Résumé :
L’auteur présente ici la première partie de son histoire critique de la médecine du travail.
Abstract : The author presents here the first part of his critical history of occupational medicine.
NDLR : Nous donnons ici la première partie de l’article du Dr Khayi ; la seconde partie sera publiée dans le numéro 55 de Décembre.
I Introduction
À mon sens, parler de la médecine du travail (ou de la santé au travail) et de son devenir nécessite de regarder les différents éléments constitutifs de la question et les liens qu’ils tissent entre eux ; je veux parler des 3 objets que sont le travail, la santé et la prévention. Ces 3 notions sont repris dans notre loi fondamentale de 1946.
A. Le travail
Je n’essaierai pas de le définir. Il semble que cette notion soit si dense qu’aucune définition ne donne satisfaction. Chacun pourtant a une perception personnelle de ce qu’est le travail. C’est un élément central dans la vie des êtres humains au point qu’il est un élément de l’identité de chaque citoyen. Le travail contribue à définir notre place dans le collectif, dans la cité, dans la société. Il détermine tous les autres aspects de la vie car c’est lui qui donne individuellement les moyens de vivre par le revenu qu’il procure, et socialement car lui seul peut créer la richesse d’une société, c’est-à-dire les moyens de satisfaire les besoins de tous les individus. Mais en même temps, le travail s’inscrit dans les corps et le psychisme des travailleurs. Personnellement, je garderai comme repère que le travail est une activité sociale coordonnée permettant de transformer le réel dans le but d’assurer le maintien et le développement de la société.
B. La santé et le lien avec l’activité
Le risque pour la santé lié aux accidents est identifié dès la préhistoire et les chasseurs savaient s’organiser pour diminuer les risques (ils ne partaient pas seuls chasser le mammouth !) ; le risque lié aux outils était aussi repéré et on a des traces de protection mise en place sur des outils coupants à la même époque. Le lien entre certaines activités et des effets sur la santé est toujours plus difficile à mettre en évidence. Pourtant, les constructeurs de pyramides faisaient déjà le lien entre les lombalgies et les manutentions ; notre mal du siècle a donc déjà plus de 4 000 ans ! les embaumeurs connaissaient également les problèmes que leur causaient les produits qu’ils manipulaient.
L’importance de l’environnement sur la santé est déjà notée par Vitruve, architecte romain du Ier siècle avant notre ère. Il proscrit l’utilisation des canalisations en plomb pour acheminer l’eau potable après avoir observé que les ouvriers des fonderies de plomb étaient malades. Ces observations des pathologies environnementales se développeront au XVIIIe siècle.
Sont déjà en place donc les trois composantes : accidents et maladies liés au travail et santé environnementale.
C. La prévention
Cette notion n’est pas théorisée avant le XVIIIe siècle. Il existe des recommandations pour éviter certaines maladies : quarantaines et isolement des malades lors des épidémies. Mais la prévention est essentiellement secondaire puis tertiaire avec la création de systèmes de prévoyance.
II Historique
D. Qu’est ce qui va permettre l’émergence du sujet de la santé au travail ?
Je vois 3 éléments, interdépendants, qui ont eu un effet dans cette dynamique : le développement des sciences et des techniques (XVIe, XVIIIe siècle), qui modifie les modes de production et de vie (urbanisation) et la conception de l’être humain face à la mort.
1. Evolution des formes de la société
L’évolution des techniques et la maîtrise de l’énergie (eau, vent, vapeur) a modifié les formes des structures de production. Les productions se regroupent ; l’artisanat se développe dans les villes, souvent les professions sont regroupées par quartiers. La population afflue également vers les villes favorisant la promiscuité et souvent la concentration de la misère. Les premières fabriques, embryon de l’industrie moderne, se développent aux abords des villes, rendant visibles les effets du travail sur les ouvriers par la multiplication des cas regroupés dans un périmètre restreint.
2. Evolution de la médecine
Le Moyen Age et les interdits religieux ont freiné l’évolution de la médecine : les dissections étaient interdites et la connaissance ne pouvait venir que de l’Église et ses textes. La période de la Renaissance et de la Réforme a bousculé ce carcan. La religion réformée prônait le développement de la connaissance, même si au départ, il s’agissait surtout de pouvoir lire et interpréter les textes sacrés pour tous les croyants. Les connaissances médicales ont pu bénéficier de cet élan, surtout en anatomie et un peu sur les maladies infectieuses. L’Histoire a retenu les noms de Vésale, Ambroise Paré ou Paracelse.
3. Evolution morale ou sociétale
La critique des rigidités de la religion et des excès de l’Église contribue à remettre en cause le fatalisme devant la maladie et la mort. La maladie et l’accident ne sont plus seulement une punition divine pour une faute puisque les hommes peuvent soigner et parfois guérir leurs semblables. La recherche de la cause de la maladie peut devenir légitime.
La solidarité devant le malheur des accidentés et des malades est notée depuis l’antiquité grecque où une caisse fonctionnait déjà sur la base de cotisations. Au Moyen Age, les corporations ont leur propre système avec parfois des établissements de soin. Elles vont persister jusqu’au XIXe siècle de façon éclatée. La prévention primaire n’est pas un concept répandu. L’État a pu se positionner sur la prévoyance pour certaines professions, montrant par-là l’importance que ces personnes avaient à ses yeux. L’Histoire atteste l’intervention de la reine Éléonore d’Aquitaine en 1152 pour la protection des marins (période des croisades et des guerres avec l’Angleterre). Cette protection sera reprise par Colbert ministre de la marine royale de Louis XIV.
E. Les fondateurs et la naissance d’une discipline
Les conditions étant remplies, la réflexion sur le sujet a pu émerger. Deux noms ont marqué l’Histoire de ce qui deviendra la médecine du travail. J’en ai retenu un troisième pour l’illustration de la collusion existante entre ceux qui ont le savoir et ceux qui ont le pouvoir.
1. Ramazzini
Médecin à Padoue, il est né en 1633 et mort en 1714. Son époque est le résultat de tous les bouleversements de la Renaissance et des changements accumulés dans les domaines de la connaissance, des techniques et des modes de pensée. L’artisanat s’est développé, il utilise des techniques plus variées avec des produits souvent toxiques, dans des environnements insalubres où la concentration de population peut être importante. Sur le plan politique on assiste au développement des structures d’État plus ou moins centralisés. En 1700 il publie son ouvrage le plus connu (de morbis artificum diatriba) qui aura une diffusion importante dans toute l’Europe. Il s’agit d’un essai sur les maladies des artisans où il décrit les problèmes de santé présentés par les artisans d’une cinquantaine de professions. Il s’intéresse tout autant aux « arts libéraux » qu’aux « arts mécaniques », aux problèmes des cavaliers, des écrivains ou des pharmaciens. Il ne s’agit pas à proprement parler de santé ou de médecine du travail, mais plutôt d’un traité de médecine politique, c’est-à-dire de médecine s’intéressant à la chose publique, à la population ; on peut dire de santé globale. La description s’intéresse aux gestes et environnement de travail mais aussi aux conditions de vie des artisans dans la cité. Ramazzini ne sépare pas les deux aspects qui, pour lui, sont indissociables. Sa médecine est Hippocratique c’est-à-dire qu’elle repose sur l’observation clinique.
