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Document historique : La parole à Jacques Roux

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NDLR : Pour mémoire nous rappelons que le Pcf a publié (littérature grise) une revue intitulée « Revue de santé publique et de protection sociale » de Janvier 2004 à début 2009 (17 numéros trimestriels). Ensuite à partir de 2011 la Fondation Gabriel Péri a publié les actuels « Cahiers de santé publique et de protection sociale » (34 numéros trimestriels imprimés puis les suivants sous forme numérique). Nous voici donc au N° 54. L’Université d’été du Pcf s’est tenue cette année à Montpellier, ville du Pr Jacques Roux. Jacques nous avait confié un texte que nous avions publié à l’époque et ce séjour à Montpellier nous y a fait penser. Ce fut son dernier article puisqu’il est décédé au moment de la publication. Nous redonnons ici ce document intéressant en souvenir de lui au moment où Les Cahiers retravaillent les questions de prévention ainsi que les mot de présentation de l’époque et le mot annonçant son décès.

Nous écrivions à l’époque la présentation suivante:

Nous sommes heureux de publier ici un texte du Professeur Jacques Roux qui est une figure historique du Parti communiste et un ancien du « secteur » santé de notre parti. Historique mais toujours bien présent à 82 ans puisqu’il aborde à partir de son expérience un sujet d’actualité : la question de la prévention et du principe de précaution en santé publique. Rappelons en quelques mots son parcours personnel. Parcours de médecin : Thèse en 1950, Agrégation de médecine (microbiologie) en 1955, Professeur à Montpellier de 1960 à 1981, Directeur général de la Santé de 1981 à 1986, Expert à l’Organisation mondiale de la santé de 1970 à 1990, Président du Conseil exécutif de l’O. M. S. de 1984 à 1985, Membre correspondant de l’Académie de Médecine depuis 1970. Parcours de chercheur : il s’est illustré par ses travaux concernant la brucellose et en particulier la mise au point du vaccin ; il fut Directeur d’une unité de recherche de l’Inserm de 1965 à 1980. Enfin son parcours de militant communiste fut celui d’un combattant de la première heure de la Résistance (réseau NAP) dès 1941, Membre du comité central de 1964 à 1994, et député de l’Hérault de 1986 à 1988.

La rédaction.

In extremis

Alors que nous mettions la dernière main à la mise en page de cet article, Benoît Monier nous prévenait que Jacques Roux venait de mourir. C’était mardi. Finalement ce texte aura été la dernière contribution de Jacques à notre réflexion commune et à nos luttes. Ce n’est pas sans émotion que la rédaction de la Revue adresse à son épouse et à sa famille ses condoléances.

Au fond, pour ceux qui l’ont connu et apprécié, c’est assez émouvant de voir qu’il a terminé ainsi sa vie militante par une réflexion profonde qu’il a su communiquer. C’était un homme de grande culture, un vrai savant reconnu dans le monde de la biologie scientifique (il faut voir tous les grands noms de la biologie qui s’étaient mobilisés pour son procès); c’était aussi un politique qui savait donner du sens à son action et la mettre en perspective; enfin c’était un homme d’une puissance de travail exceptionnelle! Il avait beaucoup souffert d’être accusé à tort dans l’affaire du sang contaminé et de finir ainsi sa carrière professionnelle après s’être tant dévoué à la cause de l’Humanisme communiste.

Jacques, nous ne t’oublierons pas.

Docteur Michel Limousin.

Programme de santé,

Prévention – Principe de précaution.

Par le Professeur Jacques Roux

Le Parti communiste a maintenant une revue de santé publique et de protection sociale. A-t-il un programme de santé, c’est-à-dire un projet pour la santé de tous les habitants du pays ? Je n’ai pas qualité pour donner une réponse officielle, mais je peux donner mon avis : c’est OUI mais… D’abord le oui : De nombreux documents, qui ne portent pas la signature du parti lui-même peuvent être considérés comme reflétant la pensée des communistes, ou leurs propositions, ou tout au moins peuvent être acceptés par eux comme bases d’un projet.

Le document intitulé « 31 propositions pour la santé »[1] peut être indiscutablement considéré comme un canevas de programme communiste. Il envisage tous les points importants d’un projet de santé pour le pays : démocratie, prévention, personnels soignants, accès aux soins, médicaments, hôpital, financement. Déjà, dans le chapitre Démocratie et Prévention apparaît une notion fondamentale sur laquelle je reviendrai plus loin : envisager tous les aspect de la vie d’une population.

L’important document élaboré par les député-e-s et sénateurs communistes[2] intitulé « Sécurité sociale » a été résumé dans l’Humanité[3]. Il confirme ce que je viens d’affirmer à propos de l’article précédent : aborder un problème de santé conduit à examiner de nombreux aspects de société. Ce document des Parlementaires commence par rappeler que la Sécurité sociale est issue en 1945 du programme du Conseil national de la Résistance et que ses principes fondateurs sont toujours valables et modernes. Il développe ensuite sept chapitres : priorité à la prévention, une prise en charge de soins élargie, une nouvelle politique du médicament, l’hôpital public modernisé et développé, un plan de formation pour les professionnels, un plan de financement qui conjugue justice sociale et développement économique, une gestion démocratique. Chaque sujet est suivi d’un texte très détaillé et très concret indiquant ce que proposent les parlementaires communistes et républicains. Cet ensemble de propositions fait de ce petit ouvrage (38 pages) un véritable programme dont les auteurs proposent qu’il en soit débattu et qu’il permette d’agir.

