NDLR : nous donnons ici pour information le texte publié par le réseau Europe-Health-Network . Chacun des textes relatifs aux situations nationales a été produit par les membres du Réseau actifs dans leur pays
L’Europe et les pays qui la composent ont la mémoire courte. Le 07 avril 2023, journée européenne de lutte contre la commercialisation, et journée mondiale de la santé : ce fut un « booster » pour les constats, promesses et engagements des autorités pendant la pandémie ! Ce dont l’Europe a besoin, c’est un vaccin contre la commercialisation de la santé !
La pandémie a fait des centaines de milliers de morts en Europe, et plus encore dans le reste du monde. Elle a mis en lumière les faiblesses des systèmes de santé nationaux (et régionaux) déjà fragilisés par des coupes budgétaires et gangrénés par l’influence des intérêts commerciaux et financiers.
De même, le double discours européen est apparu au grand jour :
- L’UE n’a pas de compétences propres en matière de santé, et elle affirme qu’elle soutient un haut niveau de protection sociale et d’accessibilité en matière de santé à travers le « Socle européen des droits sociaux ».
- Mais en même temps, elle exerce une pression immense sur les budgets affectés à cette même protection sociale (et donc y compris en santé publique), à travers les règles de convergence budgétaire, et les bulletins réguliers attribués aux Etats membres (« Le semestre européen »)
Durant la pandémie, l’Europe a en effet tenu un rôle non négligeable :
- en suspendant les règles de convergence budgétaire qui auraient empêché les États d’assumer les dépenses indispensables à la gestion de la crise ;
- en tentant d’organiser l’accès équitable au matériel et dispositifs de protection ;
- en finançant la recherche vaccinale ;
- en organisant des achats groupés de vaccins…
Mais dans le même temps, l’Europe maintenait son soutien au dispositif des brevets et négociait sans aucune transparence le prix des vaccins, garantissant ainsi des profits exorbitants pour le « big pharma », sur le dos des budgets publics. A la sortie de crise, l’UE adoptait un plan pluriannuel 2021-2027 appelé « UE4Health » à hauteur de 5,3 milliards €, visant à promouvoir la santé, à protéger la population, à renforcer les systèmes de santé. De même, un Plan de Relance et de Résilience ambitieux intègre un axe relatif à la Santé, chaque pays devant définir des objectifs quantifiables et objectivables, permettant de débloquer les budgets disponibles.
Entre temps, les crises climatiques, de l’énergie et la guerre en Ukraine sont passées par là. Les initiatives et budgets considérés comme essentiels et prioritaires pendant et à la sortie de la pandémie sont progressivement relégués en arrière-plan. Les budgets eux-mêmes sont remis en cause, et conditionnés à un retour à la rigueur budgétaire. Au niveau du vaccin et de la politique pharmaceutique, malgré une initiative citoyenne européenne « Pas de profit sur la pandémie » qui a récolté des centaines de milliers de signatures au niveau européen, aucune avancée significative n’a pu être engrangée dans la concrétisation d’une prédominance de l’intérêt collectif et de la santé publique sur les intérêts du « big pharma ».
Dans les différents pays européens, les mêmes constats :
- les promesses qui ont suivi les applaudissements ont partiellement été concrétisées en 2021, et un peu en 2022 ;
- par contre, aujourd’hui, les autres crises ont pris le dessus en terme de priorité. Et les décisions politiques qui s’en suivent débouchent sur des tensions budgétaires accrues en matière de santé.
Faute d’investissements publics suffisants pour répondre aux défis sanitaires, deux grandes tendances se superposent dans de nombreux États membres :
- Le personnel qui était déjà en difficulté avant la pandémie, a tout donné pour la combattre, en payant un tribut important dans cette lutte. Mais il a dû assurer en outre le « rattrapage » post-pandémie des prises en charge non effectuées ou retardées, de l’absence de prévention… avec aggravation des pathologies. Dans certains pays, l’obligation vaccinale avec sanctions pour le personnel non vacciné a été considérée comme un manque de reconnaissance du travail fourni. Les conditions de travail fortement dégradées et le manque de reconnaissance ont amené le personnel soit à fuir le secteur totalement ou partiellement, soit à subir des maladies et incapacités de travail, parfois de longue durée ou définitives. Ces mêmes conditions de travail et les salaires insuffisants au regard des responsabilités et risques professionnels, ont provoqué une chute de l’attractivité des métiers de soins, y compris pour les jeunes. La pénurie s’est largement généralisée et aggravée en Europe, créant des déserts médico-sanitaires, la fermeture de lits, de services, l’allongement des temps d’attente, une dégradation de la qualité… de même qu’une réduction importante de la prévention et de la santé communautaire .
- Faute de balises des autorités européennes pour préserver l’offre publique et non marchande en soins de santé, et face à l’insuffisance de cette offre pour répondre aux besoins grandissants, l’offre commerciale continue à se déployer, visant la demande solvable et rentable (les soins qui ne coûtent pas trop cher aux personnes plus riches), laissant donc au service public et non marchand les prestations moins rentables (y compris la continuité et la prévention) pour les populations plus fragiles. De même, on constate un accroissement de la part financière à charge des patients (« out of pocket »). Dans ces conditions, nul doute que l’accessibilité à des soins de santé de qualité soit largement mise en cause. Que ce soit au niveau géographique, au niveau économique, au niveau temporel, et même culturel. Le personnel a été au bout de ce qu’il pouvait donner. Faute de plans globaux visant à casser le cercle vicieux mis en place après la pandémie, il n’y a aucune raison de croire qu’on pourra inverser la tendance à la dégradation de l’offre de santé en quantité, en diversité et en qualité. Il s’agit d’un choix de société : une santé commerciale au profit de quelques firmes et des populations solvables ou LA SANTE POUR TOUS ET TOUTES !