2. Villermé
Il a vécu de 1782 à 1863. Il fait des études de médecine mais exerce surtout sur les champs de bataille auprès des médecins militaires. Il n’exercera la médecine que pendant 4 ans et se consacrera surtout à l’écriture d’ouvrages médicaux.
Cette période voit le développement du capitalisme industriel (l’industrie chimique et textile) avec de grands ateliers employant beaucoup de femmes et d’enfants en raison de salaires moins élevés que ceux des hommes. Les industriels sont confrontés à une main d’œuvre miséreuse et sous-alimentée qui ne correspond pas à leur besoin. Dans les années 1820 la misère gagne la population ouvrière et les troubles sociaux menacent. Dans ce contexte l’académie des sciences morales et politiques dont il est membre, lui commande un rapport sur l’état de santé de la main d’œuvre des industries textiles. Après une série d’inspections entre 1835 et 1837 il rédige en 1840 son rapport : Tableau de l’état physique et moral des ouvriers employés dans les manufactures de coton, de laine et de soie. Classiquement on considère que ce rapport est à l’origine de la règlementation sur le travail des enfants puis des jeunes femmes. On peut aussi noter que VILLERME n’est pas le seul à s’intéresser à l’industrie textile de l’époque puisque ENGELS écrit en 1845 son ouvrage sur la situation de la classe ouvrière en Angleterre suite à sa rencontre avec Mary BURNS, ouvrière dans l’entreprise où il travaille.
Villermé est une personnalité écoutée, membre de plusieurs institutions prestigieuses qui orientent les politiques publiques : l’Académie des Sciences Morales et Politiques et Académie de Médecine en 1823, Conseil d’Hygiène Publique et de Salubrité en 1831, il participe aux Annales d’Hygiène Publique en 1829. Cependant l’heure n’est pas à l’humanisme mais au développement industriel, à l’accumulation des richesses. « Éclairez-vous, enrichissez-vous, améliorez la condition morale et matérielle de notre France. » c’est le discours prononcé par Guizot devant la Chambre des députés en 1843. C’est l’heure de l’hygiénisme social et du règne de la morale. La pensée médicale est tournée vers la nécessité de fournir la main d’œuvre destinée à enrichir le pays. L’hygiène doit régler les problèmes de santé. Les problèmes posés par le travail ne sont pas niés mais considérés comme secondaires et ils seront réglés par l’augmentation des salaires qui améliorera l’hygiène de vie (les corps plus sains seront capables de supporter les nuisances du travail). Villermé écrit : « Je n’insisterai pas davantage pour prouver que les ateliers ne sont point exposés à ces prétendues causes d’insalubrité. On s’est singulièrement mépris en leur attribuant des maladies que produisent principalement le travail forcé [longue journée de travail], le manque de repos, le défaut de soins, l’insuffisance de nourriture et sa mauvaise qualité, les habitudes d’imprévoyance, d’ivrognerie, de débauche, et pour tout dire, en un mot, des salaires au-dessous des besoins réels […]. C’est d’une manière indirecte, médiate, ou par les conditions de nourriture, de vêtement, de logement, de fatigue, de durée du travail, de mœurs, etc., dans lesquelles se trouvent les ouvriers, que les professions agissent le plus souvent en bien ou en mal sur leur santé ou sur celle de leur famille. Cette règle doit être regardée comme générale. » On attend du développement industriel une sorte de « ruissèlement » qui, malheureusement, ne suivra pas. Entre Ramazzini et Villermé il y a une différence de conception de la médecine, de la société et de l’humanité. Ils correspondent à la vision de leur époque sous tendue par le niveau de développement scientifique, technique, industriel, économique, social et politique.
3. Darcet, construction d’une discipline entre savoir et pouvoir
Contemporain de Villermé (1777-1844), Darcet est le fils d’un chimiste, diplômé de médecine et homme politique. Il poursuit l’activité de chimiste de son père et se trouve à la tête de nombreuses manufactures à Paris. Humaniste, il est sensible aux problèmes de santé provoqués par les vapeurs de mercure chez les doreurs à la monnaie de Paris où il travaille (et respire donc ces mêmes vapeurs). Il préconise des changements de process de fabrication pour améliorer les conditions de travail des ouvriers. Il met en place par exemple un système de ventilation pour assainir les ateliers ; malheureusement il rejette cette pollution sur les populations riveraines. Il est membre de nombreuses institutions mises en place par les industriels ou par l’état : la Société d’Encouragement pour l’Industrie Nationale, l’Académie des Sciences, Conseil d’Hygiène Publique et de Salubrité, Comité Consultatif des Arts et Manufactures (auprès du ministère de l’intérieur). Ses avis sont écoutés. Sa foi en la science et la technique et les intérêts financiers liés à ses activités d’industriels ainsi que les intérêts de ses amis le conduisent à des arbitrages en faveur de la défense des activités nocives et à minimiser le risque. L’exemple de la céruse est emblématique des collusions et conflits d’intérêts de l’époque. Devant une épidémie de saturnisme, Darcet inspecte l’entreprise de fabrication de céruse de son ami Roard (qui partageait avec lui les mêmes activités de conseil dans les mêmes instances). Il ne relève aucun problème sauf dans la dernière opération d’empaquetage : les ouvrières manipulent la céruse à la main alors, précise-t-il, que l’employeur leur avait ordonné de porter des gants et de se couvrir le visage. « Mais, écrit-il, l’incurie ordinaire aux ouvriers relative à tout ce qui concerne la conservation de leur santé a rendu bientôt tout à fait illusoire cette mesure, incomplète d’ailleurs. » Il préconise donc de vendre la céruse en poudre et non en pain. Mais l’argument est en fait économique : la qualité de la céruse en pain venant de Hollande était meilleure ; il fallait donc un prétexte pour l’interdire. C’est ce que conseilla Darcet au Conseil de salubrité en même temps que Roard pour le Comité consultatif des arts et manufactures. Le ministre suivit ces avis en 1823 dans une ordonnance royale. Un an plus tard, malgré l’échec de cette interdiction sur l’amélioration de la santé des salariés, Darcet insiste en s’appuyant « sur l’opinion unanime des différents conseils ».
On voit donc se construire un corpus d’affirmations concernant des problèmes médicaux par des non médecins mais, qui plus est, par des personnalités en conflit d’intérêt évident. Dans un entre soi d’ingénieurs industriels, la santé des ouvriers des fabriques fait les frais de la recherche du profit par les défenseurs d’un capitalisme industriel naissant. Malheureusement la même logique a prévalu pour le problème de l’amiante et persiste encore.
Certaines voix critiques essayaient de percer comme le Dr Fodéré, médecin légiste à Marseille, qui désapprouvait les méthodes des hygiénistes fondées sur des visites ponctuelles d’ateliers. Il préconisait au contraire un suivi des salariés dans les hôpitaux et les dispensaires « pour sonder dans toute sa profondeur la plaie que portent à la santé et à la population certains arts et certaines manufactures ».
F. L’évolution du droit
Avant la révolution de 1789, la règlementation du travail relevait des corporations ; il s’agissait plutôt d’établir des règles de métier et de régler les différends entre les artisans et entre compagnons et patrons. L’État restait en dehors, l’autorité du patron n’était pas contestée. La loi Le Chapelier en 1791, a supprimé toute possibilité d’association ouvrière et signe le début du libéralisme pour les activités industrielles et commerciales. L’État intervient peu dans les affaires économiques ; les industries (ateliers, fabriques ou manufactures) sont considérées comme des espaces privés où la puissance publique n’a pas droit de regard. Cette conception, issue du droit civil, persiste encore grandement de nos jours. La première intervention de l’État est un décret impérial en octobre 1810 qui établit un règlement pour les établissements classés suite à l’explosion d’une usine d’explosif à Grenelle en 1794 qui a rayé de la carte un village entier. Il s’agissait de protéger les riverains de ces industries à risques.