Plusieurs articles de l’Humanité qui complètent et détaillent de nombreux problèmes de santé pourraient être intégrés sans beaucoup d’adaptation dans un programme. Un article de Catherine Mills « Il existe des propositions alternatives à la marchandisation de la santé »[4] réfute l’argumentation de libéraux sur les dépenses de santé et développe des propositions alternatives. Cet article anticipe sur un petit ouvrage qu’elle vient de publier[5] et qui a été analysé par Benoît Monier dans le n°4 de cette revue.  Je citerais encore « Spécial Assurance Maladie »[6] qui rassemble plusieurs articles de professionnels qui compléteraient très bien divers chapitres d’un programme de santé. Bien entendu, je ne cite pas les nombreux articles parus dans cette revue qui contribuent à définir tous les aspects d’une politique de santé.

Tous les documents qui viennent d’être cités confortent ma réponse qu’existent tous les éléments d’un programme cohérent de santé. Un autre argument essentiel : un tel programme n’est pas imaginaire et seulement théorique puisqu’il correspond à des actions de luttes effectives de chaque jour.

Défendre des hôpitaux menacés de fermeture ou de suppressions de services, soutenir les luttes des personnels pour de meilleurs effectifs sont des objectifs d’un programme hospitalier pouvant d’ailleurs être plus vaste ; participer aux revendications salariales ; revendiquer de meilleures conditions de travail, y compris la défense des 35 heures, mais aussi refuser les licenciements, sources de chômage, sont des actes qui influent directement sur les conditions de vie des individus et des familles, des enfants, donc sur la santé. Ces exemples, parmi d’autres, me conduisent à la deuxième partie de mon argumentation. A la question « Peut-on proposer un programme de santé ? », j’ai répondu oui, mais. Voici le MAIS. Il signifie que pour proposer un programme de santé, il faut envisager un projet global incluant tous les aspects de la vie du pays. 

Il est classique de se référer à la définition donnée par l’Organisation Mondiale de la Santé en 1946 : « La santé est un état complet de bien-être physique, mental et social, qui ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d’infirmité ». Cette définition implique bien plus de questions qu’il n’y parait. Les trois mots physique, mental et social ne sont pas seulement juxtaposés, ils sont en corrélation. On connaît bien les relations entre état physique et état moral, c’est-à-dire psychique. Les maladies psychosomatiques sont maintenant bien étudiées. L’autre volet de la définition de la santé comporte la relation entre le sanitaire et le social. Je me permets de reproduire quelques phrases que j’ai écrites sur la question voici plusieurs années[7] : « On ne peut séparer l’exemption et la protection vis-à-vis des maladies organiques des traumatismes qui affectent la santé mentale, l’équilibre physiologique et psychique et par conséquent la situation dans la société, en ce qu’elle permet ou non une vie normale, tant dans le travail que dans les autres domaines de l’existence. Selon cette conception, l’état physique et mental de chaque individu est dépendant des conditions dans lesquelles il vit et il travaille. Le droit à la santé inclut par conséquent le droit au travail, au logement, aux loisirs, à la culture, il implique la maîtrise de l’environnement… ».

Résumons en quelques mots : pour être en bonne santé, il faut vivre dans une société en bonne santé. Autrement dit le programme de santé d’un parti politique n’est complet que s’il s’inclut dans tout le programme politique abordant tous les problèmes. Les 31 propositions de l’Humanité, le document des parlementaires, sans avoir cette ambition, vont dans ce sens. Le premier chapitre du document des parlementaires est intitulé : priorité à la prévention.

Prévention

La prévention reste l’élément essentiel de tout programme de santé. Il convient de s’expliquer sur ce terme. Je préférerais qu’on reprenne la notion de promotion de la santé, utilisée dans les années 80 et oubliée depuis car trop ambitieuse pour certains. Ce terme implique non seulement la médecine préventive, qui reste une démarche défensive, mais suggère la participation active de tous, c’est-à-dire non seulement une action individuelle, mais implique une même réflexion de tous les intéressés, de tous ceux qui, dans la société, sont les acteurs des conditions de vie, de travail, de loisirs, élus, syndicats, professionnels de santé. Cela nous ramène à la définition de la santé de l’OMS.

Dans la prise en compte de cette définition très large de la prévention, l’ouvrage le plus complet que je connaisse est celui élaboré en 1981-1982 par une commission organisée à la demande du Ministre de la santé de cette période Jack Ralite. Les travaux de cette commission sont  exposés dans deux ouvrages qui sont le résultat d’un travail considérable [8],[9].