Ci-après quelques illustrations nationales de la situation :
Situation sanitaire en Italie : de la pandémie au nouveau gouvernement de droite
L’arrivée de la pandémie en Italie a été tragique, mettant en évidence la pénurie absolue existant depuis un certain temps, en médecine locale, de proximité, la suppression de nombreux services de prévention et d’hygiène qui auraient pu immédiatement activer un plan face à la pandémie. Soulignons aussi la réduction des lits dans les hôpitaux publics, les seuls capables de faire face à des maladies complexes de toutes sortes et en particulier sur une base infectieuse.
Mais aucun plan anti-pandémie n’avait été mis à jour ni activé. Tout cela est le résultat de décennies de démantèlement de la santé publique, de définancement progressif amenant une incapacité à répondre aux besoins de santé des citoyens. Par contre, les soins de santé privés accrédités, avec de l’argent public, ont continué à maintenir leurs activités, garantissant et développant ainsi la commercialisation de la santé et leur profit économique. La population âgée a été la plus touchée, précisément parce qu’elle est le maillon faible de toute la société, tant lorsqu’elle se trouve chez elle que lorsqu’elle est hospitalisée ou hébergée dans des établissements résidentiels.
Les agents de santé ont été les plus touchés ; leurs conditions de travail déjà très difficiles avant la pandémie se sont aggravées partout. Les pénuries de personnel, les contrats à durée déterminée, la précarité croissante, les heures supplémentaires, les quarts interminables sans repos, le manque d’équipement et d’outils de travail, les maladies et la contamination par le Covid ont réduit le personnel de santé, favorisant en partie leur évasion de ces situations de travail de plus en plus stressantes, en partie provoquées par les maladies professionnelles.
Aujourd’hui, la situation est encore compliquée par une politique de droite perverse et des mesures gouvernementales qui choisissent de fragmenter l’Italie, divisant les citoyens en citoyens de première classe et citoyens de seconde classe, imposant une « autonomie » régionale et décisionnelle à de nombreux secteurs, en premier lieu sur la santé. Dans cette situation astucieusement créée, le gouvernement choisit de livrer des médicaments au secteur privé accrédité, au secteur tertiaire et aux pharmacies privées à 80%. Il choisit de mettre en œuvre une réforme pour les personnes handicapées et les personnes âgées, en révisant la structure de la reconnaissance du handicap (on ne sait pas encore comment). Pour les personnes âgées, il est également question de supprimer l’allocation d’accompagnement prétendant vouloir « épargner ». Un nouveau système d’assistance est défini en les excluant du Service national de santé et en leur demandant de payer eux-mêmes les services nécessaires; en fait ils visent à les ghettoïser.
A-t-on appris quelque chose de la pandémie ?
- Les listes d’attente pour les soins ambulatoires ou hospitaliers ont augmenté. Le Service national de santé envoie les gens directement dans des établissements privés accrédités et augmente le statut professionnel d’indépendant dans les établissements hospitaliers.
- Les médecins généralistes sont drastiquement réduits et de nombreux citoyens se retrouvent à ne plus avoir de médecin généraliste ou se retrouvent pris en charge par des jeunes médecins souvent précaires, devant assurer un nombre croissant de patients sur un territoire de plus en plus vaste.
- Les soins à domicile pour les personnes âgées sont de plus en plus garantis par le secteur privé agréé, souvent remplacé par des coopératives avec du personnel précaire et sous-payé et par le troisième secteur.
- On déplore une augmentation des frais dans les résidences de soins infirmiers pour les personnes âgées souffrant de maladies chroniques et non autonomes.
- Le personnel de santé publique est encore plus réduit tant en première ligne que dans les hôpitaux publics, en particulier les urgences sont de plus en plus à risque. De plus en plus de médecins et d’infirmières préfèrent abandonner la santé publique face à des salaires toujours plus bas et des conditions de travail de plus en plus lourdes pour aller travailler dans le privé ou à contrat.
- Avec beaucoup de difficultés, les associations, les mouvements, les comités s’organisent et se mettent en réseau, produisant des plates-formes communes en insérant tous les points nécessaires pour créer les conditions indispensables pour redéfinir et réorganiser la santé publique et universelle. Ils se mobilisent sur tout le territoire national, en partant des réalités locales et en trouvant progressivement des moments de connexion et de coordination entre elles.
Ce que demandent ces mouvements :
- Èliminer l’externalisation, financer adéquatement les services publics, remotiver le personnel de santé et social en lui garantissant des conditions de travail adéquates et des droits pleins et entiers, y compris ceux de signaler les dysfonctionnements. La santé n’est pas un coût, c’est un investissement qui, s’il est bien dirigé, produit un avantage pour l’ensemble de la société.
- La prévention est la première fonction du Service national de santé. Elle produit des services de santé et des organisations à but non lucratif: la protection sur le lieu de travail, la sécurité alimentaire, le contrôle des conditions de vie, l’amélioration de la situation environnementale sont autant d’activités primaires qui sont à la base de l’intervention publique pour le droit à la santé. La corporatisation a rendu ces activités complètement marginales en réduisant considérablement le personnel technique qui y est dédié.
- La médecine territoriale doit être renforcée immédiatement, en tenant compte des caractéristiques locales, en prévoyant des formes de travail en équipe des MG, en réduisant leurs tâches administratives, en récupérant l’activité clinique, en augmentant le nombre et en renforçant le rôle des infirmières « communautaires ». La proposition de donner aux pharmacies (presque toutes privées) un rôle de substitut dans la médecine territoriale n’est pas acceptable.