Cependant, les crises économiques et la misère qui va avec, ont poussé l’État à intervenir pour maintenir l’ordre public qui relève du pouvoir régalien. Ce sont ces considérations qui ont conduit à l’enquête et au rapport Villermé. La nécessité de sauver l’ordre public face aux révoltes qui menaçaient, associée au besoin de préserver un vivier de main d’œuvre capable de répondre aux besoins de l’industrie en plein essor, ont obligé l’État à légiférer (prudemment et lentement). En 1841 est votée une première loi de protection de la partie la plus vulnérable des ouvriers : les enfants de moins de 8 ans. Il faut attendre 1874 pour une loi protégeant les enfants de moins de 12 ans et les jeunes femmes de moins de 21 ans. Il faut attendre encore 1893 pour voir une loi concernant l’ensemble des ouvriers qui règlementait l’hygiène générale dans les entreprises.
Au vu de cette mise en place de la règlementation on peut se poser une question : qui donc le droit protège-t-il ? les populations environnantes, les ouvriers ou l’économie ? On voit donc se dessiner une constante : le monde de l’entreprise est un lieu de conflit et de confrontation de logiques souvent divergentes, parfois incompatibles.
G. L’évolution des institutions
1. Construction de l’inspection du travail
La mise en place de la règlementation implique la mise en place d’une institution de contrôle de l’État. Après le rapport Villermé (1841) apparaissent donc les premiers inspecteurs du travail. Ils sont recrutés par les conseils généraux parmi les personnes ayant des connaissances dans le domaine de l’industrie et de ses procédés, donc dans le même monde que les industriels eux-mêmes. Il s’ensuit une certaine « compréhension » des problèmes des industriels et une interprétation large des nombreuses dérogations offertes par les textes règlementaires. En 1874 des inspecteurs divisionnaires sont nommés par l’État pour encadrer ces inspecteurs du travail mais leur autorité est limitée, d’autant qu’ils sont moins bien payés que ces derniers. En 1892 ces inspecteurs divisionnaires sont intégrés dans un corps d’État rattaché au ministère du travail. Les inspecteurs du travail se posent déjà la question : faut-il contrôler pour faire respecter la règlementation ou faut-il conseiller les solutions aux industriels ? Préconiser une solution fait endosser la responsabilité de son efficacité et de ses conséquences.
2. Entre contrôle et conseils, foisonnement des institutions
En même temps que l’essor des manufactures et de l’industrie, se crée toute une nébuleuse d’institutions publiques et privées. Les pouvoirs publics essaient de s’entourer de commissions et de conseils. Dès le début du siècle Paris se dote d’un Conseil de Salubrité qui deviendra le Conseil d’hygiène publique et de salubrité, rattaché à la préfecture de police. Chaque département sera ultérieurement doté de cette instance. D’anciennes institutions s’intéressent à leur tour à l’industrie et son développement. La Société d’encouragement pour l’industrie nationale, créée en 1801 regroupe industriels, politiques, scientifiques, intellectuels dans l’esprit des Lumières et la foi dans la science. L’Institut de France et ses académies, qui existent depuis 1795, est impliqué par l’Académie des Sciences et surtout par l’Académie des sciences morales et politiques qui commande à Villermé (qui en est membre) son étude sur l’état de santé des ouvrières des industries textiles.
Les industriels ne sont pas en reste et s’organisent dans des sociétés savantes. Dès le milieu du siècle (1867), l’Association pour prévenir les accidents de fabrique permet d’organiser des inspections dans les ateliers de ses adhérents et de leur donner des conseils. Dans ces structures se retrouvent les mêmes personnalités que dans les institutions liées aux pouvoirs publics et à la tête des entreprises industrielles (comme Darcet et Villermé). Des Associations régionales des industriels voient le jour et se regroupent dans l’AIF (Association des industriels de France) en 1893. Leur but est de prendre de vitesse la réorganisation de l’inspection du travail. Grünner, ingénieur fondateur de l’Association des industriels du nord intervient en 1887 : « si vous voulez que ce droit [d’assurer la sécurité des ouvriers] vous soit maintenu, si vous voulez éviter l’introduction dans vos ateliers d’un fonctionnaire nouveau, qui sera souvent peut-être incompétent et par suite absolu dans ses idées, il ne faut pas vous contenter de vous rattacher de vous-même à une association libre. […] le jour où la question se posera devant les pouvoirs publics, il faut que ces associations arrivent avec une organisation complète très étendues, avec un service technique solidement constitué. Il faut qu’elles fassent valoir les services rendus, les améliorations introduites, et la mortalité ouvrière par suite d’accidents, réduite dans une sérieuse proportion ».
Le développement de ces institutions est le résultat des contradictions inhérentes au développement de la société industrielle du XVIIIe siècle, prise entre l’espoir et la confiance des idéaux des Lumières et la réalité des ateliers, du développement d’une classe ouvrière confinée dans la misère. Les industriels se trouvent pris entre l’humanisme et la logique du profit, entre la nécessité du système de fonctionner sur la recherche du rendement contrariée par le coût des accidents du travail et le coût social des conséquences sur la population des nuisances issues des industries.
H. Situation à l’aube du XXe siècle
Devant l’importance des accidents du travail (AT) et leur incidence sur les entreprises, un compromis est trouvé sur la reconnaissance des AT en 1898. Avant cette date, la réparation des accidents se discutait devant les tribunaux. Pour maîtriser cette judiciarisation au débouché incertain, une reconnaissance du caractère professionnel de ces accidents est reconnue mais sans recherche de la responsabilité de l’employeur. La réparation sera forfaitaire et incomplète puisque le salaire est censé « payer » le risque lié au travail. La notion de maladie professionnelle est connue mais la discussion sur leur reconnaissance et leur indemnisation nécessitera encore 20 ans d’âpres discussions pour arriver à reconnaître les deux premières. L’hygiénisme ambiant et la conception Villermienne reportent la responsabilité des maladies sur les conditions de vie des ouvriers plus que sur les produits manipulés ou les conditions de travail.
Sur le plan institutionnel apparaît le début d’un dialogue entre partenaires sociaux avec la création en 1904 de l’association ouvrière d’hygiène industrielle, qui organise les premiers congrès sur le sujet. Les prémices d’une inspection du travail sont en place et la surveillance sanitaire existe déjà dans certaines industries (armée, marine, transport, mines). L’hygiène des locaux est surveillée depuis 1893 et depuis 1898 les assurances des industriels imposent des infirmières dans les usines. Les médecins interviennent peu ; les visites de surveillance interviendront en 1909 pour le saturnisme ; les ingénieurs hygiénistes et les chimistes dominent ce domaine.