Composée de 17 membres et de  nombreux autres collaborateurs et consultants, la commission s’est divisée en six sous-groupes. Les quatre premiers sont consacrés à des groupes socioprofessionnels: manœuvres, ouvriers spécialisés, chômeurs, immigrés constituent le premier ; le deuxième, ouvriers qualifiés, le troisième, les travailleurs à risque spécifiques et le quatrième, le monde rural. Un cinquième sous-groupe reprend les problème de santé publique en fonction des groupes précédents pour réaliser une vision médicale et épidémiologique plus classique, envisageant les problèmes posés par les classes d’âge, les maladies spécifiques et les facteurs de  risque. Un autre chapitre condense le tout pour faire des propositions quant aux structures de promotion de la santé et aux moyens à mettre en œuvre pour appliquer une politique de prévention découlant des conclusions précédentes. S’ajoutent des annexes étudiant toute une série de problèmes particuliers, maladies transmissibles, accidents, cancer, reproduction humaine, santé des enfants, personnes âgées, etc… 65 personnes ont participé à l’élaboration de cette œuvre, professionnels de diverses disciplines, médecins, syndicalistes, épidémiologistes, économistes. Les noms de tous les participants figurent dans les deux volumes publiés. J’en cite trois : Gérard de Bernis, économiste, professeur à l’Université de Grenoble, Président de la Commission, les professeurs François Gremy, statisticien, épidémiologiste, et Bernard Pissaro, professeur de santé publique, tous deux rédacteurs du rapport général. Ce travail a permis une meilleure compréhension de ce que devrait être la promotion de la santé publique, et a proposé que soit élaboré chaque année un rapport sur l’état de la santé de la population. La Commission précise que tout le gouvernement est concerné par cet ouvrage et précise pour chaque ministère quel devrait être son rôle dans la promotion de  la santé. Ce rapport a été apprécié par beaucoup, notamment dans les milieux impliqués dans la santé. Mais il a suscité des émois, des craintes et des critiques dans d’autres milieux.

Pour expliquer pourquoi ce document était dérangeant, il me suffira d’un seul exemple. Dans le chapitre intitulé : « Organisation du travail dans le cadre de la politique de prévention » un paragraphe est consacré aux droits à l’entreprise ; il nécessite 13 pages et comprend plusieurs alinéas : la rénovation du contrat de travail, la reconsidération du règlement intérieur, l’extension des droits collectifs au sein de l’entreprise, la médecine du travail, lever le secret sur le lien entre organisation du travail et santé. Ce paragraphe est suivi d’un autre intitulé : « la formation des travailleurs exerçant un mandat » (6 pages). D’autres chapitres constituent un ensemble de propositions pour des modifications radicales sur les conditions de travail.

On comprend qu’un tel programme, dont je n’ai donné qu’un résumé ait fait quelques vagues.

En présentant son rapport, la Commission a précisé : « est-il besoin de rappeler que ce rapport, rédigé en toute indépendance par la commission, n’engage en rien le Ministre de la Santé et le gouvernement.. ». Néanmoins des objections virulentes inspirées par les partis politiques de droite, le patronat, diverses organisations professionnelles sont parvenues jusqu’au Premier Ministre, avec l’idée que le Ministre de la Santé était bien capable de mettre en œuvre certaines ou toutes les propositions de ce programme. Il n’en fut rien…. Car au début 1983, plusieurs considérations politiques conduisirent à modifier le gouvernement Mauroy I, mis en place après l’élection de François Mitterrand. Le gouvernement Mauroy II lui succéda. Le Ministre de la Santé, Jack Ralite, sans doute jugé trop entreprenant, dû quitter son poste pour devenir Ministre délégué chargé de l’Emploi auprès du Ministre des Affaires Sociales Pierre Bérégovoy. Ce dernier avait remplacé peu de temps auparavant Nicole Questiaux, pourtant socialiste, mais jugée trop compréhensive vis-à-vis des demandes financières de la Sécurité Sociale. On ne parla plus ou très peu de Prévention. La Santé n’eut plus droit à un poste de Ministre de plein exercice, mais à un Secrétariat  d’Etat  (Edmond Hervé), auprès du Ministre des Affaires Sociales.

Prévention ou Précaution ?

Distinguer ce qui est prévention de ce qui est précaution n’est pas toujours évident.

Le Principe de précaution est apparu dans les années 70 en Allemagne dans le cadre de la définition de la politique d’environnement. Il est également utilisé en 1972 à la conférence de l’ONU à Stockholm. Ce n’est que dans les années 80 que le terme apparaît en langue française. En politique, au niveau international, il a été utilisé à Rio en 1992 dans la déclaration sur l’environnement et le développement. A partir de ce moment, il est utilisé en français  ou dans une autre langue dans de nombreuses conventions internationales et régionales tout en restant limité jusqu’au milieu des années 80 aux textes sur l’environnement. Le traité de Maastricht  en fait un des fondements de la politique de l’Union Européenne dans le domaine de l’environnement. Il devient obligation légale en France avec la Loi du 2 février 1995 dite Loi Barnier relative au renforcement de la protection de l’environnement. La loi en donne la définition suivante : « Le principe de précaution, selon lequel l’absence de certitudes, compte tenu des connaissances scientifiques et techniques du moment, ne doit pas retarder l’adoption de mesures effectives et proportionnées visant à prévenir le risque de dommages graves et irréversibles à l’environnement à un coût économique acceptable. »

