Résumé :
L’auteur présente une enquête sur la santé des anciens mineurs particulièrement du point de vue des cancers. Il montre la méconnaissance et donc la sous-évaluation de ceux-ci. Il fait des propositions pour le dépistage, la prise en charge médicale et les mécanismes d’indemnisation.
Abstract :
The author presents a survey on the health of former miners, particularly from the point of view of cancers. He shows the lack of knowledge and therefore the underestimation of these. He makes proposals for screening, medical care and compensation mechanisms.
J’ai accepté en 2016, pour donner suite à leur sollicitation, d’aider les syndicalistes responsables de la Branche Mines de la Fédération Mines-Energie CGT à mieux cerner les risques cancérogènes qui existaient dans les anciennes mines françaises. J’ai été sollicité par les mineurs de tous ces types de mines. Le projet consistait à permettre un suivi post professionnel cohérent permettant une prévention secondaire efficace. Je me doutais que cela ne serait pas sans difficulté. Toutefois j’ai rapidement été confronté, d’une part, à la diversité des minerais exploités qui a existé dans notre pays (charbon, fer, uranium, potasse, ardoise, or). D’autre part, concernant les mines de charbon je me suis vite aperçu de l’existence de particularités régionales qui ont rapidement eu pour effet de traiter les risques bassin par bassin.
Ma première approche bibliographique n’a pas été couronnée de succès. Peu d’ouvrages traitent de ces risques et la silice est, ici, l’arbre qui cache la forêt. Néanmoins plusieurs ouvrages savants souvent sociologiques sont disponibles mais peu de contributions traitent de la situation française. J’en tiens néanmoins la liste à disposition, mais les articles concernent plutôt la question dans les mines étrangères. Les archives syndicales, du fait, au mieux, de la quinzaine d’années écoulée depuis la fermeture, étaient partielles et peu déterminantes. N’ayant jamais exercé dans les mines, j’ai alors considéré qu’il me fallait aborder ce travail au croisement entre la clinique médicale du travail et la clinique du travail des ergonomes.
La clinique médicale du travail, que je pratique depuis une cinquantaine d’année, et inscrite dans mon ADN, a pour principe fondateur la confiance entre le médecin et le patient qui considère comme postulat la véracité de la parole échangée notamment concernant le vécu subjectif. J’y ai largement intégré la clinique ergonomique du travail que j’avais acquise, plus tard, dans le cursus du CNAM. Ainsi, la clinique du travail de l’ergonomie me paraissait adaptée dans la mesure où ce qui m’intéressait, avant tout, était le travail réel et les stratégies collectives des acteurs.
Dans mes pratiques professionnelles passées, lors des premières visites médicales, lorsque j’arrivais dans de nouvelles entreprises ou de nouveaux secteurs, pour comprendre de quoi était faite la réalité du travail, je posais à ma patiente ou à mon patient, la question du travail en journée ordinaire et en situation exceptionnelle. Je recoupais ensuite ce que j’avais recueilli avec les réponses de travailleuses et travailleurs occupant le même poste, puis avec mes observations sur le terrain. J’aboutissais en rédigeant des fiches de postes décrivant les risques inhérents aux tâches que j’avais repérées dans l’activité. L’intérêt du travail collectif sur ce sujet avec mes collègues du même secteur était qu’il permettait de cristalliser la connaissance des risques ainsi que leur évolution dans le temps en confrontant nos expériences.
Dans la solitude et l’ignorance du début de ma démarche pour les mineurs, j’ai décidé et proposé d’adapter ma pratique clinique à la mission que j’avais acceptée. Ainsi, j’ai demandé que dans chaque type de mines et rapidement dans chaque bassin de mines de charbon soit réunis des groupes d’anciens mineurs.