- La santé publique est essentielle pour assurer la planification des interventions ainsi que la distribution et l’utilisation correctes des ressources.
- Les citoyens, les associations et les autorités locales doivent être associés aux choix en matière de santé.
Covid aux Pays-Bas : Quelles leçons en avons-nous (ou pas) tirées ? Comment cela affecte-t-il encore les soins de santé aujourd’hui ?
Comme partout ailleurs, Covid a totalement bouleversé les Pays-Bas et les soins de santé néerlandais. Au départ, sa gravité a été largement sous-estimée. Le carnaval et les vacances de ski, par exemple, se sont déroulés comme d’habitude, alors qu’il était déjà évident que la pandémie allait être grave et que le risque d’infection était élevé lors des événements de masse. En outre, la quasi-totalité des équipements de protection manquaient, car les principes économiques de “mean and lean” et du “just in time” sont également appliqués dans le secteur des soins de santé. Ce manque concernait également, par exemple, les médicaments antiviraux, car la recherche et la production de ces derniers étaient auparavant considérées comme inutiles et trop coûteuses.
C’est en partie à cause de ces lacunes que les soins de longue durée (maisons de repos, soins aux personnes âgées, etc.) ont d’abord été “oubliés” ou, pire, qu’ils étaient censés être moins nécessaires dans ces établissements. Lorsqu’il s’est avéré que c’était une idée fausse, ces patients ont été isolés sans qu’on ne tienne compte des conséquences. Celles-ci se sont avérées dramatiques : de nombreuses infections, de nombreux décès (parfois jusqu’à 50 % des résidents) et une grande pression émotionnelle pour les soignants et les résidents, renforcée par l’isolement que de nombreux résidents ne comprenaient pas (“pourquoi ma famille ne vient-elle soudainement plus me voir ?”) et par l’incompréhension et la colère des proches qui ne pouvaient même pas dire au revoir à des personnes mourantes.
Implications pour les soins
De nombreuses infections à Covid chez les soignants avec souvent des conséquences à long terme, (Long Covid jusqu’à ce jour), ce qui a laissé les collègues avec une charge de travail impossible et des doubles contraintes. Les hôpitaux surpeuplés, les soins intensifs et lourds requis, ajoutés à l’absentéisme élevé et à la pression émotionnelle, ont entraîné une charge de travail énorme dans presque tous les hôpitaux et bien au-delà. L’unité de soins intensifs (Intensive Care) s’est révélée mal préparée à l’ampleur de la pandémie et au grand nombre de cas de maladies très graves. Les soins intensifs disponibles aux Pays-Bas sont axés sur les “nécessités quotidiennes” et ne sont pas préparés à des situations d’urgence comme cette pandémie. En conséquence, tous les autres soins (“soins planifiables”) ont rapidement été reportés, ce qui a nécessité l’annulation de milliers et milliers d’opérations. Cela a entraîné des souffrances inutiles, une aggravation de la morbidité et une surmortalité (qui n’a pas été attribuée au Covid). Un retard qui, à ce jour, ne semble pas avoir été rattrapé.
Quelles sont les conséquences des forces du marché dans cette période ?
Outre les problèmes liés aux forces du marché évoqués précédemment, il est apparu très rapidement que les forces du marché rendaient également très difficiles la coordination et la coopération entre les hôpitaux, par exemple (en termes de répartition des patients, mais aussi de partage des connaissances et du personnel disponible). Au départ, le pic de patients se situait dans le sud des Pays-Bas. Ce n’est qu’après avoir été obligé de le faire que les autres hôpitaux ont commencé à accepter des patients. Au départ, ils craignaient de compromettre leurs soins habituels et de ne pas pouvoir respecter leurs accords avec les assurances de santé. La structure financière (avec nos nombreuses assurances privées et concurrentes qui signent des contrats avec les prestataires de soins de santé) est extrêmement prohibitive, car « qui paie quoi ? ».
Les principes économiques du “mean and lean” et du “just in time” (c’est-à-dire pas de stocks, pas de recherche sur des choses (à l’époque) non nécessaires ou non rentables, pas de lits d’appoint vacants, pas plus d’équipements de respiration artificielle qu’il n’en faut dans des circonstances normales, etc) sont en grande partie responsables de cette pénurie. Cela signifie également que toutes sortes d’autres fournisseurs ont soudainement saisi leur chance et ont proposé ces ressources rares à des prix parfois exorbitants et d’une qualité douteuse. Il en est résulté encore plus de chaos, de gaspillage, de frictions et même des pratiques abusives qui donnent lieu aujourd’hui à des poursuites judiciaires.
Bien entendu, l’énorme pression administrative résultant des forces du marché et de la concurrence entre les caisses d’assurance maladie n’a pas aidé non plus. En temps normal, presque partout, on consacre déjà beaucoup de temps à l’administration et donc pas aux soins, mais en temps de crise, cela se vérifie encore plus fortement. (Soit dit en passant, un certain nombre de procédures bureaucratiques et compliquées ont au contraire été supprimées –temporairement – dans les hôpitaux pendant les pics de COVID. De nombreux prestataires de soins dans les hôpitaux se souviennent avoir pu travailler plus efficacement pendant la période COVID). Enfin, bien sûr, il y a les profits énormes de Big Pharma et donc beaucoup d’argent prévu pour les soins, mais qui n’est pas dépensé pour les soins.
Qu’en ont tiré les Pays-Bas ? Trop peu !