Le principe de précaution va passer du domaine de l’environnement à celui de la santé dans les années 90. C’est en 1996 qu’il est utilisé dans l’affaire dite de la vache folle. Mais ce nouveau concept est officiellement introduit en santé publique en 1998 par le Conseil d’Etat dans son rapport annuel[10]  principalement centré sur le droit à la santé, dans un chapitre sur « valeur et limites du principe de précaution ». Le Conseil d’Etat donne du Principe de précaution la définition suivante : « ce nouveau concept se définit par l’obligation pesant sur le décideur  public ou privé de s’astreindre à une action ou de s’y refuser en fonction du risque possible. Dans ce sens, il ne lui suffit pas de conformer sa conduite à la prise en compte des risques connus. Il doit en outre apporter la preuve,  compte tenu de l’état actuel de la science, de l’absence du risque ».

On voit que des différences importantes apparaissent entre la définition du principe de précaution dans le domaine écologique et sa définition dans le domaine sanitaire. Dans le domaine écologique ou environnemental, il s’agit de risques graves et irréversibles ; pour la santé le risque n’est pas qualifié, il s’agit donc de n’importe quel risque ; en écologie les mesures à prendre doivent être proportionnées et avoir un coût acceptable ; avec le Conseil d’Etat cette notion n’existe pas. Dans les années 90, cette utilisation du principe de précaution est très fréquente, il est même souvent énoncé un peu n’importe quand et n’importe comment. Dans le domaine de la santé, il fallait essayer de mettre un  peu d’ordre. En 1998, deux interventions à l’Académie de Médecine, celle du Professeur Georges David[11] et celle du Procureur Général près de la Cour de Cassation[12] analysent les principaux éléments qui vont définir le principe de précaution en médecine et en santé publique. Ces deux interventions préparent une importante réunion sous l’égide de l’Académie de Médecine, une journée thématique intitulée « Principe de précaution, santé et décision médicale » qui s’est déroulée avec de nombreux participants en mai 2000[13]. Au cours de cette journée, de nombreux débats ont analysé les différents aspects du principe de précaution. Plusieurs rapports ont été présentés et discutés.

Leur énumération montrera combien le principe en question est d’un utilisation vraiment très complexe :

– Principe de précaution, santé et décision médicale (Claude Sureau)

– Le principe de précaution entre responsabilité et politique (François Ewald)

– Principe de précaution et code de déontologie (Bernard Glorion)

– Champ et usage du principe de précaution (Alain Bacquet)

– Responsabilité  civile de l’activité médicale de soins au regard du principe de précaution (Huguette Le Foyer de Costil)

– La généralisation du Champ médical (Jean Marc Varaut)

– Le principe de précaution, recherche et médicament ((Pierre Joly)

– Le principe de précaution et l’obligation d’action médicale (Jean-Michel Foidart)

– Judiciarisation du principe de précaution et relation médecins malades dans le champ des maladies graves à issue incertaine : quelques propositions (Lucien Israël)

– Génétique et principe de précaution (Jean Rosa)

– Principe de précaution et décision politique (Michèle Barzach)

– Conclusions : le principe de précaution, ses avantages et ses risques (Maurice Tubiana).

Cette énumération indique combien le principe de précaution en santé publique doit faire l’objet d’études approfondies, d’où il ressort qu’il s’agit d’une notion très complexe, qu’il faut utiliser avec beaucoup de discernement.

Au cours de cette séance, quelques affaires importantes, en relation avec le principe de précaution en santé publique, ont été examinées, notamment celle du sang contaminé par le virus du Sida. Je peux en parler puisqu’elle me concerne, étant à cette époque Directeur général de la Santé, mais surtout parce que c’est l’exemple d’un drame au cours duquel le principe de précaution, acte fondamental de l’affaire, a été particulièrement malmené. Je ne ferai ici qu’un résumé de l’application d’une décision que j’ai exposée en détail ailleurs[14].

En 1983 le Sida est encore mal connu, le virus n’a pas encore été isolé, mais déjà apparaissent ses principales voies de contamination. Aux États-Unis, on constate que les homosexuels sont particulièrement touchés. La transmission par le sang et par l’acte sexuel est prouvée. Par circulaire du 23 juin 1983, je mettais en garde les centres de transfusion sanguine sur l’existence de donneurs qui appartenaient principalement à des catégories que la circulaire énumérait : les personnes homosexuelles ou bisexuelles ayant des partenaires multiples, les utilisateurs de drogues injectables par voie veineuse, les personnes ayant séjourné en Haïti ou en Afrique Équatoriale, les partenaires sexuels hommes et femmes des personnes appartenant à ces catégories. L’instruction impérative était donnée de prendre les mesures nécessaires pour dépister ces personnes parmi celles se présentant pour donner leur sang, qu’il ne fallait pas utiliser. Cette circulaire était très délicate ; avec mes collaborateurs, je l’ai réécrite quatre ou cinq fois avant de l’envoyer au Journal officiel et aux préfets, pour diffusion auprès des centres de transfusion. Je savais que ce dépistage par un entretien confidentiel avec le médecin préleveur serait difficile. Mais il n’y avait pas d’autre solution, puisqu’il n’existait alors aucun test de dépistage biologique.