La prévention primaire n’est pas conceptualisée. En 1890, une lutte emblématique des manufactures d’allumettes montre les conditions difficiles de la prévention ; la reconnaissance de la responsabilité du phosphore manipulé et la résolution du problème n’est obtenu que grâce à la conjonction de plusieurs facteurs dont essentiellement l’incidence de l’absentéisme sur la production et surtout l’existence d’un produit de substitution. A cette époque-là la politique s’infléchit vers plus de solidarité et prône un devoir moral d’assistance entre les membres de la société, ce qui conduit à une intervention plus poussée de l’État dans les entreprises pour rééquilibrer le rapport patron/salarié qui est par essence asymétrique.
III. La médecine du travail aux XXe et XXIe siècles
Le XXe siècle est rythmé par deux guerres mondiales où s’affrontent les prétentions impériales des grandes puissances. En France, l’alternance politique de la IIIe république avec des gouvernements successivement monarchistes (légitimistes ou orléanistes, plutôt en début du siècle) et républicains (surtout en fin de siècle), est peut-être le signe d’un attachement à la république et à des orientations plus sociales et collectives.
A. Naissance d’un sujet politique
L’évolution de la médecine du travail suit l’évolution de la société ; à partir de 1880, elle s’intègre dans l’évolution des idées et la place de l’État devient de plus en plus légitime, intégrant la santé des travailleurs progressivement dans la santé publique. Les débats sur la reconnaissance des maladies professionnelles à la suite de la loi sur les AT sont freinés par l’opposition des industriels qui contestent que le lien de causalité puisse être établi puisqu’il peut y avoir plusieurs autres étiologies aux maladies évoquées. Le résultat sera donc en 1913 à nouveau une loi de compromis qui ne satisfait personne. Le syndicaliste Léon Jouhaux en 1924 y voit « une pauvre loi qui, à travers un enchevêtrement de difficultés, permet à un petit nombre d’intoxiqués par le plomb et le mercure d’obtenir une mesquine réparation ». La Chambre de commerce et d’industrie de Paris, au contraire, prédit que cette loi « est appelée à devenir, par ses extensions infaillibles, la charge la plus écrasante qu’ait eu ou puisse avoir à subir l’industrie nationale ». Le sénat ne la votera que 6 ans plus tard en 1919.
B. Première guerre mondiale (1913-1919)
En 1913, le pays se retrouve dans une économie de guerre où le plus important est de faire fonctionner au mieux l’industrie d’armement. Le regard des hygiénistes se porte donc essentiellement sur les poudreries et les arsenaux. En 1915 est instauré un service médical pour ces industries et en 1916 une inspection médicale des usines d’armement. En 1917 s’ajoutent les visites de ces ateliers par les médecins d’usine. La surveillance médicale a pour but d’assurer le renouvellement de la main d’œuvre et l’orientation des ouvriers et ouvrières en fonction de leur capacité ainsi que l’adaptation des postes pour faire travailler des gens diminués ou affaiblis par des journées interminables. Le but est ouvertement nataliste, eugéniste et productiviste. Avec l’arrivée de la main d’œuvre immigrée introduite pour compenser l’absence des hommes partis à la guerre, on voit apparaître un contrôle sanitaire empreint de racisme par crainte que cette population coloniale ne vienne corrompre la santé et les mœurs de la population ouvrière.
Sur le plan des idées, les années 1910 voient se répandre la notion d’organisation scientifique du travail développée par Taylor. Il s’agit d’une forme de rationalisation du travail et de l’utilisation de la main d’œuvre qui assimile le travailleur à une machine. Les physiologistes développent des études sur les mouvements et la dépense énergétique dans le travail, notamment avec la commission de physiologie et d’enquêtes sur le travail (1913). Progressivement la notion de facteur humain s’ajoutera à ces différents concepts. Cette période a introduit la notion de surveillance médicale par les visites médicales d’embauche et la notion de visites d’atelier par les médecins, en liaison avec les techniciens, comme partie intégrante de la surveillance de la santé. Elle a aussi introduit la sélection médicale de la main d’œuvre qui, si elle a peu de conséquences sociales visibles dans les périodes de plein emploi, prend un tout autre retentissement dans les périodes de crises économiques et d’explosion du chômage. Le médecin du travail devient « un expert soucieux de la productivité et des intérêts des employeurs en même temps qu’un expert hygiéniste au service de la santé ouvrière » (Martin, médecin du travail en 1922).
C. Entre deux guerres : avènement de la médecine du travail (1919-1939)
Cette période se partage entre reconstruction dans un contexte de réorganisation géopolitique et arrivée d’une nouvelle crise économique à partir de 1930 (le ralentissement de l’économie débute en 1926). Jusqu’en 1927, il y a peu d’évolution règlementaire : il y a toujours seulement 2 MP reconnues, la médecine d’usine stagne. L’évolution vient des organismes internationaux constitués après 1919 auprès de la Société des nations, notamment le BIT qui va pousser la France à combler son retard pour la protection de la santé des salariés. Des projets de réforme de l’inspection du travail inquiètent les industriels qui redoutent l’immixtion dans la gestion de leurs activités. A partir de 1920 l’AIF propose des inspections d’ateliers à leurs adhérents pour les aider à se mettre en conformité avec la règlementation. Les employeurs utilisent ces comptes rendus pour se dédouaner de leur responsabilité devant les tribunaux si la faute de l’employeur est recherchée. Ils reportent ainsi la responsabilité sur le salarié et son mode de vie ou de travail. La réparation des AT est également reportée sur les assurances qui utilisent des juristes pour limiter les sommes attribuées aux salariés. 1927 voit une accélération sur les MP ; un décret fixe les maladies professionnelles à déclaration obligatoire en vue de l’extension des tableaux ; la formation des médecins sur ce sujet est renforcée.
À partir de 1934 la Société médicale des hygiénistes du travail et de l’industrie forme une élite de médecins du travail dont certains ont marqué la profession tels que René Barthe, Henri Desoille et Guy Hausser.
Hausser était médecin légiste et militant syndical CGT (il constitue le Syndicat des techniciens médicaux). Il met en place l’action syndicale selon 3 axes : des rencontres nationales et internationales, la création d’une commission des maladies professionnelles dans la confédération syndicale et la mise en place en 1937 de l’Institut d’étude et de prévention des MP. Les objectifs de cet institut sont précisés par Benoit Frachon, secrétaire général adjoint. Les moyens mis en œuvre sont importants : bureaux, salles d’examen, laboratoire, bibliothèque ; c’est un centre d’examen, de diagnostic, d’aide à la déclaration de MP, centre documentaire et centre de recherche. Les enquêtes se font à la demande des médecins des entreprises mais aussi du ministère ou du BIT. L’institut édite les Archives de MP. L’expérience n’a pas survécu à la guerre et à la mort en déportation à Auschwitz de Guy Hausser. Seules persistent quelques structures de soin telles que la maternité des Bluets. À l’aube de cette nouvelle guerre, les employeurs ont fini par accepter la présence du médecin du travail ; en fait la présence d’un service médical facilite la « paix sociale » (l’absentéisme est diminué et les revendications moins violentes). En 1939, il y a peu de médecins d’usine, peu de visites d’embauche, aucune surveillance périodique ; les employeurs préfèrent embaucher des psychotechniciens intégrés au service d’embauche.
La SMHTI qui a formé une élite médicale depuis 1934, essaie d’établir une doctrine de la médecine du travail alliant visites d’embauche (de sélection) et dépistage des maladies professionnelles (dans le but de corriger le risque en modifiant les postes ou l’organisation du travail). Certains affichent l’espoir de surmonter la lutte des classes par l’hygiénisme, la science et l’organisation du travail.