La première chose qui saute aux yeux, c’est que les soins de santé sont loin d’être rétablis. Pourtant, les politiques et le ministre de la santé parlent déjà beaucoup de réduire les budgets des soins de santé “parce qu’ils deviennent trop chers” (sans analyser pourquoi ils deviennent trop chers). À proprement parler, il n’y a pas de réduction, mais un ralentissement de l’augmentation des coûts, une augmentation due entre autres au vieillissement de la population. Ainsi, un accord selon lequel le budget n’augmenterait pas après 2021 devient en fait une réduction. En effet, fournir plus de soins au même prix est une réduction.
Les soins sont considérés comme un coût plutôt que comme un investissement dans une société saine et civilisée. Le renforcement des forces du marché est donc considéré par le gouvernement comme la solution (à ces coûts élevés) et certainement pas comme un problème majeur (coût élevé, argent pour les soins non dépensé pour les soins, soins de moins bonne qualité, etc.). En outre, les évaluations, (les recherches) etc. aux Pays-Bas sont très fragmentées, le “triste point culminant” étant l’enquête parlementaire qui a à peine démarré, en partie parce que la commission d’enquête comprenait des négationnistes notoires de la pandémie. Là où des recherches sont menées, par exemple sur le Long Covid, celles-ci risquent même d’être interrompues faute de moyens financiers suffisants.
De nombreuses recommandations émanant du secteur des soins de santé lui-même n’ont pas été suivies d’effet. Notons notamment :
- Ne pas dépendre des acteurs du marché pour le développement et la production de nouveaux médicaments.
- Conserver les capacités des hôpitaux et des unités de soins intensifs, mais aussi les équipements médicaux tels que les équipements de respiration artificielle, pour faire face aux situations d’urgence.
- Conserver des stocks importants d’équipements de protection individuelle pour les périodes où ils sont nécessaires en grandes quantités. Il est préférable de vendre ces fournitures dans les magasins de bricolage après quelques années en raison des dates de péremption, plutôt que de ne plus en avoir à un moment où elles sont désespérément nécessaires mais non disponibles.
- Organiser l’approvisionnement et la production en Europe pour réduire le prix des médicaments et des matériaux et être moins dépendants des producteurs extra- européens,…
En outre, les Pays-Bas demandent de l’argent au titre du Fonds européen de relance, mais semblent vouloir l’utiliser non pas pour le rétablissement des soins actuels, mais pour le développement de nouvelles TIC (c’est-à-dire “encore moins de mains au chevet du patient”). Tout cela conduit à une situation très préoccupante dans le secteur des soins de santé à l’heure actuelle
Une charge de travail beaucoup trop élevée en raison d’un manque de personnel dans presque tous les soins et beaucoup trop de temps qu’on est obligé de consacrer à des tâches non liées aux soins, en grande partie de l’administration. En outre, le fait que, en partie à cause de cette situation, de nombreuses personnes quittent le secteur des soins (y compris un nombre impressionnant de personnes qui n’ont commencé à travailler que récemment dans le secteur des soins) n’arrange pas les choses. Un cercle vicieux, en d’autres termes. Avant Covid, il y avait déjà une énorme pénurie de personnel. Cette situation est devenue encore plus évidente pendant le Covid. Ils ont été applaudis, mais le gouvernement a refusé d’accorder une augmentation de salaire au personnel soignant. Lors d’un débat parlementaire à ce sujet, les partis au pouvoir ont quitté l’hémicycle pour empêcher qu’une telle augmentation soit votée. Le premier ministre s’est défendu en déclarant que les employeurs et les employés devaient se mettre d’accord sur cette question dans le cadre de la convention collective. Cela aurait pourtant été positif pour l’image des soins de santé. Entretemps, près de trois ans plus tard, le personnel doit toujours se battre pour obtenir une juste augmentation de salaire.
Les soins primaires et les soins à domicile risquent aujourd’hui de s’effondrer sous la pression du travail, l’augmentation des tâches (qui ne peuvent plus être effectuées ailleurs dans les soins de santé ou qui y sont éliminées) et les forces du marché, ce qui a des conséquences importantes sur l’accessibilité et la qualité. De plus en plus, les consultations, par exemple, se font par voie numérique avec un médecin généraliste éloigné et temporairement remplaçant. Qu’en est-il du lien nécessaire (de confiance) entre le patient et le médecin généraliste ? La prévention fait déjà l’objet de peu d’attention en raison de son mode de financement (les assurances paient principalement par acte médical) et, en partie à cause de cette évolution, elle semble faire l’objet d’encore moins d’attention.
Situation au Portugal
Pendant la pandémie, l’activité d’assistance a diminué en raison de la priorité accordée à la lutte contre le Covid. Après la pandémie, les problèmes qui existaient déjà se sont aggravés et l’accès à la santé des Portugais s’est détérioré. Plusieurs services, notamment les urgences pédiatriques, ferment pendant certaines périodes. Le manque de valorisation des carrières professionnelles pousse les médecins, les infirmières et les autres professionnels de la santé à quitter le service public de santé pour aller travailler dans le secteur privé. Les problèmes s’aggravent et aucune mesure n’a été prise par le gouvernement pour résoudre la situation. D’ailleurs, l’inertie semble impliquer que la libéralisation du secteur de la santé publique est une option pour le gouvernement.