Plus de la moitié des centres de transfusion n’a pas respecté ces consignes. Plus tard, on a beaucoup écrit sur les raisons de ce non respect  d’une circulaire ministérielle. Beaucoup de médecins de centres, peu avertis de ce qu’on savait du Sida, persuadés que le Sida n’existait pas chez les donneurs bénévoles venant offrir leur sang, n’ont pas compris ou n’ont pas accepté ces mesures de sélection. Beaucoup de médecins étaient gênés, ou même choqués, d’intervenir dans la vie intime de leurs donneurs.

Bref cette circulaire fut mal acceptée. Un grand silence s’est fait autour de la circulaire ; le gouvernement, le personnel politique, l’Ordre des médecins, l’Académie de Médecine, les syndicats médicaux, une partie de la presse s’est déchaînée. Libération titre : « Les pédés, groupe sanguin indésirable ».  Le monde se faisait le relais du Comité d’Urgence Anti-Répression Homosexuel (CURH) et mettait en garde « contre le danger d’utiliser un phénomène biologique à fin de moralisation particulièrement à l’encontre des homosexuels », autrement dit pour ce journal, je faisais de la morale. Je passe sur les qualificatifs utilisés par certains à mon égard.

La non application de cette circulaire a provoqué une catastrophe dont on a connu un peu plus tard les conséquences.

Ce n’est que plusieurs années plus tard que l’accord fut général pour reconnaître que cette circulaire aurait considérablement réduit le nombre de contaminations par transfusion sanguine. Le rapport  de la Commission d’enquête du Sénat sur le système transfusionnel français (11 juin 1992) insiste beaucoup sur l’importance de cette circulaire : « la sélection préalable des donneurs quoique empirique constituait une réponse adaptée au défi auquel se trouvait le système transfusionnel français au cours des années 1980 ».

La journée de l’Académie de médecine sur le principe de précaution fait une analyse détaillée de cette circulaire en précisant (conclusions du Professeur Tubiana) : « la  circulaire de la D.G.S. de juin 1983 apparaît avec le recul, excellente car elle a été faite au moment approprié…Ainsi la circulaire préconisait tout ce  qu’il était possible de faire en vertu du principe de précaution… » Le rapport du Professeur Tubiana analyse ensuite les raisons de sa non application en développant ses arguments de façon bien plus détaillée que je ne le fais ici. Ainsi un très important Principe de précaution, (ce concept est employé par l’Académie alors qu’il n’était pas encore utilisé en 83 en santé publique) grave pour la santé, fondamental pour une bonne pratique médicale a été très peu utilisé (un commentateur a utilisé le terme de bafoué) par les médecins eux-mêmes.

Il a fallu plusieurs années pour admettre sa validité, trop tard. La crainte que la mise en cause, au plan sanitaire et épidémiologique, de certaines personnes, ne se transforme en une condamnation morale, a été déterminante.

La non application de cette circulaire a quand même eu un aspect positif. Cette affaire a mis en évidence l’incohérence et le laxisme  de la transfusion sanguine française avec ses 180 centres de transfusion, autonomes, jaloux de leur indépendance, et parfois en concurrence ;  d’où la nécessité d’une réforme. Cela a été fait en 1998 par la création de l’Établissement Français du sang établissement public devenant l’opérateur transfusionnel unique, subdivisé en 14 établissements régionaux pour la métropole et 4 établissements d’Outre Mer. On peut espérer une amélioration radicale de la transfusion sanguine française.

Reste une autre question : ce principe de précaution, si important pour la santé, négligé par beaucoup, la Justice n’a jamais voulu s’y intéresser, malgré l’ampleur médiatique du drame du sang contaminé. Cette question, comme d’autres, a été réglée en bâclant, après une instruction expéditive, le procès en correctionnelle à Paris de juin à août 1992. Le procès a été ouvert par le Président du tribunal, déclarant : « nous allons examiner les événements, année par année en commençant par 1984 ». Cette introduction est significative : on ne parlera pas de 1983, l’année de la circulaire. Autre déclaration ayant le même objectif : une phrase de la substitut du procureur de la République, en pleine audience publique : « on aurait pu inculper une centaine de personnes, on en a choisi quatre ». La justice a donc décidé de ne pas s’occuper de cette circulaire. Il y a deux raisons : trop de monde était concerné par le non respect par les centres de transfusion de la circulaire en question, d’où la remarque de la substitut. Mais la justice ne voulait pas mettre en cause la Directrice de l’Administration pénitentiaire de l’époque (1983), magistrate qui était devenue entre temps première Présidente de la Cour d’Appel de Paris, fonction qu’elle occupait au moment du procès. Or cette magistrate avait en janvier 1984 publié une circulaire donnant des possibilités nouvelles aux centres de transfusion pour collecter du sang parmi les détenus. Les centres avaient largement utilisé les nouvelles opportunités qui leur étaient offertes, alors que la population carcérale était très fournie en sujets à risque visés par la circulaire de la D.G.S. . En 1992 une mission fut  désignée pour enquêter sur la collecte du sang dans les établissements pénitentiaires. Le rapport de cette mission d’enquête développe bien l’analyse de la circulaire de 1983 et explique pourquoi ce fut « un acte novateur et dérangeant et par conséquent mal appliqué ».