D. La drôle de guerre et le gouvernement de Vichy (1039-1946)
C’est dans cette période que l’on date la création de la médecine du travail. Cependant, deux dates se disputent l’acte de naissance : la médecine du travail est-elle née en 1942, instituée par un gouvernement eugéniste et collaborationniste, ou est-elle née de la réflexion du Conseil National de la Résistance ? Que reste-t-il de chacune de ces périodes ?
Entre 1923 et 1930 Barthe a construit l’un des premiers services de santé au travail. Il a établi un mode de fonctionnement qui servira de modèle aux autres. La grande dépression 1930 voit le retour du chômage associé à une pénurie de main d’œuvre qualifiée. Le pays revient à une économie de guerre et à la dégradation des conditions de travail. Avec la semaine de 60 heures les AT augmentent ainsi que les malfaçons. En 1940 les médecins du travail sont utilisés pour recenser et orienter les personnes sans emploi (sélection et orientation de la main d’œuvre vers les industries stratégiques). En 1941 la politique se durcit et le refus d’un poste supprime les indemnités de chômage. Le gouvernement de Vichy embarque les médecins dans une médecine sociale d’orientation nataliste, eugéniste et raciste dont le but est de diminuer les dépenses des assurances sociales.
En 1940 le ministère publie « les recommandations de 1940 » qui reprennent les dispositions proposées par Barthe et qui seront reprises dans la loi de 1942 votée sous Pétain instituant la médecine du travail obligatoire dans les entreprises de plus de 50 salariés. La SMHTI devient l’Association nationale de médecine du travail regroupant des résistants et des soutiens du régime de Vichy. La loi de 1942 fonde une organisation mais ne fixe pas d’orientation ou de but à l’action de la médecine du travail (si ce n’est la sélection et l’orientation à l’embauche). En 1942, sous la pression des Allemands et la participation de Laval, les médecins du travail vont être entrainés vers la sélection de la main d’œuvre pour le STO, ce qui contribuera à saper la confiance des salariés pour longtemps.
Le gouvernement de Vichy s’entoure d’une multitude de structures ou de comités dépendant du ministère de la santé ou de la main d’œuvre, conseillant directement le ministre ou non, comme l’inspection médicale du travail, le comité permanent de la médecine du travail (CPMT), des comités d’organisation par branche avec des médecins conseil, une direction des services médico-sociaux de la main d’œuvre, le CISME (centre inter-service de santé et de médecine du travail en entreprise) qui deviendra Presanse ( prévention, santé, service, entreprise) en 2001. Des tensions se font jour en raison de missions enchevêtrées qui entrent parfois en concurrence. Pour coordonner toutes ces structures un comité directeur interministériel est créé en 1943. On retrouve les mêmes personnes qui siègent dans ces différentes instances, Boltanski parle d’élite multi-positionnelle.
La Fondation française pour l’étude des problèmes humains, créée en 1941 par Alexis Carrel occupe une place particulière et très présente au côté des autorités. Carrel est un personnage reconnu et influent ; dès 1935 il a importé en France l’eugénisme américain et a influencé la politique de santé du gouvernement de Vichy dont la politique de sélection de la main d’œuvre. Selon le sociologue Roland Pfefferkom, « Carrel met l’eugénisme au service de l’élitisme, de l’aristocratie, du racisme et du fascisme » ; il est hanté par l’idée d’un déclin occidental, en particulier d’un déclin des élites occidentales que les « races inférieures », et les « classes laborieuses », très fécondes, seraient sur le point de submerger. Le but de la fondation est de régénérer la population française par l’amélioration de l’environnement y compris dans les ateliers. La mise en cause de l’influence d’Alexis Carrel ne sera remise en cause qu’en1990.
Les travaux de cette fondation alimenteront encore longtemps le fonctionnement des visites médicales. Les médecins ont utilisé des fiches d’aptitude individuelle (mesure physiologique et psychotechnique des aptitudes du salarié) et des fiches de poste (évaluation des aptitudes physiques et psychiques requises pour l’emploi). Le dépistage de la tuberculose est mis en place suite à une étude initiée par la fondation après la rencontre de médecins de la fondation avec une équipe de médecins allemands. Cette lutte contre la tuberculose avec sa radio pulmonaire systématique, a longtemps hanté le souvenir des salariés comme la marque d’une surveillance réelle de leur santé.
De cette période il reste l’obligation de la médecine du travail, la généralisation de la surveillance avec les aménagements de poste, la visite d’embauche avec le dépistage de la tuberculose et l’orientation, le rôle préventif et le contrôle sanitaire des installations, les œuvres sociales et l’éducation à l’hygiène (surtout tournée vers la famille) ; ce sont les recommandations de 1940 mise en place en 42 et reconduites à la libération.
E. La libération et le programme du CNR (1946-1947)
La Libération provoque un immense espoir mais la réalité est plus complexe. Le pays est à reconstruire et la main d’œuvre diminuée par les combats, les restrictions. Tous les bras sont nécessaires et la médecine du travail est à nouveau utilisée pour orienter les travailleurs. Devant l’usine à gaz créée par le régime de Vichy, le rattachement à un seul ministère est préféré. Robert Debré voulait un service de médecine sociale de dépistage rattaché au ministère de la santé. La médecine du travail sera finalement rattachée au ministère du travail mais avec une mission de santé publique : le dépistage de la tuberculose. Si les services de médecine du travail sont laissés à la gestion des employeurs, la nomination des médecins doit être approuvée par le CE créé en 45. En 46, la nouvelle médecine du travail est conçue par Croizat et Désoille comme une partie du plan d’ensemble de protection sociale en association avec la sécurité sociale.
Désoille, médecin résistant, déporté à Mauthausen, devient médecin inspecteur général en mai 45 à son retour des camps. En novembre 45, les ministères de la santé et du travail sont regroupés et confiés à Ambroise Croizat. Désoille participe à la rédaction de la loi de 1946. Il procéda au renouvellement du personnel de l’inspection médicale du travail et rétablit la représentation ouvrière au sein de la Commission d’hygiène industrielle du ministère. Début 46, plusieurs courants s’affrontent sur la définition des missions de la médecine du travail. Deux options se dessinent : Goulène la veut garante d’une utilisation rationnelle de la main d’œuvre, Désoille la veut au service des travailleurs par l’éradication des MP. Le Conseil de l’ordre obtient que la mission ne soit que préventive. Laroque échoue à faire intégrer la médecine du travail à la Sécurité sociale malgré le soutien de la commission des finances. Son but est fixé par Désoille : éviter toute altération de la santé des travailleurs du fait de leur travail ; mais la pratique de sélection de la main d’œuvre se perpétue. La généralisation de la médecine du travail, prévue pour être universelle sera poussive et s’étalera jusqu’en 1970 pour le privé et 1982 pour le secteur public.
Au départ d’Ambroise Croizat, Désoille quitte ses fonctions au ministère pour se consacrer à l’enseignement. Son livre, Médecine du travail et maladies professionnelles, a longtemps été une référence pour les médecins du travail. Son apport est complémentaire de celui de Barthe, il précise l’orientation et le contenu de la médecine du travail renouvelée.