Espagne, la situation au 7 avril 2023 : un mercantilisme croissant avec la bénédiction des dirigeants
Le 14 mars 2020, l’état d’alerte a été déclaré en Espagne et nous avons été frappés par un tsunami qui a dévasté nos vies. Il s’est attaqué à notre santé avec agressivité et violence face à un record de coupes d’austérité dans les ressources sanitaires. Pour faire face à une telle situation, les gouvernants ont décidé de payer la dette financière socialisée en rendant malades nos services publics déjà affaiblis. Notre loi générale sur la santé (1986) parle de durabilité. Bien que toujours en vigueur, cette loi a été violée par des lois ultérieures et déformée par les paramètres mercantilistes du gouvernement conservateur (Celui-ci a annulé l’universalité, introduisant un modèle différent qui nous qualifie d’assurés et non de propriétaires). La durabilité durant la pandémie était plus fictive que réelle, comme fictive est l’économie de casino qui maintient ce système idéologique néolibéral en place. La logique du marché a pris le pas sur celle de la démocratie et ses obligations innées de garantir les droits et les biens de tous les citoyens. Les conséquences de cette situation en termes de gestion se sont avérées graves.
Le stress test négatif évident de la pandémie indique qu’il s’agit d’un modèle défaillant qui doit être désactivé.
- Les soins primaires, premier point d’entrée pour réduire l’impact des personnes infectées, sont maintenant malmenés.
- Des décisions politiques chaotiques ont produit la perturbation au milieu du désastre.
- Des décisions contradictoires et non structurées constantes se sont ajoutées à un manque de ressources pour la protection des travailleurs de la santé, couverts de sacs poubelles et de masques improvisés ou reçus de volontaires qui les ont fabriqués de manière artisanale.
- Dans le même temps, des services hospitaliers fermés à la suite de décisions politiques ont refusé d’ouvrir alors que des personnes mouraient dans des conditions de surpeuplement et que le personnel de santé souffrait au point d’en être désespéré. Certains sont toujours fermés en raison de l’obstination et des intérêts du plan néolibéral inefficace et malveillant. Cette déstructuration, par manque de direction au niveau de la gestion de la santé, plus typiques de petits environnements que d’un pays avec des millions de citoyens à prendre en charge, a révélé les échecs d’un modèle basé sur l’autorégulation des marchés plutôt que sur l’indispensable gestion par les gouvernements et les institutions.
- D’énormes dépenses improvisées ont été consenties, dues pour beaucoup à des achats de mauvaise qualité et à des surcoûts d’intermédiaires s’enrichissant sur le dos de la pandémie, malgré des millions de personnes contaminées et des dizaines de milliers de morts. 14 millions d’infections n’ont pas suffi, pas plus que 140 000 morts, dont 40 000 personnes âgées et dépendantes dans les maisons de retraite. Ceux-ci ont vécu un enfer dans la solitude et sont mortes, sans un minimum de chaleur familiale, malgré les efforts des professionnels qui ont pu leur prodiguer une dernière caresse. Les maisons de repos ont été le premier foyer de déshumanisation en toute impunité d’une direction institutionnelle coupable qui se soustrait à ses fonctions d’inspection dans des centres privés et publics-privés qui, en raison leur finalité, doivent également répondre à une fonction publique.
Après le confinement, nous sommes passés par des phases de prise de décisions politiques.
La priorité a clairement été donnée à l’économie sur la santé. Selon nous, les malades et les morts étaient considérés comme des dommages collatéraux qui pouvaient être assumés sans autre forme de procès. Cette tragédie n’a pas amené à une réflexion quant au poids des coupes budgétaires et à l’obligation de disposer de ressources adéquates avec un financement approprié.
À Madrid, les services d’urgence extrahospitaliers, qui complètent les soins primaires dans un modèle de service public, qui devraient fonctionner sans fermeture tout au long de l’année, ont été soudainement fermés en 2020 pour la seule raison de fournir le « miracle » de l’IFEMA (site d’organisation d’événements qui a coûté des millions d’euros), ou l’hôpital Zendal qui continue à ponctionner les deniers publics avec divers spéculateurs et sans aucun retour pour la santé communautaire ; ce n’est même pas un hôpital en activité mais plutôt un navire sans avenir qui le justifie. Les marchés ne sont plus des rois, mais des empereurs ; les hommes politiques, leurs vassaux ; les citoyens, leurs esclaves. La pandémie a été arrêtée par décret, bien qu’elle se soit poursuivie.
Nous, les citoyens, propriétaires du système, avons dû gérer nos propres ressources ; nous avons perdu nos droits dans un modèle de plus en plus soumis à des directives mercantiles. Nous avons même dû aller travailler en étant infectés par le Covid19. Les commissions de reconstruction du gouvernement central et de certaines communautés autonomes ont été les seules à proposer une formule de redressement. Elles ont dépensé de l’argent, perdu du temps et manqué des occasions. Les rapports parlent de l’importance des soins primaires et de la nécessité de reconstruire avec plus de fonds, plus de ressources humaines et matérielles et une tâche de contrôle sanitaire, en donnant la priorité aux soins primaires à long terme et à l’existence d’un plan de contrôle sanitaire qui a été considérablement réduit et perdu au fil des ans. Cependant, tous ces plans ont dû être rangés dans les tiroirs et ont été abandonnés. En dépit de ce qu’ils prétendent, les soins primaires sont sans conteste ligotés.
Il n’y a aucune intention de reconstruire les services publics, éléments fondamentaux pour une redistribution équitable des richesses, ainsi qu’une ossature qui doit être renforcée face aux avancées de la précarité provoquée qui progressent. Il n’y a pas de démocratie sans droits garantis, il n’y a pas de reconstruction de la santé sans un service public de santé adéquatement financé, avec des médecins en nombre suffisant et des équipements complets. Aujourd’hui, près de 600 000 enfants, dont la moitié appartient à la communauté de Madrid, n’ont plus de pédiatre en Espagne. Ce sont les pédiatres qui, grâce à leur expertise spécialisée ont permis l’augmentation de l’espérance de vie en Espagne. À Madrid, nous avons 1 000 000 d’adultes qui n’ont pas de médecins de référence : un non-respect criminel de la part du gouvernement de cette communauté qui a eu pour conséquence que les médecins ont terminé la pandémie en étant mentalement stressés et en souffrant de problèmes physiques chroniques.
