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Comment concrètement mettre en place un pôle public du médicament?

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L’auteur fait un certain nombre de propositions concrètes pour la création d’un pôle public du médicament. Il n’ignore pas toutes les réformes du système de santé français qu’il conviendrait de mettre en place mais il montre qu’il ne faut pas attendre leur réalisation pour avancer. Les conditions juridiques et financières existent déjà. L’essentiel tient à la constitution d’un accord politique national pour avancer et répondre aux besoins de la population.

 Abstract :

The author makes a number of concrete proposals for the creation of a public drug hub. He is not unaware of all the reforms of the French health system that should be put in place, but he shows that we must not wait for their realization to move forward. The legal and financial conditions already exist. What is essential is the constitution of a national political agreement to move forward and meet the needs of the people.

L’idée d’un pôle public du médicament est venue en force dans le débat public depuis que la pandémie dramatique de Covid 19 a montré au grand jour les contradictions de l’organisation de l’industrie pharmaceutique. Cette idée est sortie des cercles qui y réfléchissaient depuis longtemps comme la Commission santé et protection sociale du Pcf pour devenir une affaire vraiment publique. Les débats sont largement ouverts et en France beaucoup de formations politiques ou d’institution comme le Conseil national consultatif d’éthique la reprennent en y mettant des contenus divers. C’est la raison pour laquelle, au delà des débats conceptuels, il faut maintenant entrer dans les propositions concrètes pour avancer et rendre possible cette réalisation à l’heure où notre pays se prépare à des élections décisives.

Avant de les exposer, il convient de rappeler qu’on ne peut isoler ces décisions de l’ensemble de ce que devrait être une nouvelle politique de protection sociale et de santé. C’est dans un tel contexte de réformes que l’idée de pôle public trouverait sa meilleure expression. Les éléments de cette nouvelle politique seraient les suivants :

  • une Sécurité sociale et une assurance maladie démocratisées et financées à la hauteur des besoins et des possibilités.
  • un système de soin modernisé, démocratique et territorialisé, adapté en termes d’effectifs comme de moyens aux besoins de la population.
  • un service de santé publique performant.
  • une réforme des systèmes de contrôle de la qualité des médicaments vraiment indépendants de l’industrie elle-même.
  • une réforme de la fixation des prix des médicaments qui devienne raisonnable eu égard aux moyens des organismes financeurs et en réponse aux besoins de tous les patients.
  • en particulier l’abandon du système de fixation des prix selon le principe insensé de l’évaluation du service médical rendu (SMR) au profit d’un système répondant au coût de recherche et de production.

Mais on ne peut attendre le grand soir pour avancer. Nous n’irons pas plus loin dans cette énumération. En fait il faudrait tout construire en même temps. Est-ce possible dans le contexte politique d’aujourd’hui ? Si les rapports de force ne le permettent pas, il n’en faut pas moins s’attacher à commencer à mettre en oeuvre ce pôle public du médicament. Il sera à la fois une condition et un moyen pour atteindre cette nouvelle politique tant attendue.

En fait, le pôle public doit répondre à trois buts :

  • Assurer la production des médicaments nécessaires que l’industrie privée ne sait pas, ne peut pas ou ne veut pas produire et ainsi lutter contre les pénuries.
  • Permettre le développement en grand de la révolution des biotechnologies en cours sans que la contrainte de recherche de profits immédiats pour les actionnaires ne vienne l’entraver ; le développement de la recherche fondamentale est une nécessité absolue.
  • S ‘inscrire dans une politique de réindustrialisation du pays.

Tout ceci suppose que le néolibéralisme qui domine les politiques actuelles soit mis en cause. Ses présupposés et ses choix de rentabilité immédiate et de financiarisation doivent être abandonnés. Certains proposent comme Frédéric Bizard dans l’article publié dans ces mêmes Cahiers que l’action de l’État se concentre sur son rôle de régulateur. C’est nécessaire de mieux réguler mais il faut aussi accepter que l’État intervienne aussi comme producteur industriel entrant dans le jeu économique lui-même. Il sera en position de complémentarité mais aussi, il faut le dire, en position de concurrence… Ceci aura un impact considérable sur l’ensemble de l’économie pharmaceutique. Par le passé, l’État a su jouer ce rôle industriel quand les enjeux de la nation étaient en cause et il a plutôt réussi. Un acteur public est nécessaire dans un marché dont le financement est quasi exclusivement public.

Une autre bonne idée court : celle d’un « Airbus du médicament ». Il est certain que des coopérations internationales permettraient, en particulier en Europe, de développer une telle structure industrielle. On parle familièrement d’Airbus car cela est un indéniable succès aéronautique basé sur la coopération. Cela parle à tout le monde. La France a su jouer un rôle moteur dans ce programme. D’autres pensent qu’il faut aller plus loin, vers une organisation mondiale car le marché est mondial. Tout ceci pousse vers des lendemains qui chantent mais semble hors de portée aujourd’hui. Nous ne pouvons attendre et la France a les moyens de démarrer seule si l’opportunité politique se présente de prendre de telles décisions. Attendre l’engagement de pays gouvernés par des politiques libérales pourrait durer longtemps.