De cette période il reste la « loi fondamentale » de 46, le contrôle par les CE (ou les commissions de contrôle), le rapport annuel qui devait faire remonter les pathologies rencontrées pour alimenter les tableaux MP et les améliorations des postes. Les débats entre partenaires sociaux (CGT et CNPF) se font sur la reconnaissance de nouvelles MP et sur les métiers à mettre en surveillance spéciale (SMS).
F. L’abandon de l’État (1947-1965)
L’État se désintéresse de la question. La période est à la reconstruction et à l’expansion économique. Le problème du chômage ne se posant pas, la pratique de sélection biologique de la main d’œuvre ne semble pas poser de problème. La règlementation sur les services de médecine du travail est appliquée avec un laxisme certain. Les médecins ne sont pas toujours diplômés, la profession est déconsidérée. L’inspection médicale s’effondre, de nombreux postes ne sont pas pourvus. La gestion des services et le contrôle par les CE et les commissions de contrôles sont délaissés par les salariés qui n’ont toujours pas confiance dans cette institution et dans les médecins. Les employeurs travaillent au dépérissement de l’institution en arguant du coût pour les entreprises. L’administration laisse faire jusqu’à promulguer le décret de 1952 qui accepte de façon règlementaire « le respect des situations acquises », c’est-à-dire le non-respect de la règlementation ! On aboutit à la réalisation de visites médicales à la chaîne et à la diminution du niveau de formation accepté pour les médecins. Peu à peu les médecins du travail sont marginalisés.
G. Le temps des critiques (1965-1979)
L’échec de la médecine du travail construite en 46 dans le « plan d’ensemble » est total autant sur le versant de la gestion de la main d’œuvre que pour la gestion de la santé publique. Les AT et MP ne diminuent pas, le climat des entreprises n’est pas à l’apaisement. La société est marquée par les débuts d’un profond bouleversement qui touche le modèle des entreprises et l’organisation de travail ; c’est l’implantation du néolibéralisme qui transforme le modèle économique et le système de pensée avec l’essor de l’individualisation. L’économie s’essouffle. Le travail se transforme, s’accélère, se morcelle (on parle de travail en miettes) ; c’est le début de la désindustrialisation et la crainte du chômage revient. La médecine du travail est standardisée par l’utilisation des fiches, les visites répondent aux impératifs de sélection biologique de la main d’œuvre dans un but productiviste et d’aide à la gestion du personnel ; les médecins sont impuissants car non reconnus par les salariés et par les employeurs qui les utilisent à leur convenance.
Entre 64 et 66 le ministère du travail essaie une reprise en main de la médecine du travail. Il impose le retour à la règlementation avec des menaces sur les agréments. Dans la période 76-79 il insiste sur le niveau de formation des médecins, la sectorisation et institut le tiers temps (temps consacré aux visites d’ateliers alors que les médecins demandaient un mi-temps en entreprise). Les effectifs attribués aux médecins reviennent aux chiffres de 46 (10 SMS, 15 ouvriers, 10 employés par heure). Le but des visites médicales et de l’action des médecins n’est pas interrogé ; l’inspection médicale, pilier du système de 46, reste exsangue et impuissante jusqu’en 77. Le fonctionnement des commissions de contrôle ne s’améliore pas. A la fin des années 70, les partenaires sociaux misent sur l’idée d’amélioration des conditions de travail avec la création de l’ANACT. La santé au travail s’éloigne du concret du travail et s’oriente vers l’application de la règlementation sur les normes, les taux d’exposition ; c’est le début de la gouvernance par les nombres. Le CNPF se plaint de l’augmentation du coût de la médecine du travail (+25%) pour les entreprises.
Le progrès des sciences humaines explore plusieurs voies : l’ergonomie de langue française prend en compte la complexité de l’être humain, la psychologie du travail, la psychotechnique. Alors que la présence des médecins dans les ateliers a pratiquement disparue, que la médecine du travail apparaît standardisée par l’utilisation de fiches de profils et de fiches de poste, les médecins du travail s’interrogent sur leur rôle. L’intégration dans les équipes RH au côté des hygiénistes, psychologues et services sociaux pose l’éternelle question de l’indépendance et du secret médical. Ce secret incontournable qui apparaît comme une contrainte et une gêne pour l’employeur. Les coopérations existent entre médecins et ergonomes par exemple, mais elles nécessitent de construire une relation de confiance et se font souvent de façon informelle, presque clandestines. Dans les années 60-70 un groupe de médecins du travail intègre dans sa réflexion la mission fondamentale de protection de la santé des salariés ainsi que les nouveaux outils que sont l’ergonomie, la clinique de l’activité et la psychodynamique du travail. Cette réflexion conduira à la définition de la clinique médicale du travail.
H. L’adaptation au néo-libéralisme (1980- ….)
Le tournant du siècle est plein d’inquiétude dans le monde du travail et la société. Le néolibéralisme s’installe poursuivant la désagrégation du monde des salariés : les solidarités anciennes volent en éclat devant l’individualisation à l’œuvre dans l’entreprise et dans la société. Le travail morcelé empêche de se projeter dans un sentiment d’œuvre commune. L’impératif n’est même plus productiviste mais la recherche de la rentabilité maximum du capital. Le sens même du vivre en société s’effrite.
L’état de santé des travailleurs reste préoccupant. Les problèmes anciens demeurent : les risques d’exposition aux nuisances chimiques et physiques existent toujours, souvent déplacés vers les entreprises plus petites ou à l’étranger par le biais de la sous-traitance en cascade et la fragmentation des « chaînes de valeur ». Les scandales sanitaires prennent de l’ampleur comme l’amiante. Les nouvelles pathologies apparaissent comme les pathologies de surcharge : les TMS (troubles musculo-squelettiques liés à une surcharge physiologique (associé à la surcharge psychologique souvent), le burn out et les troubles psychiques provoqués par la surcharge de travail. Ces pathologies explosent et sont souvent corrélées avec des problèmes dans la production (malfaçon, perte de productivité, coût des absences et des AT et MP). En même temps les modes de management par les chiffres et les tableaux éloignent de plus en plus les directions du réel provoquant dans l’encadrement de plus en plus de défaillance (maladie, retrait, refus du système de plus en plus visible chez les jeunes). La santé mentale devient une préoccupation majeure des services de santé au travail et occupe une grande partie du temps des médecins.
Dans le même temps, le système de santé s’effondre dans le pays, laissant une partie de la population sans accès aux soins. La pénurie de médecins qui touche tous les secteurs de la santé est encore plus criante en santé au travail. Depuis 50 ans cette pénurie est dénoncée sans que l’État n’intervienne pour y pallier ce qui permet de penser que cette situation était voulue et construite. Elle permettra de mettre en place une nouvelle organisation de la médecine du travail et de la transformer en santé au travail.
1. La pluridisciplinarité
a) Les motivations
Deux raisons sont mises en avant pour réformer la médecine du travail : la pénurie de médecins et l’échec de l’institution à enrayer les maladies professionnelles et les AT. En fait on retrouve toujours les mêmes problèmes et les mêmes questions : l’effectif attribué au médecin, la sous déclaration des MP, leur sous reconnaissance et leur mauvais niveau de réparation, l’impuissance à modifier les conditions de travail pour agir sur la prévention, l’indépendance réelle des médecins du travail. L’État et les employeurs font porter la responsabilité de ces échecs à l’institution alors qu’elle n’a qu’une mission de conseil.