Excès, dépression et abus de la part d’institutions incapables de mettre à la disposition du pays l’ensemble du système de santé privé, l’obligeant à partager l’effort. Cette situation est également très visible dans d’autres communautés plus conservatrices, comme l’Andalousie, et elle s’est répandue et est devenue évidente dans les autres. Des grèves ont lieu, mais les autorités n’ont pas réussi à mettre les pendules à l’heure pour les patients et ni pour les professionnels, multipliant les promesses non tenues. Face à ce panorama impitoyable aux mains des spéculateurs, nous avons besoin de volonté politique et de détermination sociale pour faire respecter l’actuelle loi générale sur la santé de 1986, en éliminant toute faille qui permettrait de progresser dans le domaine de la commercialisation.
La politique est là pour résoudre les problèmes, pas pour les provoquer.
C’est pourquoi le financement doit être porté au niveau de la moyenne européenne, soit un minimum de 7,5 % du PIB, dont 25 % doivent être consacrés aux soins primaires et au moins 5 % à la santé publique. La santé mentale doit également faire l’objet d’une attention sans réserve, avec des équipes pluridisciplinaires capables de fournir des soins complets à la population dans des conditions décentes. Les citoyens doivent être associés aux décisions comme le prévoit la loi, il ne faut pas agir de façon mesquine en décapitalisant les ressources propres du service public. Pour ce faire, les gouvernements des Communautés et de l’État doivent s’attacher à valoriser la haute inspection et à sanctionner, après un examen constant, tout ce qui conduit à des infractions qui restent impunies et qui aboutissent souvent à une corruption implicite. Il n’est pas possible de maintenir un modèle public « Frankenstein » entre les mains de politiciens incapables et ambitieux alors qu’ils veulent liquider le modèle bien structuré de 1986. Celui-ci, bien que nécessitant des ajustements, peut facilement être amélioré s’il y a un intérêt politique, une pratique de gestion démocratique et une écoute permanente des citoyens qui revendiquent leur droit à la santé. Le plan à poursuivre par un gouvernement qui se veut démocratique, sans aucun doute, est la reconstruction d’un système national de santé véritablement public, en abandonnant le mantra dévastateur du mal nommé “partenariat public-privé”, qui est un véritable parasitisme du secteur public aux mains du profit privé. Ce modèle décadent et très peu redistributif commercialise, externalise, multi-fragmente, opacifie et détourne les ressources publiques toujours rares au profit de logiques mercantiles, de profits privés, et dans de nombreux cas, génère une corruption malheureusement répandue, tolérée et installée. Le néolibéralisme tue, nous ne nous rendrons pas.
En France, les enseignements ont-ils été tirés de la crise COVID ?
En 2019, la France connaissait une grave crise de son système de santé tant en ville qu’à l’hôpital :
- Avec le développement de déserts médicaux, les difficultés d’accès aux soins et en particulier la crise de la médecine générale
- La casse organisée de l’hôpital public, les suppressions massives de lits, les fermetures de services dont des services de soins continus, les services d’accueils d’urgence, le démantèlement des hôpitaux de proximité́ vidés de la plupart de leurs activités.
- Le choix de l’austérité́ budgétaire conduisant à une insuffisance criante de personnels.
- La multiplication des pénuries ou des prix scandaleux des médicaments
- L’affaiblissement de la Sécurité sociale, source de financement du système de santé, par, entre autres, des exonérations récurrentes de cotisations sociales pour les entreprises.
Dès le lancement du “Ségur de la santé” sur l’avenir de l’hôpital public et de l’organisation du système de soins, la messe était dite. Le 1er Ministre dans son discours inaugural précisait : « Ce que je crois, c’est que la crise exige de nous, non pas nécessairement de changer de cap, mais très certainement de changer de rythme. ». Autrement dit, la doxa libérale allait continuer et même accélérer son œuvre destructrice des services publics, et en premier lieu, ceux de la Santé, du Social et du Médico- Social.
C’est dans ces conditions que survient la crise COVID.
Pour faire face, le système de soins et en tout premier lieu l’hôpital public a dû se réorganiser intégralement en urgence autour de la prise en charge COVID. Les blocs opératoires ont été fermés, afin de mettre en place des lits supplémentaires de réanimation (régulièrement en tension les années précédentes), les lits d’hospitalisation de médecine et spécialités ont été transformés en lits COVID. Les interventions et hospitalisations programmées, les consultations ont été suspendues pendant plusieurs mois, retardant des diagnostics et des prises en charge. Les conséquences n’en sont pas encore totalement évaluées.
La gestion à flux tendu de l’hôpital à tous les niveaux, gestion du personnel, des lits, des équipements médicaux, a constitué un frein important à la mise en place d’une réponse adaptée. C’est la mobilisation des personnels hospitaliers qui a permis « de tenir le coup ». Du fait de l’insuffisance d’équipement de protection individuelle, sur-blouses, masques… la COVID s’est propagée dans les établissements avec des clusters intra-hospitaliers.
