La pratique médicale en santé au travail est une forme d’exercice très particulière, nécessitant une clinique spécifique dont la particularité est de ne pas être enseignée dans les cours des facultés de médecine. Il semble que pour les enseignants et les décideurs, la santé au travail c’est faire du soin ou au mieux de la prévention pour la santé sur le lieu de travail.
L’exercice médical en santé au travail suit des modalités totalement ignorées des praticiens exerçant dans les autres disciplines (et notamment des médecins siégeant dans les Conseils de l’Ordre des Médecins quel que soit le niveau de l’instance). Les professionnels de cette discipline ne prennent pas toujours la peine de réfléchir aux règles de métier de leur art. formés par des professeurs de pathologie professionnelle qui ont rarement exercé la médecine du travail hors des hôpitaux, ils se débrouillent comme ils peuvent dans un exercice souvent solitaire.
Ce livre est édité alors que nombre de médecins du travail sont confrontés à des poursuites devant le Conseil de l’Ordre des Médecins pour avoir exprimé des conclusions médicales sur le lien entre les conditions de travail de salariés et la dégradation de leur santé, ce qui est pourtant l’essence de leur rôle.
Le but de cet ouvrage est donc de faire connaître ce type d’exercice médical se déployant dans un univers particulier (le monde de l’entreprise) régi par des règles spécifiques (subordination, code du travail) et où les rapports de domination sont exacerbés. Le médecin du travail, comme les membres de l’équipe pluridisciplinaire, placé au centre des conflits sociaux de pouvoir doit garder le cap de la protection de la santé des salariés. La clinique médicale du travail est le cadre qui permet cet exercice.
Ce livre s’adresse en priorité aux médecins et futurs médecins du travail ainsi qu’aux autres professionnels de santé des équipes pluridisciplinaires exerçant en santé au travail : IDEST (infirmiers en santé au travail) et même secrétaires ou préventeurs qui voudraient comprendre le « monde » dans lequel ils travaillent. Il intéressera également les généralistes, de plus en plus confrontés aux conséquences délétères du travail sur la santé de leurs patients. Il devrait accompagner la réflexion des politiques (notamment les élus) qui ont à déployer leur action sur les questions de santé au travail, ainsi que celle des syndicalistes pour qui c’est souvent un champ d’action à défricher.
Les auteurs ont voulu regrouper des textes déjà parus dans la revue de l’Association Santé et Médecine du Travail afin de faire connaître leur discipline à toute personne intéressée par la défense de la santé des salariés (représentants du personnel dans les entreprises) mais aussi élus de la nation appelés à légiférer sur le droit du travail et de la santé au travail.
La clinique médicale du travail
Le texte s’attache d’abord à démontrer qu’il s’agit bien d’une clinique médicale spécifique répondant à la définition d’une clinique médicale. Dans l’introduction, après avoir posé quelques repères sur la santé et les conditions de cet exercice, défini dans le cadre d’une mission d’ordre public social et pratiqué dans un espace spécifique (l’entreprise), ce qui en fait un exercice très « politique », il aborde la nécessité, autant fonctionnelle que vitale, de l’exercice collectif, au sein des équipes pluridisciplinaires ou entre pairs.
Les principes
Une première partie reprend des principes fondamentaux, issus des réflexions sédimentées depuis plus de cinquante ans, retraçant les principes de cette clinique médicale et les concepts utilisés. Elle fait appel à différentes disciplines des sciences sociales.
La clinique médicale du travail considère la travailleuse ou le travailleur comme un sujet en relation avec son environnement de travail et prend en compte sa dimension collective. Elle se construit autour du sens que le travail, ou plutôt l’acte de travailler, prend pour le travailleur et l’importance du pouvoir d’agir dans la construction de sa santé. Elle opère en permanence un aller-retour entre l’individu et le collectif, se rapprochant de la psychologie concrète de Politzer. Elle identifie et prend en compte les défenses du sujet contre sa souffrance. Au-delà du diagnostic individuel, cette clinique est tournée vers le diagnostic collectif pour permettre aux collectifs de travailleurs ou de travailleuses de comprendre ce qui altère leur santé pour aller vers des améliorations des conditions de travail (transformer le contenu du travail).
Un article très fouillé détaille les différents écrits des médecins du travail, leur rôle, leur statut, leur forme. Dans un période où écrire devient risqué pour le médecin, ce document peut intéresser tous les médecins ou tous les professionnels qui cherchent à comprendre ce que l’on peut attendre de ces écrits et comment écrire en limitant les risques de poursuites. Comment continuer à agir le plus efficacement possible ; écrire peut être un premier acte de résistance (face à la peur, la résignation et l’autocensure).
Une deuxième partie reprend des textes publiés dans la revue de l’ASMT (Association santé et médecine du travail) depuis les années 1990. De nombreux thèmes sont abordés ; au hasard : le genre, la sous-traitance, les RPS, l’organisation du travail et les nationalisations. Ce livre peut se lire en circulant dans les différents chapitres au grès des intérêts du moment. Les sujets, même s’ils ont été traités il y a dix ans ou même plus, ne perdent pas de leur actualité. Chaque article repris dans ce livre, renvoie au cahier SMT dans lequel il a été publié initialement, montrant la constance des interrogations des médecins du travail pour faire connaître leur métier et mettre en lumière les problèmes de santé dans le monde du travail.
NB : l’ensemble des cahiers de l’Association Santé et Médecine du travail sont accessibles sur :
http://www.a-smt.org/cahiers/cahiers/cahiers.htm