La conclusion de cette affaire est simple : un principe de précaution indispensable peut être mal appliqué s’il est mal compris et dérange trop de monde. Mais il faut considérer que de tels déboires sont exceptionnels et on peut estimer que le principe de précaution peut apporter des avantages certains pour la Santé, notamment quand il correspond à une demande sociale majeure.

Mais le concept doit être utilisé avec une grande prudence : son  usage abusif peut être nuisible. Il est évident que la tendance générale dans la société est de demander une totale sécurité ; mais le public sait aussi accepter les risques éventuels lorsqu’ils sont bien exposés par rapport aux objectifs.

Un principe de précaution mis en avant d’une manière irréfléchie et irrationnelle pourrait entraîner le blocage de l’innovation, un frein à la recherche, le refus ou le rejet de découvertes scientifiques. L’évaluation des risques est parfois difficile surtout lorsqu’en santé publique des dangers existent.

Lorsqu’on a observé, il y a bien longtemps, que la vaccination antivariolique pouvait entraîner des accidents très graves, voire mortels, mais extrêmement rares, si le principe de précaution avait existé, il aurait pu être invoqué par des personnes souvent réfractaires à toute vaccination. La communauté médicale internationale et  l’OMS, dès qu’elle a existé (1946), ont exigé que  la vaccination contre la variole soit obligatoire dans toutes les nations. Il fallait accepter ce risque. Grâce au vaccin la variole a disparu dans le monde depuis plus de 20 ans et cette vaccination est supprimée. On pourrait donner d’autres exemples où le principe de précaution n’a pas été mis en avant malgré quelques risques, avec des résultats favorables.

Par contre, en octobre 1998, le principe de précaution a été évoqué bien maladroitement. Le Secrétaire d’État à la Santé[15] a décidé d’interrompre la vaccination contre l’hépatite B dans les écoles. Des accidents neurologiques graves sont survenus après cette vaccination qui en a été rendue responsable. Aucune preuve n’a été jusqu’ici apportée quant à la cause vaccinale et leur rareté par rapport au nombre de personnes vaccinées n’a  permis aucune étude épidémiologique. Par contre les avantages de la vaccination sont déjà largement démontrés contre cette maladie particulièrement grave. Le Secrétaire d’Etat a justifié cette mesure par le principe de précaution sans aucune preuve scientifique et sans étude sérieuse, probablement cédant à quelque influence médiatique[16]. Il a été obligé d’annuler ensuite cette décision sous la pression de nombreuses et sévères critiques médicales et l’intervention immédiate et très documentée de l’OMS. Mais cette intervention absurde a laissé des traces en jetant le trouble dans la population et en ralentissant la vaccination particulièrement chez les adolescents pour lesquels elle est très recommandée.

L’application du principe de précaution pose des problèmes difficiles, particulièrement dans la médecine de soins. L’Académie de médecine, après la journée thématique qui a montré l’extension du principe de précaution, et devant l’ampleur des problèmes soulevés, a décidé de prendre une position officielle. Elle a constitué pour cela un groupe de travail dont le rapport a été publié[17]. A la suite de ce rapport, l’Académie a pris la décision officielle suivante le 17 Octobre 2000 :

« L’Académie Nationale de Médecine, s’appuyant sur les considérations précédentes, estime que le principe de précaution comporte encore trop d’imprécisions pour une application immédiate au domaine médical. Elle souhaite que soit ouverte, au préalable, une large réflexion avec toutes les parties concernées pour définir la valeur et les limites de ce nouveau concept, tenant compte de la spécificité du domaine médical. Il est en effet de l’intérêt général de ne pas laisser se développer  la situation ambiguë actuelle, qui peut être à l’origine d’incohérences préjudiciables. L’Académie Nationale de Médecine se déclare prête à une participation active à cet effort de clarification qui constitue à ses yeux le préalable indispensable à une mise en œuvre du principe de précaution en médecine ».

On voit combien cette décision est très nuancée et remet en question le principe de précaution. Elle est conforme à l’avis des rapporteurs qui ont pris en compte les interrogations et les incertitudes exposées lors de la journée thématique. Les rapporteurs ont insisté sur le fait que le principe de précaution, initialement élaboré pour répondre aux problèmes de l’environnement a été rapidement diffusé dans d’autres domaines avec beaucoup d’ambiguïtés, notamment dans sa valeur juridique. Ils ont regretté  que son extension dans le domaine médical ait été envisagée sans une concertation préalable avec le corps médical.