L’institution est en crise. Elle n’a pas acquis de légitimité auprès des salariés qui n’ont jamais fait confiance à ces personnes trop proche des employeurs ; la compromission de nombreux médecins du travail sous Vichy (avec les positions eugénistes et le STO) et dans les scandales qui ont suivi n’ont pas plaidé en faveur de la profession (amiante, plomb, les médecins n’ont pas toujours été exemplaires et se sont laissés entrainer vers une minimisation des problèmes pour sauver les emplois). Elle n’a pas de légitimité auprès de l’État qui légifère sans tenir compte des problèmes déontologiques (comme dans la non contre-indication à l’exposition aux CMR) ni après du Conseil de l’ordre qui méconnaît (et souvent méprise) ce métier. Elle n’a pas de légitimité auprès des employeurs qui lui reprochent son coût et son absence de collaboration sous couvert du secret médical.
Le ministère du travail oriente l’action plus vers des politiques de santé publique mais sans moyens et avec plus d’effet d’annonce que d’efficacité. La pénurie orchestrée des médecins fait que l’articulation entre surveillance et prévention (la surveillance devant alimenter la prévention) devient impossible ; elle rend la surveillance impossible et aboutit à une prévention primaire souvent éloignée de la réalité de ce qui se vit dans les entreprises.
Face à la désaffectation de cette branche médicale, l’État fait tout pour décourager et détourner les étudiants. Le métier est présenté comme l’aboutissement d’un parcours d’échec, de médecins qui n’ont pu faire autre chose ou recherchent un poste « planqué » pour une reconversion ou les femmes qui veulent préserver leur vie de famille ; il n’apparaît dans les média que dans les scandales sanitaires ; les efforts pour compenser la pénurie en permettant une formation plus courte (concours européen en 1992, régularisation entre 1998 et 2002, collaborateurs médecins en 2012) donnent l’image d’une profession au rabais ; le fait d’être salarié et de ne pas prescrire positionne le médecin aux yeux du public (et même de certains confrères) comme un « pas tout à fait médecin ».
b) Les évolutions règlementaires
En 88 devant l’impossibilité de réaliser les visites règlementaires, un décret permet d’expérimenter un espacement des visites périodiques pour permettre au médecin de faire réellement de la prévention primaire, c’est au moins le but exposé. La pénurie est telle et la demande des salariés persistant pour le suivi régulier, la solution est insuffisante mais elle permet d’introduire la disparition progressive de la surveillance régulière des salariés par le médecin. En 89 la directive européenne crée l’obligation d’évaluer les risques professionnels et prévoit la mise en place du DUERP. Elle établit le cadre des 9 principes de prévention (qui ont du mal à s’implanter dans les entreprises) et acte la responsabilité de l’employeur sur la protection de la santé des salariés. Elle pose un cadre pour distinguer le rôle du préposé de l’employeur (qui, en interne, prend en charge les problèmes de sécurité) et le rôle de prévention pour la santé ; dans la transcription de 91, ce rôle de prévention pour la santé sera dévolu au service de médecine du travail qui pourra s’adjoindre les compétences nécessaires pour étudier les problèmes des risques « physiques, chimiques et organisationnels ». Le ministère met alors en avant la prévention primaire qui est confondue avec la prévention collective. La CRAM, l’ANACT et l’INRS sont alors positionnés comme partenaires des services en tant qu’acteur de la pluridisciplinarité. En 2002 la protection de la santé mentale est ajoutée dans le code du travail ainsi que le terme de harcèlement moral. Les services de médecine du travail deviennent les services de santé au travail. En 2003 la loi de modernisation sociale rend la pluridisciplinarité obligatoire et acte l’espacement des visites médicales à 2 ans sauf SMR. Elle instaure la CMT qui définit les priorités du service et les actions pluridisciplinaires. Sa composition est laissée à l’appréciation du directeur, les médecins se retrouvent souvent marginalisés. De fait ils sont présentés comme rétrogrades, toujours centrés sur la santé individuelle et accrochés à leurs prérogatives. La défense du métier conçu pour assurer la protection de la santé des individus (comme constitutive de la santé de la population) devient difficile en commission paritaire comme dans les services. En 2011 la responsabilité des missions n’est plus portée par le médecin mais par le directeur du service. Ceux-ci comprennent rarement ce qu’est la santé au travail. La confusion s’installe entre santé au travail et santé publique. La prévention des addictions et de l’alcoolisme est introduite dans les missions sous le prétexte de faire « entrer la santé publique dans la santé au travail », ce qui est un non-sens puisque la santé au travail est une « branche » de la santé publique. Les services ont l’obligation de rédiger un projet de service, actant ainsi l’introduction du fonctionnement de la santé publique sans réflexion sur la signification et les conséquences. Le CPOM est également institué et lie le service à la DIRECCTE et à la CARSAT, signant la main mise de l’administration sur les services. À partir de 2012 les infirmiers et infirmières sont progressivement introduits auprès des médecins. L’effectif maximum de salariés ou d’entreprises suivis est supprimé.
c) Les leviers de l’administration
L’administration se pose en partenaire des services plutôt qu’en instance de contrôle avec la mise en place des plans nationaux et régionaux de santé au travail. Les agréments relèvent plus d’une négociation que d’un contrôle : refuser l’agrément semble impossible. Les contrôles se font plutôt par la mise en place d’indicateurs chiffrés donc facilement contrôlables. La nature des indicateurs est laissée à la discrétion des services. Ils vont donc porter sur des indicateurs d’activité (nombre de visites faites, nombre d’actions des IPRP ou de fiches d’entreprises, nombre d’actions de maintien dans l’emploi). L’efficience des actions n’est jamais interrogée mais cette forme de gestion conduit inévitablement vers une forme de prestation de service. Le new public management est en route.
2. Les « pluridisciplinaires »
D’abord le terme de « pluridisciplinaires » est un contresens. Chacun exerce une profession en s’appuyant sur une ou plusieurs disciplines. Un ergonome par exemple mobilisera en plus de l’ergonomie la mécanique, la physiologie, le droit, la psychologie cognitive et surement d’autres encore. De même que le médecin qui fait appel à plusieurs disciplines médicales ou non.
La pénurie de médecins et l’impossibilité d’assurer les missions (que la règlementation amoncelle sans réflexion de fond) sert de prétexte à chaque étape de l’introduction des professionnels des différents métiers. Le prétexte est chaque fois d’aider le médecin du travail (dans ses actions, ses décisions ou son tiers temps) mais cet objectif disparait dans la réalité pour laisser la place à ce qui semble être le but masqué de la réforme : changer la nature de l’action de ce qu’était la médecine du travail pour la faire entrer dans un nouveau système ouvertement tourné vers la satisfaction des employeurs.
a) AST
Avant de s’appeler assistantes de santé au travail les secrétaires médicales étaient largement polyvalente et faisaient déjà une multitude de tâches pour soulager le médecin dans les activités de visite médicale et le relationnel avec les salariés et les employeurs. Les binômes, souvent stables, construisaient un mode de fonctionnement propre réglé sur le fonctionnement du médecin. Avec les difficultés de réalisation des visites, elles ont su réguler l’activité malgré les consignes souvent contradictoires des médecins et des directeurs et les demandes toujours pressantes et pas toujours courtoises des employeurs. Les premiers signes de ce qui deviendra le RPS se manifestent à ce niveau dans le défaut de résolution des contradictions qui naissent d’une vision divergente de la santé au travail entre direction et les acteurs de terrain.