De nombreux soignants ont été contaminés ce qui a conduit à une désorganisation majeure en particulier dans les services de gériatrie et les EHPAD, dans des structures déjà connues pour leurs carences importantes en personnels. Le nombre de décès en EHPAD a pu atteindre jusqu’à 50% des résidents dans certains établissements, dans des conditions d’accompagnement souvent dramatiques malgré le dévouement des personnels. Personnels qui ont payé le prix fort, certains de leur vie ou de celle d’un proche, et qui ont subi une charge émotionnelle importante pendant des semaines. A cela se sont ajoutés des pénuries de médicaments, de matériel médical, et l’accaparement des vaccins par les grands groupes pharmaceutiques dans une logique maintenue de marché, malgré une pandémie et des millions de morts.
Quelle évolution depuis ?
Depuis, on assiste à une accélération de la dégradation du système de santé avec l’impossibilité temporaire, et parfois définitive, de répondre aux besoins de santé de la population. Les réponses du gouvernement font la part belle au secteur privé. La E-médecine utilisée à tout va comme la solution aux problèmes de désertification médicale et paramédicale en est une des illustrations. L’insuffisance des mesures prises par le gouvernement (entre autres, les revalorisations salariales lors du Ségur de la santé), la non-reconnaissance des professionnels, la perte de sens au travail, la dégradation des conditions de travail, la souffrance induite, font fuir les professionnels des structures publiques de santé. Ainsi 60 000 postes d’infirmiers sont actuellement vacants en France. Ces chiffres ont été multipliés par 10 depuis l’avant COVID. Les conséquences sont majeures sur le fonctionnement des établissements. C’est le retour à l’Anormal et à la puissance 10.
Les mesures qui se succèdent vont dans le sens d’une poursuite et d’une accélération de la dégradation de la situation :
- Fermeture de services d’urgence et de lignes de services mobiles d’urgence
- Fermeture de maternités, un rapport récent préconise la fermeture de près du quart d’entre elles (rappelons que 40% avaient déjà été fermées ces vingt dernières années).
- Fermetures de services ou lits par manque de personnel soignant ou médical. De ce fait, il n’est pas rare de voir reporter des actes médicaux ou chirurgicaux.
Le secteur privé continue à se développer sur les créneaux porteurs avec l’aide y compris financière de l’Ètat, sans véritable garantie de pérennité et se substitue au service public dans certaines spécialités. Là où des lits publics ferment, des lits privés ouvrent mais sur des critères de rentabilité s’appliquant au fonctionnement mais aussi au choix des lieux d’implantation. Pour la population, cela se traduit par des difficultés accrues d’accès aux soins d’ordre financier mais aussi géographique, social… Le renoncement aux soins concerne 30% de la population.
Dans les EHPAD, malgré le scandale ORPEA, aucune réorientation n’a eu lieu. Les effectifs soignants sont inchangés. Ces établissements connaissent eux aussi une pénurie de personnel. Celui-ci a durement été éprouvé par la crise COVID sans une réelle prise en compte des conséquences psychologiques de celle-ci. Le système de soins est impacté dans sa globalité. La fermeture des lits d’hospitalisation (4100 en 2021 en pleine pandémie par exemple) pèse sur une médecine de ville, déjà fragilisée. Les sorties précoces d’hospitalisation, les maintiens à domicile de patients susceptibles de décompenser deviennent la règle alors que 15 millions de personnes n’ont plus accès à un médecin traitant. Le secteur de la prise en charge psychique des enfants et des adolescents ne peut faire face à l’augmentation des troubles psychiques de toute une génération. Quelques entreprises se sont développées pendant la crise COVID pour produire des équipements de protection individuelle. Elles sont aujourd’hui fermées ou en difficultés, la loi du marché ayant repris le dessus et les achats se faisant de nouveau en Chine ou ailleurs. Le lobby pharmaceutique fonctionne à l’identique et la France a connu cette année des pénuries en médicaments aussi essentiels que le paracetamol et l’amoxicilline.
Les enseignements de la crise COVID n’ont pas réellement été tirés et les grandes phrases telles que « quoi qu’il en coûte » et « la sortie du marché de la santé » sont lettres mortes.
L’après-Covid en Belgique : rien n’a changé
Comme la plupart des pays, la Belgique a été fortement touchée par la pandémie. Les autorités politiques ont, dans un premier temps, minimisé la dangerosité et l’impact potentiel de la maladie sur la population, allant jusqu’à parler d’une « grippette ».Très vite, il s’est avéré que le pays n’était pas préparé pour faire face à de telles situations. Du côté des institutions de soins, dans un premier temps, la flexibilité et l’équipement, ainsi que le personnel, n’ont pas été en capacité de répondre à l’ampleur des besoins ni de mettre en place les mesures de protection individuelle et collective indispensables. Du côté des institutions pour personnes âgées, la décision d’en faire de véritables forteresses en les isolant de l’extérieur, n’a pas empêché le virus d’y pénétrer, le plus souvent via le personnel. Celui-ci, faute de formation adéquate et de matériel de protection, s’est largement transformé en agent de contamination ce qui a induit un véritable traumatisme professionnel collectif dans ce secteur. L’isolement de l’extérieur et l’isolement à l’intérieur-même par l’accès interdit aux lieux collectifs ont induit un phénomène de « glissement » des personnes âgées, perdant tout goût à la vie, et se laissant mourir. La saturation des services hospitaliers a amené à la mise en place de priorités formelles ou informelles, limitant l’hospitalisation des malades très âgés, au profit des jeunes.
