvées dans des références de marques O.B et Nett, et des résidus de dérivés halogénés (sous-produits liés aux traitements des matières premières) dans une référence de marque Tampax ». Du glyphosate avait également été découvert dans une référence de protège-slips.
c) Des discriminations et violences de genre comme compagnonnes de route du suivi médical
Les violences subies par les femmes se cumulent à d’autres discriminations dans une logique inter-sectionnelle : grossophobie, lesbophobie, transphobie, racisme, validisme etc. Les discriminations se cumulent et se croisent jusqu’à créer des parcours de soin impossibles. Prenons l’exemple de la santé sexuelle des femmes ayant des relations sexuelles avec des femmes (FSF) au défaut de prévention massif. Les stéréotypes autour de leur vie sexuelle peuvent avoir de graves conséquences sur les femmes concernées, notamment sur le dépistage et le traitement des MST/IST. Le site vih.org explique que : « Perçue comme exempte de pénétration et donc de coït, cette sexualité est devenue une non-sexualité rendant invisible les lesbiennes […] Cette « minimisation » du risque et la dénégation d’une sexualité réelle, […) ont été intériorisés et véhiculés aussi bien par les chercheurs et les services de santé que par les FSF elles-mêmes. Ce contexte a notamment occasionné un accès aux soins et au suivi gynécologique insuffisants, renforcés par une méconnaissance et un manque d’outils chez les professionnel-le-s de santé ».
Les femmes ont également pris la parole contre les violences physiques, sexuelles, gynécologiques et obstétricales. En 2018, l’association Osez le Féminisme rapporte que 87 % des Françaises ont déjà « été gênées par le comportement d’un professionnel de santé ». Un quart des femmes interrogées disent aussi avoir subi au moins une fois des gestes ou des paroles à connotation sexuelle dans le cadre d’une consultation médicale. Et 1 femme sur 10 confie même avoir subi une pénétration sexuelle contre son gré dans le cadre d’un examen médical.
En 2018, le Haut Conseil à l’Egalité publiait un rapport sur les « actes sexistes durant le suivi gynécologique et obstétrical » et émet 26 recommandations pour reconnaitre, prévenir et condamner le sexisme dans la pratique médicale. Il déplore que « les recommandations émises par l’OMS, la HAS ou encore le CNGOF, ne se traduisent pas nécessairement dans la pratique gynécologique et obstétricale. La dernière enquête nationale périnatalité publiée en octobre 2017 par la DREES et l’INSERM montre un décalage entre les interventions médicales pratiquées lors de l’accouchement et les recommandations de bonnes pratiques : un taux d’épisiotomie à 20%, alors que l’OMS recommande 10% ; un taux de césarienne à 20,4% alors que l’OMS recommande 10%, précisant qu’un « taux de césarienne supérieur à 10% n’est pas associé à une réduction des taux de mortalité maternelle et néonatale » ; en cas d’épisiotomie : un manque ou une absence totale d’explication sur le motif de l’épisiotomie pour une femme sur deux ; le non choix, pour les parturientes, dans la position de l’accouchement. Par ailleurs, l’état de la recherche et les auditions révèlent la persistance de la pratique de l’expression abdominale : alors que la HAS recommande l’abandon de cette pratique depuis 2007, elle est encore saisie de cas de femmes témoignant en avoir subi une lors de leur accouchement ».
Des hôpitaux surchargés, un manque de personnel médical et une logique de rentabilité associés à un manque de formation et prise en compte du ressenti des patientes favorisent ces violences où le corps est objectivé et la douleur méprisée, ignorée. La Haute Autorité de Santé explique dans son rapport de 2020 « Sexe, genre et santé » que « de nombreuses lacunes sont repérées concernant la formation initiale et continue des professionnels. […] Leurs formations portent peu, ou pas assez, sur la façon dont ils devraient adapter leurs prises en charge et leurs attitudes en fonction du sexe et du genre du patient. A ce manque s’ajoutent des stéréotypes liés au genre encore fortement ancrés, qui conduisent parfois à sous-estimer le besoin de soin ».