Mais il faut relativiser cette position de l’Académie en précisant qu’elle traite exclusivement de l’exercice de la médecine et plus particulièrement de la médecine de soins. Les rapporteurs reconnaissent que la médecine de santé publique a un champ possible d’applications avec les avantages que peut apporter l’introduction du principe de précaution sous réserve qu’il fasse l’objet d’une attention toute particulière. Ils insistent sur la notion que le principe de précaution en santé publique relève de la responsabilité de l’Etat, donc d’une décision politique et qu’il faut pour ce concept une définition adaptée. Bien que cela  ne soit pas écrit, c’est la remise en cause de la définition donnée par le Conseil d’Etat qui précise qu’il s’agit d’un décideur  public ou privé.

La question de la responsabilité de l’État est posée tout particulièrement pour l’autorisation de mise sur le marché (AMM) d’un nouveau médicament. Je ne développe pas cette question, car elle est très bien traitée dans cette revue par le document sur les propositions de réforme des parlementaires communistes[18].

Mais une affaire récente mérite d’être exposée avec quelques détails en raison de sa gravité et parce qu’elle implique les relations entre organismes d’Etat et industrie pharmaceutique[19],[20]. Le Vioxx ou réfécoxib est un médicament commercialisé par la multinationale pharmaceutique Merck. C’est un anti-inflammatoire utilisé dans le traitement d’affections rhumatismales (arthrose et polyarthrite rhumatoïde). Il a été agréé aux États-Unis et a reçu en France début 2000 l’AMM (autorisation de mise sur le marché). Il a été lancé avec des moyens considérables et une extraordinaire publicité accompagnée de multiples cadeaux, en assurant que ce médicament allait révolutionner le traitement des rhumatismes. Après de longues discussions il obtint en juillet 2001 le remboursement de la Sécurité Sociale à un prix de vente très élevé, prix de vente imposé par Merck, ce qui est exceptionnel, supérieur au tarif des autres médicaments bien connus ainsi que le signala la revue Prescrire dans son numéro de juillet –août 2000. Un peu plus tard, un incident significatif est  survenu. Le Comité Economique des produits de santé (Ceps ), qui fixe le prix des médicaments a eu quelques regrets de s’être laissé influencer par le battage médiatique organisé autour du produit et a décidé de baisser le prix de vente à partir de janvier 2003. Avant cette date Monsieur Jean-François Mattei devient Ministre de la santé et une des ses premières mesures est d’annuler la décision du Ceps de baisser le prix du Vioxx… En France, dès 2003, 500 000 patients prennent ce médicament, ce qui coûtera  cette année-là à la Sécurité Sociale, 87 millions d’euros. Le Vioxx est alors commercialisé dans 80 pays, et prescrit à environ 84 millions de personnes, et ses ventes sont estimées à 250 milliards de dollars par an.

Brusquement tout s’effondre. Le 30 septembre 2004, Merck annonce le retrait du produit dans tous les pays du monde. En France, l’information est rendue publique le jour même par l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (AFSAPS) ; le communiqué de l’Agence est certes justifié, mais conduit à se demander si l’Administration française connaît exactement l’ampleur et la gravité de la situation. L’Agence transmet l’information, mais n’intervient pas officiellement puisque l’AMM n’est pas retirée  et ne le sera pas ensuite. Elle conseille simplement de consulter son médecin et ajoute très curieusement : « cette démarche ne nécessite pas d’être réalisée dans l’urgence compte tenu du fait que le risque de complication cardio-vasculaire reste cependant faible et n’apparaît qu’à long terme ».

Autrement dit l’Administration française ne s’implique en rien dans l’affaire et ne rappelle pas qu’elle a délivré l’AMM.

Pourquoi Merck prend-il cette décision en septembre 2004 et sans préavis ?