Les réunions se déroulaient de préférence en ma présence mais parfois, devant l’énormité du défi, hors de ma présence, mais avec un meneur de jeu local autour de deux questions :
- « décrivez-moi, en nommant le poste que vous occupiez, « une journée habituelle de travail » et les tâches que vous effectuiez alors, et avec quels matériels et éventuellement, si vous vous en souvenez quels produits utilisiez-vous ? »
- « racontez-moi des » journées exceptionnelles » lors de laquelle ou desquelles vous avez dû sortir des tâches habituelles, en effectuer d’autres, lesquelles et dans quelles circonstances, avec quelle fréquence ? »
A partir de ce matériel je remontais la piste des risques et j’élaborais alors un projet de fiche de poste plus ou moins précise que je soumettais ensuite aux intéressés. Cet aller et retour permettait de gommer des erreurs nées d’incompréhensions et de fonder la véracité des fiches de poste.
C’est grâce à ce travail collectif d’échange constant entre spécialiste du travail et mineurs et leurs représentants, lesquels se sont investis sans compter, que la démarche a pu aboutir. Nous avons mis sept années pour voir le terme de notre démarche.
Cela s’est concrétisé par un ouvrage publié et disponible[1] décrivant, type de mine par type de mine (par bassin pour les mines de charbon), poste par poste, les risques cancérogènes et leur origine dans les gestes professionnels mais aussi, et surtout, la nature de la nécessaire surveillance post professionnelle qui devait en être déduite.
En matière de risque professionnel ma surprise progressive a été, qu’a l’exception des centrales thermiques de production d’électricité dans lesquelles j’avais été médecin du travail durant 10 ans, je n’avais jamais observé de métiers exposant à autant de risques cancérogènes cumulés. L’occupant de chaque poste dans le secteur des mines était très souvent exposé à plusieurs cancérogènes et plusieurs atteignant le même organe. J’ai donc conseillé ce qui était considéré comme pertinent en matière d’examen et de fréquence par les organismes nationaux de prévention, tels la HAS ou les anciens arrêtés sur le suivi post professionnel. Toutefois j’ai toujours conclu que la polyexposition et la polyexposition d’organe impliquait des procédures de surveillance adaptées qui relevaient de l’évaluation par des consultations spécialisées en pathologies professionnelles.
J’ai aussi conseillé à mes interlocuteurs syndicaux de se mettre en rapport avec la Division Santé Travail de Santé Publique France afin de demander que soit engagée une étude épidémiologique rétrospective sur la morbidité et la mortalité des anciens mineurs. Lors de l’entrevue avec les épidémiologistes de ce service nous n’avons pu les convaincre, malgré nos arguments et notre insistance, de la nécessité d’une telle étude. J’avais proposé cette démarche, car quelques temps après le début de notre enquête, du fait de l’écho dans ce milieu de la démarche syndicale, j’ai été sollicité pour apporter ma compétence afin d’évaluer les liens entre la survenue de cancers d’anciens mineurs et leurs expositions professionnelles. Ce qui devrait être un travail de connaissance devint progressivement un travail de praticien en matière d’aide à la (re)connaissance des maladies professionnelles.
Ayant été depuis toujours engagé comme médecin du travail dans les droits à la reconnaissance des maladies liées au travail, que je croyais susceptible de nourrir la prévention, je n’ai pu éviter ce travail opiniâtre, et désolant quant à ses résultats incertains, pour les mineurs qui s’adressaient à moi.
Malgré plusieurs rencontres communes avec les caisses de sécurité sociale des mines en compagnie des syndicalistes, chaque déclaration est devenue, comme dans les autres secteurs, un combat. Il n’y a plus d’accueil empathique des victimes que j’avais observé au début de ma carrière. Pour fourbir mes armes, j’ai rejoint la commission médico-juridique d’une association de victimes ayant élargi son périmètre de compétence au-delà de l’amiante.