En 2002 le terme de ASST apparaît et embarrasse la commission paritaire qui finit par éclater ce « métier » en 3 : les secrétaires médicales, les AST (assistantes santé travail) et les AEP (Assistantes d’équipe pluridisciplinaire), avec des niveaux de rémunération différents. En fait les situations dans les services construisent des organisations différentes. L’éclatement du métier provoque des tensions et un malaise dans certains services. Les AST se retrouvent à faire un nouveau métier qui n’a rien à voir avec l’aide qu’elles étaient sensées apporter aux médecins, elles répondent à une demande des directions pour aller au-devant des adhérents pour leur « vendre » le service. Or elles connaissent l’impossibilité de satisfaire les employeurs qui réclament des visites d’où une autre cause de mal-être.
b) IDEST
Les infirmiers et infirmières sont les dernières à être introduites dans les services. Toujours pour soulager le médecin ! Cantonnées avant la réforme dans quelques gros services dans la réalisation d’examens complémentaires et quelques actions de sensibilisation sur des sujets plutôt d’hygiène de vie, elles se voient confier progressivement l’accueil et la surveillance des salariés. L’intégration est compliquée en l’absence de réflexion construite sur le sens de l’action. La collaboration entre médecin et infirmier demande de partager son métier, d’expliquer le sens des questions posées et des décisions. Les médecins sont peu nombreux à avoir l’habitude de cette réflexion. Ne sachant pas donner à voir leur façon de travailler, ils rigidifient les positions dans des protocoles (que la loi a prévus) qui détaillent jusqu’aux questions à poser paralysant toute possibilité pour les IDEST d’adapter leurs réactions ; leur travail menace de devenir mécanique et déprimant, beaucoup de la première vague quittent leur service. Leur présence dans le cadre des actions en entreprise est parfois bloquée dans certains services, elles sont là pour éponger le retard des visites du médecin. De plus les AST sont déjà en place et l’articulation des 2 métiers n’a pas été débattue car il poserait la question fondamentale : quel est le but de notre action ? La réaction des médecins n’est pas homogène. Certains médecins craignent d’être remplacés par les IDEST (ce qui est une réalité). D’autres se satisfont de revenir à ce qu’ils pensent être le métier de médecin : s’occuper de personnes malades pour gérer leurs problèmes. Quel est donc le cœur de métier du médecin ? C’est une question qui reste ouverte même au bout de 5 siècles. Salarié non protégé par le code du travail les IDEST se retrouvent sous l’autorité des directions sans pouvoir discuter la pertinence des actions proposées (ou imposées). Leur seule protection est le médecin du travail puisqu’elles travaillent sous sa responsabilité ; ce qui impose d’avoir une vision commune eu sens de l’action de l’équipe.
c) IPRP
Premiers introduits, ils l’ont souvent été par l’intermédiaire de structures parallèles, les GIE, parfois sur la base de contrats peu clairs. À l’origine, comme pour les autres métiers ils sont présentés aux médecins comme une aide au médecin pour aller chercher dans l’entreprise les éléments nécessaires à la décision. La collaboration sera parfois difficile mais la réception par les médecins varie aussi en fonction du niveau de recrutement des IPRP. En effet il s’agit d’une habilitation et non d’un titre professionnel et le recrutement va de personnes ayant suivi une formation minimale de 15 jours et des diplômés Bac+5. Les actions attendues ne seront pas les mêmes et les attentes des médecins seront parfois déçues. Mais même à Bac+5 le rapport reste asymétrique par construction puisque le médecin reste règlementairement l’animateur et coordinateur des actions en entreprises. Cette position peut engendrer des conflits s’il n’y a pas de dialogue pour échanger sur ce que chacun attend et peut apporter à l’action proposée. Les procédures rigides, imposées progressivement par la démarche qualité, rendent cette coopération compliquée car la fiche de demande d’intervention se substitue souvent, par manque de temps, à l’échange nécessaire à la construction de l’intervention. L’IPRP apparaît alors comme un sous-traitant du médecin, poussant ainsi la logique marchande dans les services.
Les psychologues sont souvent dans l’équipe pluridisciplinaire mais un peu à part. Leur intervention peut être très variée mais souvent à côté de la protection de la santé des salariés ; certains médecins leur demandent parfois de confirmer un diagnostic d’inaptitude pour se rassurer, ou de prendre en charge un problème qui relève du soin. A mon avis, leur rôle est de décrypter ce qui, dans le travail, fait obstacle à leur santé et en échanger avec le médecin (qui peut apporter des éléments plus généraux de l’entreprise) pour comprendre ensemble ce qui altère la santé du salarié ou des salariés d’une entreprise. Il peut aider à comprendre l’incidence sur l’individu et sur le collectif des conditions de travail qui altèrent la santé de l’individu et du collectif de travail.
d) La place de la direction
Nommé par le conseil d’administration issu de l’assemblée des chefs d’entreprise, le directeur jongle avec les demandes des employeurs, de l’administration (à travers l’agrément et le CPOM), l’indépendance technique des médecins qui devrait avoir donc la main sur l’activité de son équipe et les autres professionnels qui souhaitent s’émanciper de la « tutelle » des médecins (mais qui tombent alors sous la tutelle des directions). La règlementation, le fonctionnement actuel de l’administration et des entreprises, tout conduit à une gestion par les chiffres éloignée de la réalité du terrain. Le désir de satisfaire les employeurs (ce qui est au fond la demande de l’administration) qui demandent à travers le CISME « de mettre quelque chose en face de la cotisation » a transformé la médecine du travail (centrée sur la surveillance dans le but « d’éradiquer les expositions ») en services de santé au travail devenus prestataires de services à la demande des employeurs. L’aboutissement est la mise en place de l’offre socle, équivalent pour l’entreprise du panier de soin de la Sécurité sociale, complété par des offres payantes supplémentaires. Tout cela sous le vocable d’équité pour les entreprises !
3. Evolution, orientation et conséquences.
a) Sur les SSTI (services de santé au travail interentreprises)
Le terme de santé au travail a supplanté le terme de médecine du travail sans que ce terme ait été défini (qui peut dire exactement ce que signifie la santé au travail ?). La confusion est organisée au niveau des missions (au service de la santé des salariés ou des entreprises ?), au niveau des concepts (santé publique ou gestion de la main d’œuvre), au niveau de la gouvernance (responsabilité du médecin animateur et coordinateur ou du directeur ?).
La pénurie organisée de médecins et maintenant d’IDEST réoriente vers des actions plus techniques et déconnectées des problématiques actuelles de santé mentale. La volonté de « donner aux employeurs quelque chose en échange de la cotisation » et de satisfaire les employeurs (qui répètent que c’est eux qui payent alors que le financeur c’est l’entreprise donc essentiellement les salariés par leur travail !) conduit à une offre marchande où le sens du service disparaît. Il en résulte dans beaucoup de services, comme dans la plupart des entreprises, un mal être au travail.
b) Sur les salariés
Pour les salariés des entreprise adhérentes, la surveillance médicale est un lointain souvenir auquel ils sont attachés plus par principe que par conviction sur son utilité. Ils voient le médecin du travail comme le recours devant son mal être au travail et la clé pour la porte de sortie. Ils comprennent rarement le rôle du travail dans la construction de la santé et donc les possibilités que devraient avoir le service.