La moitié des décès survenus pendant la pandémie s’est produite dans ces établissements pour personnes âgées, secteur largement pénétré par les intérêts commerciaux, notamment de groupes multinationaux. Les hôpitaux ont aussi dû faire face à une pénurie de moyens (matériel de protection, oxygénothérapie, soins intensifs, médicaments,…), dans une société où la loi de l’offre et de la demande s’impose comme une religion. Il a d’autre part bien fallu constater que les économies réalisées par les gouvernements successifs dans le secteur des soins de santé avaient largement contribué à l’incapacité du système à répondre à une telle crise. Le personnel lui-même était déjà à bout de souffle en 2019. La pandémie a mis en exergue les limites de notre dispositif, si souvent loué pour ses bons résultats. Les institutions, comme leur personnel, sont sortis de la pandémie dans un état déplorable. Par la suite, la question de la vaccination s’est rapidement imposée comme un test majeur de la prépondérance des intérêts collectifs, défendus par le Politique, sur les intérêts individuels et financiers. Les investissements publics colossaux dans le soutien à la recherche privée, sans garantie de retour de cet investissement, ont permis l’émergence de diverses solutions vaccinales. Mais à part les achats groupés européens, mettant en œuvre une répartition programmée entre les Ètats de l’UE (négociés en toute opacité à des prix exorbitants), on a bien dû constater que les firmes pharmaceutiques gardaient la maîtrise dans ces échanges. C’est dans un tel contexte que des voix se sont élevées pour dénoncer la mainmise de l’économique sur le Politique, comme une des causes de l’incapacité de notre système à répondre efficacement à une crise de cette ampleur. Les intérêts privés, la poursuite de l’activité économique au détriment de la prévention, la soumission des politiques publiques aux règles commerciales (libre concurrence, aide publique interdite), ont été identifiés comme autant d’obstacles à une gestion optimale de la pandémie. De nombreux décideurs, intellectuels, économistes, philosophes,… ont plaidé pour une reprise en main par les politiques des capacités de décision quand il s‘agissait de l’intérêt général.
Les économies en soins de santé, elles-mêmes largement influencées par les règles européennes de maîtrise budgétaire, ont, elles-aussi, été largement dénoncées comme un facteur d’affaiblissement de la capacité de réaction du système de santé: en Belgique, le précédent gouvernement avait drastiquement réduit la norme de croissance des budgets de soins, avant l’arrivée du COVID. Les actions menées par le personnel de santé, conjointement au soutien de la population (les applaudissements), ont amené les décideurs politiques à libérer 1,2 milliard € pour mettre en place un nouveau modèle salarial plus favorable au personnel de santé, et pour ajouter un membre de personnel dans chaque unité de soins. Mais aussi à s’engager à une norme de croissance à nouveau compatible avec le vieillissement de la population.
Qu’ont-ils retenu de cette crise ?
L’après-crise n’a absolument pas tenu compte de la fatigue du personnel de santé. Il a fallu, pour des raisons médicales d’abord, pour des raisons de revenus des médecins et des hôpitaux ensuite, « rattraper le temps perdu ». Faute de prises en charge retardées à cause de la saturation par le Covid, des pathologies bénignes se sont dégradées, la prévention n’a pas pu avoir lieu. Le personnel a été à nouveau très sollicité. L’annonce de l’interdiction professionnelle pour les membres du personnel non vaccinés a été ressentie comme un coup de poignard dans le dos.
C’était sans doute la goutte qui a fait déborder le vase. La fuite de personnel s’est largement accélérée, se conjuguant à des diminutions de temps contractuel, des maladies de longue durée, voire des invalidités. Bref, les augmentations de cadre promises sont restées largement théoriques, faute de personnel disponible. Les conditions de travail détériorées ont provoqué des adaptations de contrats à la baisse compensées par les augmentations salariales. Plus d’un milliard d’euros quasi sans effet sur le système de santé : la pénurie de personnel s’intensifie, le cercle vicieux du manque de « tenabilité » des carrières et d’attractivité pour les jeunes s’est installé durablement. A tel point que, faute de pouvoir aller plus loin dans la « surexploitation des ressources humaines », c’est maintenant l’offre de soins qui se dégrade, en accessibilité, en quantité et en qualité : fermeture de lits et de services, retard dans les prises en charge, listes d’attente qui s‘allongent, maisons pour personnes âgées qui ferment….
Rien qu’à Bruxelles, 7 des 21 maisons de repos pour personnes âgées (MR-MRS) du groupe Orpea ont fermé, « faute de rentabilité ». L’ensemble du personnel est réaffecté vers les autres institutions du groupe pour occuper les postes vacants (ce qui montre à quel point le manque de personnel amène des prises en charge minimalistes). Quant aux politiques, si au niveau de la Région de Bruxelles, les autorités ont tiré les leçons, et ont pris des mesures pour limiter l’emprise du commercial dans le secteur des personnes âgées, au niveau fédéral, le Gouvernement a considéré que la Santé publique n’était plus une priorité : le budget 2023 ne sera que très peu augmenté, et la norme de croissance sera rediminuée en 2024 !
Faute de prendre des mesures urgentes de lutte contre la pénurie (pour restaurer des conditions de travail tenables et l’attractivité), se développent des logiques commerciales concurrentielles entre les établissements de soins, aidées en cela par des firmes d’intérim, des « chasseurs de têtes » et autres plateformes, qui n’hésitent pas non plus à pratiquer ce qu’on pourrait appeler « la traite des blouses blanches » en débauchant du personnel soignant dans des pays moins favorisés, avec, à la clef des contrats qui relèvent plus de l’esclavagisme que du professionnel.
Alors que beaucoup se disaient qu’on irait vers un « monde d’après », tenant compte des leçons de ce désastre, nous dénonçons cette volonté à peine voilée d’un « retour à l’a-normal », favorisant les intérêts financiers et économiques par rapport au bien-être de la population.