Les responsables syndicaux et moi-même avons rencontré, à notre demande, au sujet du suivi post professionnel, la division risques professionnels de la CNAM qui a suivi nos propositions en recommandant dans une lettre réseau l’intervention dans le suivi post-professionnel des consultations de pathologies professionnelles. Cette lettre réseau a malheureusement été modifiée, après intervention des organismes chargés de la gestion des conséquences sociales des anciennes mines et des CPAM du régime minier. Le suivi post-professionnel passe dorénavant, en théorie, par les médecins traitants référents ce qui pose un problème de pertinence du suivi. Ainsi, à la demande des intéressés, je rédige des propositions de prise en charge en insistant sur la nécessaire intervention des consultations de pathologies professionnelles.
Je n’avais, jusqu’à récemment, aucune évaluation objective, de l’impact de leur ancien travail sur la santé des mineurs dans la mesure où ma mise en visibilité pouvait, selon moi, avoir biaisé mon évaluation de l’impact des cancérogènes sur la santé des anciens mineurs. C’est alors que récemment les syndicalistes du secteur ont pu comparer les reconnaissances de maladies professionnelles des mines et celles du régime général. Ce que je prenais pour un possible biais d’observation est devenue une réalité incontournable.
Ainsi, de 2017 à 2023 :
- Pour une reconnaissance dans le cadre du régime général d’une leucémie dans le cadre du tableau lié au benzène (T 4), 20 mineurs sont reconnus
- Pour une reconnaissance dans le cadre du régime général d’une maladie dans le cadre du tableau lié aux rayonnements ionisants (T 6), 200 mineurs sont reconnus
- Pour une reconnaissance dans le cadre du régime général d’un cancer de la vessie dans le cadre du tableau lié aux huiles minérales (T 16 bis C), 70 mineurs sont reconnus
- Pour une reconnaissance dans le cadre du régime général d’une maladie dans le cadre du tableau lié à la silice (T 25) 435 mineurs sont reconnus
- Pour une reconnaissance dans le cadre du régime général d’une maladie dans le cadre du tableau lié à l’amiante (T 30 et 30 bis) 75 mineurs sont reconnus
- Pour une reconnaissance dans le cadre du régime général d’une cancer du rein dans le cadre du tableau lié au trichloréthylène et hors tableau (T 101) 108 mineurs sont reconnus
- Pour une reconnaissance dans le cadre du régime général d’un cancer de la peau dans le cadre du tableau lié aux huiles minérales (T 36 bis A), 194 mineurs sont reconnus
Ainsi dans le cadre de la reconnaissance des maladies professionnelles notamment cancéreuses pour une victime hors mines sont reconnus 194 mineurs !
Il s’agit ici d’une catastrophe sanitaire majeure dont nous doutons que les employeurs de mines et l’Etat qui les soutenaient ignoraient l’existence au regard des conditions de travail. Les reconnaissances de maladies professionnelles n’étant que la partie émergée de l’iceberg des cancers professionnels, ces statistiques rendent encore plus impératif une étude épidémiologique sur la morbidité et la mortalité des mineurs.
Se pose aussi la question des conditions de travail dès lors que de nouvelles mines seraient ouvertes en France métropolitaine et ultramarine.
Cela devrait avoir trois conséquences immédiates :
- La mise en place d’un suivi post professionnel automatique et renforcé pour tous les anciens mineurs dans le cadre d’une consultation de pathologies professionnelles. Ce suivi doit être facilité par des conditions simplifiées de prescription et de prise en charge des examens, incluant des prises en charge automatiques des transports dans ce cadre.
- Des procédures d’instruction de déclarations des maladies professionnelles simplifiées et de reconnaissance dans un cadre empathique. La procédure pourrait, par exemple, prévoir la saisine automatique, par l’organisme refusant la reconnaissance, de l’organisme de contestation sur simple accord de la victime présumée.
- Une réparation intégrale par un « fond d’indemnisation des victimes du travail dans les mines » mis en place par l’Etat et abondé financièrement par les exploitants miniers, par une taxation des produits importés et l’Etat.
Faut-il rappeler ici que « perdre sa vie à la gagner » est contraire aux principes définis par la Constitution de la République qui précise dans le 11ème alinéa de son préambule qu’est garantie par l’état la « protection de la santé ».