Dernière proposition qu’on peut entendre : associer le privé et le public pour conduire cette opération. C’est illusoire. On sait ce que donnent les associations « public / privé ». Elles conduisent à ce que le privé tire profit en transférant au public les dépenses et en transférant au privé les recettes. C’est se mettre dans la main des actionnaires. Mais la formule pôle public n’empêche en rien des coopérations ou des opérations de sous-traitance avec l’industrie privée qui peuvent s’avérer nécessaires.

Concrètement nous proposons :

 1) La création par l’État d’une entité de service public de type établissement public à caractère industriel et commercial (EPIC). Cet EPIC est une personne morale de droit public ayant pour but la gestion d’une activité de service public de nature industrielle et commerciale. L’avantage de ce statut est qu’il n’a pas besoin de disposition législative pour être mis en place et qu’il n’a pas besoin de bloquer un capital initial comme une SA pour se constituer ; ses ressources sont celles de son activité qui est de type économique. Ce Pôle public du médicament serait placé sous la responsabilité de l’État et serait sous la tutelle conjointe du ministre chargé des solidarités et de la santé et du ministre chargé de la recherche.

2) Il est temps que soient réorientés des fonds consacrés au Crédit Impôt Recherche vers la recherche publique, de même que le reste de l’argent public octroyé aux laboratoires privés sous forme de niches fiscales, d’abattements de cotisations, etc. L’argent public dépensé dans la recherche de médicaments doit profiter à la société. Le financement initial des dépenses de cet EPIC serait assuré par cette réorientation de ces fonds publics et ceci n’entraînera pas de dépenses nouvelles pour l’État.

3) Des conventions de recherche seront passées avec les laboratoires de l’Université, de l’INSERM (Institut national de la Santé et de la Recherche médicale), du CNRS (Centre National de la Recherche Scientifique), du CEA (Commissariat à l’Énergie Atomique), de l’INRA (Institut National de la Recherche Agronomique), de l’Institut de recherche pour le développement (IRD), de l’IFREMER (Institut français d’Exploitation de la Mer) sans oublier les hôpitaux publics, leurs services et compétences diverses (pharmacie et recherche universitaires), mais aussi tous les établissements concourant aux médicaments dérivés du sang. Enfin ce pôle public pourra initier ses propres laboratoires de recherche. Nous ne manquons pas de moyens  en matière de recherche publique en santé pour construire ce pôle public du médicament. Cela passe par la relance du financement des laboratoires publics, mais aussi par un infléchissement de leur politique de transfert de technologie vers des « start-up » ou des laboratoires industriels privés et de leur politique de propriété intellectuelle. Le pôle public du médicament sera propriétaire des brevets qu’il aura financé.

4) La gestion de cet organisme doit être démocratique pour que les objectifs initiaux de satisfaction des besoins humains soient durablement soutenus. La législation prévoit déjà pour ces EPIC d’État une gestion démocratique. Une place dans le gouvernement de l’institution doit être réservée aux malades, aux citoyens mais aussi aux personnels, aux chercheurs, à leurs représentants syndicaux et aux élus, territoriaux comme parlementaires. C’est une rupture indispensable à opérer par rapport à la gestion antidémocratique des monopoles pharmaceutiques.

Le Pôle public du médicament aura besoin de la création d’un nouveau lieu où démocratiquement, s’élaborera la formulation des priorités en besoins de santé donc en besoins en médicaments pour les différents acteurs de la chaine du médicament ; où se prendraient les orientations et décisions en toute transparence ainsi que le contrôle de leur mise en œuvre et les arbitrages. Pour ce faire un « Conseil National du Médicament » chargé de la coordination de la politique publique du médicament ainsi sera mis en place au ministère de la santé. Il sera notamment composé de personnalités qualifiées comprenant aussi bien des représentants de l’État et de la Sécurité sociale, du CNRS, de l’INSERM, du Haut conseil de la santé publique, mais aussi des professionnels, des usagers et de leurs représentants, de membres de l’Assemblée nationale et du Sénat, le tout réparti en plusieurs collèges.

5) Une attention particulière sera portée sur le recrutement des personnels de direction et d’encadrement afin d’assurer au mieux le succès de cette création.

Conclusion :

 Il est nécessaire de réaffirmer l’indépendance de notre pays en matière sanitaire. La pression exercée par les marchés sur l’approvisionnement en médicaments souligne par ailleurs la nécessité pour la France d’assurer sa souveraineté sanitaire. La globalisation néolibérale ne permet pas, en effet, d’assurer l’indépendance des pays. Ces moments de tension révèlent un des effets pervers du capitalisme : l’augmentation des prix devient la seule méthode de régulation, et la concurrence entre les pays confine à l’immoralité. La soumission à un système de santé hors de contrôle n’est plus acceptable à l’heure des grands défis que nous devrons relever toutes et tous ensemble. La lutte sera difficile pour en sortir car les puissances financières tenteront tout pour préserver les intérêts des actionnaires. Il est donc temps de fonder, pour permettre la sortie de crise, un pôle public du médicament qui assure notre indépendance, notre souveraineté, et la qualité de notre système de soin et la recherche fondamentale comme appliquée. Une autre politique du médicament, hors du marché, est non seulement possible mais indispensable aujourd’hui.