NDLR : Dans une tribune au Monde, un collectif de médecins et de pédiatres, parmi lesquels Julie Chastang, François Bourdillon et Pierre Suesser, tire la sonnette d’alarme sur l’état de la prévention en France concernant la santé des plus jeunes.
Il y a un peu plus d’un an, dix mille soignants de pédiatrie interpellaient le président de la République, Emmanuel Macron, sur la crise aiguë de leur spécialité. Les urgences pédiatriques étaient saturées, des nourrissons étaient transférés à des centaines de kilomètres de chez eux, la pénurie des soignants de l’enfant à l’hôpital et en ambulatoire inquiétait. Des Assises de la pédiatrie et de la santé de l’enfant étaient alors convoquées en urgence et des mesures fortes annoncées pour le printemps 2023.
À la même période, le ministère de la santé voyait le terme de « prévention » (disparu aujourd’hui) accolé à son intitulé, laissant penser à une revitalisation des services de prévention pour les enfants. Mais, depuis cette alerte, aucune des mesures issues des Assises n’a été annoncée.
Pourtant, les faits sont têtus. On constate en France une hausse du taux de mortalité infantile qui est supérieure à la moyenne européenne. Au classement de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), la France a progressivement décroché de la 9e à la 26e place entre 1989 et 2021. En 2021, 2 700 enfants de moins de 1 an sont morts en France. Parmi eux, 1 200 décès périnataux annuels sont actuellement considérés comme évitables. Cet indicateur statistique est reconnu comme un marqueur de la qualité des soins obstétricaux et pédiatriques d’un pays.
Les hypothèses des chercheurs renvoient sa récente augmentation à la fois à la dégradation des conditions de vie et de santé d’une partie de la population et à celle du système de soins et de prise en charge sociale et psychologique. La crise actuelle des services de néonatologie les plus spécialisés dits « de niveau 3 » illustre cette situation.
On observe aussi une évolution inquiétante de la morbidité infantile : augmentation du diabète insulinodépendant chez l’enfant de 4 % par an, obésité des 18-24 ans multipliée par quatre depuis 1997, majoration des troubles du neurodéveloppement touchant près de 100 000 enfants et adolescents par an, augmentation des idées et gestes suicidaires chez les jeunes, avec une croissance des deux tiers des passages aux urgences de pédopsychiatrie ces cinq dernières années.
Tout cela dans un contexte où la dégradation de l’environnement de vie des enfants, qu’il soit physico-chimique (pollution, perturbateurs endocriniens), socio-économique (croissance de la précarité et de la pauvreté) ou éducatif (écrans, violences, perte d’activité physique), infléchit défavorablement leur trajectoire de santé et maximise les inégalités de santé.
Devant ces constats, les autorités devraient envisager une réponse de salut public d’ampleur, à la hauteur de telles alertes de santé publique. Il leur faut répondre urgemment aux demandes de la pédiatrie et de la pédopsychiatrie hospitalière et ambulatoire et réinvestir dans la prévention pour réhabiliter l’ensemble de l’édifice de santé de l’enfant.
La première urgence est de remédier à la pénurie croissante de soignants de l’enfant. La France n’est qu’au 22e rang sur les 31 pays de l’OCDE avec 8 500 médecins pédiatres, cela va s’aggraver en raison de nombreux départs à la retraite. Les pédiatres, dont il faut notablement renforcer les effectifs, ne pourront assurer seuls la prise en charge de l’enfant. Les parents devront pouvoir s’appuyer sur les médecins généralistes, à la condition que ceux-ci bénéficient d’une formation digne de ce nom en soins primaires et développement de l’enfant. Les compétences des puéricultrices doivent également évoluer pour un exercice à la fois plus autonome et articulé de façon pertinente avec les médecins.
Un autre enjeu est celui de la prévention qui est sur toutes les lèvres officielles. Les rapports parlementaires ou de grands corps de l’Etat (inspection générale des affaires sociales, IGAS, Cour des comptes) font le constat du quasi-abandon par les politiques publiques des services de prévention comme la santé scolaire ou la Protection maternelle et infantile (PMI). Ils louent le fait que « la PMI constitue un levier de prévention adapté pour réduire les inégalités sociales de santé » (rapport parlementaire Peyron, 2019) et soulignent l’« intérêt des bilans de santé à vocation universelle » à l’école (rapport IGAS-IGESR, 2023, sur le devenir de la médecine scolaire).
Ces services offrent, par une démarche universelle, une première réponse aux besoins de santé, ils sont l’étage de soutènement de tout le bâtiment des soins à l’enfant pour valoriser une démarche coordonnée de soins entre tous les acteurs, y compris non médicaux, associer des actions collectives en complément des consultations individuelles, pratiquer l’« aller vers » en population et dans les lieux de vie de l’enfant, apporter une réponse préventive en amont de complications coûteuses. Tout cela est déjà dans l’expertise des services de PMI et de santé scolaire, mais force est de constater leur délaissement croissant par la puissance publique et leur déploiement hétérogène sur le territoire.
De nombreuses mesures évoquées lors du processus des assises de pédiatrie pour sauvegarder la qualité des dispositifs de santé de l’enfant sont attendues. D’abord, un choc d’attractivité en revalorisant tous les soins hospitaliers et ambulatoires curatifs et préventifs, publics et libéraux. Ensuite, le perfectionnement de la formation pour tous les professionnels de la santé physique et psychique de l’enfant. Mais aussi le renforcement des capacités en pédopsychiatrie et des moyens de la PMI et de la santé scolaire, ainsi que la création d’un statut de médecin de fonction publique commun aux différents types d’exercices ambulatoires publics…
Le président de la République veut croire que « nos enfants vivront mieux demain que nous ne vivons aujourd’hui ». Nous l’appelons en retour à un tournant audacieux vers une stratégie nationale de santé de l’enfant et de prévention. Seule une politique urgente de refondation de tout notre édifice de soins de l’enfant et de revitalisation de la prévention peut inverser la tendance actuelle : reprendre le chemin du succès pluri-décennal contre la mortalité, la morbidité et les inégalités de santé infantiles et promouvoir une trajectoire de santé et de développement favorable pour tous les enfants sans exception.
Cela nécessite un investissement urgent et vigoureux dans la santé de l’enfant, la prévention en santé et le soutien aux acteurs, notamment publics, qui l’exercent.
Signataires : Corinne Bois, médecin de protection maternelle et infantile (PMI), vice-présidente du Syndicat national des médecins de PMI, copilote des assises de pédiatrie pour l’axe « Prévention » ; François Bourdillon, médecin de santé publique, ancien directeur général de Santé publique France ; Julie Chastang, médecin généraliste en centre de santé, secrétaire générale de l’Union syndicale des médecins de centres de santé, copilote des assises de pédiatrie pour l’axe « Parcours de santé de l’enfant » ; Emmanuel Cixous, pédiatre, président du Syndicat national des pédiatres des établissements hospitaliers ; Patricia Colson, médecin de santé scolaire, secrétaire générale du Syndicat national des médecins de santé publique de l’Éducation nationale-Sgen-CFDT ; Christophe Libert, président de l’Association des psychiatres infanto- juvéniles, copilote des assises de pédiatrie pour l’axe « Santé mentale » ; Loïc de Pontual, professeur de pédiatrie, chef de service à l’hôpital Jean-Verdier Bondy (AP-HP), copilote des assises de pédiatrie pour l’axe « Prévention » ; Pierre Suesser, pédiatre, coprésident du Syndicat national des médecins de PMI.