Médecine androcentrée : l’homme comme référence de la construction de l’analyse, du diagnostic et du traitement ?
a) Un retard à combler et un androcentrisme en déconstruction dans la recherche médicale
Ignorée, les femmes l’ont été longtemps dans les essais cliniques et les modèles de la recherche médicale, essentiellement construits autour des standards masculins. Depuis environ 20 ans, des efforts considérables ont été effectués. Le registre international des essais cliniques (OMS/NIH), la participation des femmes est passée de 35% en 1995 à 58% en 2018. Il s’agit désormais d’exploiter et de visibiliser ces données plurifactorielles à la hauteur des besoins et des enjeux sans se focaliser uniquement sur le sexe mais bien également sur la dimension sociale du genre. En 2012, le CNRS lancait le « Défi Genre » face à l’absence criante de recherche avancée sur ce thème en France: « Les publications internationales sur le genre en clinique-santé-biologie émanent de pays étrangers. En France les termes genre et sexe sont absents du répertoire Labintel SDV. En clinique/santé/biologie, ces données sur le genre sont fournies par des chercheurs étrangers (UK, USA, Allemagne, Danemark, Suède, Pays-Bas, Autriche). La France et notamment le CNRS ont un décalage par rapport aux autres pays de recherche avancée sur ce thème. Il n’existe aucun laboratoire français affichant parmi ses thématiques genre et biologie, genre et environnement… »[10].
Ainsi, on peut se satisfaire de la création en 2014 du laboratoire d’Études de Genre et de Sexualité (LEGS) du CNRS mais aussi de l’ambitieux projet européen GENDHI portant sur les inégalités de santé entre les femmes et les hommes de la petite enfance à l’âge adulte, qui a débuté en 2020 et a été attribué à des équipes de recherche françaises.
b) La santé des femmes à l’épreuve de la précarité et du poids des stéréotypes de genre
Étudier le genre permet de déconstruire certains stéréotypes considérés comme naturels. Le genre est un comportement socio-culturel tandis que le sexe est une caractéristique naturelle. Comprendre que le sexe et le genre sont des déterminants de santé est devenu à la fois un enjeu de progrès social, d’innovation médicale et de santé publique. Adopter les nouvelles approches bio-sociales (qui combinent les considérations biologiques et les rôles sociaux), inter-sectionnelles (qui étude la manière dont le genre se croise avec d’autres déterminants sociaux de santé) et épigénétiques (qui met en lumière que l’expression biologique du sexe se combine avec les conditions de vie et d’environnement) sont essentielles pour assurer à tous et toutes un parcours de soin adapté aux besoins et à la complexité de chacune et chacun des patients. S’il existe des différences entre les sexes dans presque toutes les pathologies, toutes ces différences ne relèvent pas de l’ordre biologique. Les codes sociaux sont déterminants et peuvent influencer à la fois l’expression des symptômes et le rapport au corps. De plus, la HAS souligne que : « Le poids des normes sociales de genre peut également constituer un vecteur de dégradation de la santé des femmes. […] Les incitations sociales à atteindre des standards de féminité inatteignables sont corrélées à une estime de soi sensiblement réduite à l’adolescence et, à terme, à l’occurrence précoce d’épisode dépressifs. […] Déterminant majeur des inégalités de santé, les différences de revenus entre les hommes et les femmes restent d’actualité, malgré des évolutions dans le sens d’une plus grande équité des salaires. »
L’environnement professionnel est déterminant. La pénibilité au travail et l’exposition aux risques professionnels (cancers, troubles musculo-squelettiques (TMS), risques psycho-sociaux) n’est pas le même pour les hommes que pour les femmes. Une attention plus particulière est portée à la pénibilité du travail dit masculin. Au sein des métiers du soin, de l’entretien et du commerce, principalement féminin, on reconnait la surexposition à des produits polluants mais on sous-estime le port répétitif de charge qui ne respecte pas les normes du code du travail. Les femmes ont plus de risques de développer des TMS que les hommes (54 contre 46%). Première maladie professionnelle reconnue, les TMS sont sous déclarés notamment pour les salariés précaires, par peur de perdre son travail.
c) L’exemple des maladies cardiovasculaires
Longtemps sous représentées dans les études cliniques, l’évolution de la recherche et la prise du compte du sexe et du genre ont permis de faire progresser la visibilité et la prévention des maladies cardiovasculaires chez les femmes qui représentent 54% des décès. La HAS rappelle que « Jusqu’à récemment, seule la stratification nord-américaine permettait une prise en charge différenciée du risque cardiovasculaire. En 2018, la Société française d’hypertension artérielle a constitué un consensus d’experts qui a permis d’élaborer une stratification du risque cardiovasculaire adaptée aux femmes françaises, pour aider les praticiens dans leurs prises en charges, en tenant compte des différentes phases de leur vie hormonale (contraception, grossesse, ménopause) ». Les femmes peuvent développer des symptômes spécifiques qui peinent encore à être décelés et retardent le diagnostic et la prise en charge. De surcroît, lorsque l’on apprend à faire un massage cardiaque, on le fait sur un mannequin masculin, sans poitrine. Or, une étude 2017 de l’Université de Pennsylvanie montre que les femmes ont 27% de chance de bénéficier d’une réanimation cardio-respiratoire par une personne formée car « réticente à l’idée de toucher les seins d’une femme qu’elle ne connait pas »[11].
Le HCE indique qu’« En France le service de cardiologie de l’hôpital Lariboisière (Manzo-Silberman 2018) a mené une vaste étude nationale (17 000 malades) sur le risque de décès après un infarctus du myocarde. Les femmes appellent le SAMU en moyenne 15 minutes plus tard que les hommes. » […] Pour des symptômes identiques de troubles cardiaques, ceux des femmes ont trois fois plus de chance d’être attribués à des raisons émotionnelles qu’à des causes biologiques (Klinge 2010). 74% des femmes ignorent que c’est la première cause de mortalité alors qu’une femme sur trois en décède. Le 8 mars dernier, la Fédération Française de Cardiologie lançait une campagne de prévention et sensibilisation sur le sujet incitant à une optimisation de la prise en charge médicale des femmes. 54% des femmes connaissent l’ensemble des symptômes de l’infarctus.
Considérer tout autant le sexe que le genre et le contexte social des patients garantit ainsi une meilleure prise en charge médicale : « Des recherches récentes ont analysé les cas de récidive de troubles cardiaques 12 mois après un infarctus chez des patients femmes et hommes de moins de 55 ans. Les résultats montrent que les facteurs prédictifs de la récurrence de troubles cardiaques ne sont pas liés au sexe biologique en tant que tel, mais aux rôles genrés. Les facteurs psychosociaux et économiques caractéristiques du genre féminin (bas salaire, travail domestique, stress, anxiété) sont les plus fortement corrélés au risques de récidive (Pelletier 2016, Schiebinger 2018) ». Déconstruire les préjugés liés aux MCV affiliant le risque d’infarctus uniquement au genre masculin, âgé, sédentaire, en surpoids et fumeur relève d’un enjeu de santé publique.
Conclusion
Des avancées notables dans la recherche médicale internationale ont permis de faire progresser les connaissances scientifiques sur l’impact du sexe, du genre et de ses interactions dans l’analyse, la prévention, le diagnostic et le traitement médical. Il reste à traduire cette évolution dans la formation initiale des professionnels de santé. Les mouvements féministes du siècle dernier ont permis de faire entendre la parole des femmes et de leur redonner pouvoir sur leur corps. Autour de la dénonciation des violences de genre persistantes subies par les femmes dans le cadre de leur parcours de suivi médical et au détriment de celui-ci, l’action publique reste faible.
Les 6 à 8 années d’errance médicale précédant un diagnostic d’endométriose (maladie gynécologique chronique qui touche partout plus d’une femme sur dix) est caractéristique du tabou organisé autour des menstruations, d’une relégation au second plan du ressenti et des pathologies féminines et d’une banalisation de la douleur. Le manque de moyens mis dans la recherche publique a des conséquences. On doit à la start-up lyonnaise Ziwig la perspective de la première technique de dépistage de la maladie grâce à un test salivaire. L’enjeu essentiel est de développer des outils de politique publique de santé plus inclusifs, de mettre des moyens supplémentaires dans la recherche médicale sexo-différenciée en prenant en compte la dimension sociale, toujours au bénéfice de la santé publique et du progrès médical. La médecine occidentale androcentrée est en cours de déconstruction, créant l’espoir autour d’une future égalité des femmes et des hommes devant le droit à la santé. Donna Mergler professeure émérite de biologie à l’université du Québec, à Montréal le rappelait en 2014 : « considérer sexe et genre dans la recherche n’a pas pour seul but d’obtenir une société plus égalitaire entre hommes et femmes, mais aussi d’obtenir une meilleure recherche scientifique ».