Des doutes graves sont déjà connus à peu près depuis sa mise sur le marché. En 2000 le docteur Graham, directeur adjoint du service chargé d’évaluer l’innocuité des médicaments à la FDA (Food and Drug Administration), l’organisme qui contrôle les médicaments et les produits alimentaires aux États-Unis, lance une étude sur le Vioxx. Entre 2000 et 2004 le Docteur Graham et ses collaborateurs ont suivi en Californie un million trente neuf mille patients qui avaient pris des médicaments anti-inflammatoires. Les personnes prenant du Vioxx ont un risque accru de 30% d’accidents cardio-vasculaires par rapport à celles prenant un autre anti-inflammatoire. Dans le groupe prenant du Vioxx, 8143 ont souffert d’une maladie cardiaque grave, 5799  ont eu un infarctus entraînant 2210 décès… Le docteur Graham estime que, depuis son lancement en 1999, le Vioxx pourrait avoir causé aux Etats-Unis 139 000 cas supplémentaires de maladies cardio-vasculaires et au moins 27 000 décès. Dans le monde, cela pourrait représenter des dizaines de millions de maladies graves avec une quantité de morts difficile à chiffrer. Des pressions considérables sont exercées sur le docteur Graham pour qu’il ne publie pas ses résultats. Mais la FDA et le Dr Graham ne peuvent passer sous silence un tel désastre et décident début septembre 2004 de les faire connaître. Merck doit devancer cette publication, d’où le retrait de septembre 2004. les résultats du  Dr. Graham ont été rendus publics devant une commission du Sénat américain le 18 novembre 2004 et publiés dans la revue anglaise The Lancet le 25 janvier 2005. Les graves accidents que cette étude a dénombrés, ont été signalés à Merck bien avant, depuis le début de l’exploitation. Dès 2000 la revue Prescrire indiquait qu’il y avait des questions sans réponse avec l’emploi du Vioxx, notamment les effets cardiaques. La même revue en 2002, faisait état d’accidents cardiaques. Le 28 juin 2002 l’AFSAPS rappelait les règles du bon usage de deux médicaments, le Vioxx et le Celebrex, dont  je reparlerai, qui présentaient des effets indésirables. Des accidents très graves sont signalés de divers côtés  en Espagne en 2002, en avril 2004 par l’Agence européenne des médicaments qui signale des effets très défavorables. Aux États-Unis, le Journal of the American Medical Association (JAMA) fait état d’effets secondaires cardio-vasculaires et en 2003 la FDA rend compte d’essais qui démontrent que le risque d’avoir une crise cardiaque est deux fois plus important avec le Vioxx qu’avec un autre anti-inflammatoire.

Il est donc évident que pendant des années les intérêts financiers ont dominé sur toute autre question de santé. En un seul jour, la firme Merck (exactement Merck SHARP Dohme Chibret) a chuté d’un tiers de sa valeur boursière, ce qui indique tout ce que représentait financièrement le Vioxx. Je n’insiste pas sur cette question de rentabilité capitaliste puisque le dernier numéro de cette revue a traité  de cet aspect financier du scandale[21]. Les autorités administratives et peut-être politiques de France et des États-Unis et probablement d’autres pays ne sont pas sans responsabilité. En France, après un an d’utilisation aux États-Unis, l’AMM n’aurait jamais dû être donnée. Je rappelle l’attitude du Ministre Mattéi refusant qu’on diminue le prix de vente du Vioxx. Les autorités françaises n’ont donné à ce jour (30 janvier 2005) aucune information sur les accidents survenus avec le Vioxx. C’est assez surprenant, puisque la Commission nationale de pharmacovigilance, dont c’est le rôle d’étudier les possibles accidents causés par les médicaments, a déjà eu l’occasion de s’exprimer sur le Vioxx.

Un autre produit, le Celebrex (Celecoxib) appartenant à la même classe de produit que le Vioxx (les Coxibs) est actuellement sur le marché français. Son fabricant, la firme Pfizer fait état d’études qui ne donnent pas autant d’accidents graves que le Vioxx, mais rappelle que le texte lui délivrant l’AMM précise que « la prudence sera de rigueur chez les patients ayant des accidents de cardiopathie ischémique ». Affaire à suivre[22].

J’ai décrit cette affaire du Vioxx à propos de commentaires sur le principe de précaution. Concernant le Celebrex, l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé a communiqué une information où elle prône au nom du principe de précaution l’abstention thérapeutique chez les personnes présentant des antécédents d’infarctus et d’angine de poitrine. Ce rappel du principe de précaution est sans doute approprié, présenté de cette façon. Mais dans ce drame du Vioxx, la notion du principe de précaution est dépassée. Il ne s’agit plus de cela. Au nom du principe de précaution, on cherche à savoir s’il faut accepter tel ou tel risque plus ou moins prévisible, plus ou moins graves, des risques qu’on connaît ou qu’on ne connaît  pas, et on cherche éventuellement d’autres solutions. Mais ici, ne mettons pas le principe en jeu dans le comportement de la firme Merck. Les dangers étaient connus, fréquents et graves, et surtout il existait d’autres solutions thérapeutiques moins dangereuses. Merck a refusé de tenir compte des avertissements, même quand il a eu connaissance de cas mortels. La Justice devra sans doute donner un qualificatif à ce comportement (criminel ?).

L’Administration française n’a pas été à la hauteur de sa tâche et s’est révélée très liée ou dépendante aux intérêts d’un trust de l’industrie pharmaceutique.

Il est grand temps de demander la prise en compte de la réforme de la politique du médicament telle qu’elle est proposée dans le document déjà cité des parlementaires communistes.

Il serait sans doute très intéressant de développer une étude sur les rapports existants entre le principe de précaution et les firmes pharmaceutiques.


[1]  Les dossiers de l’Humanité – 31 propositions pour la santé – L’Humanité du 16 octobre 2003.

[2] Sécurité sociale. D’autres choix sont possibles – Assemblée Nationale – Groupe des députés communistes et républicains & Sénat – Groupe communiste républicain et citoyen – Mai 2004.

Même texte : Propositions de réforme de la Sécurité sociale in La Revue de Santé publique et de Protection sociale N°3 juin 2004 Pages 109 à 130.

[3] Sept axes de réflexion proposés par les parlementaires communistes – L’Humanité – Hebdo des 15 & 16 mai 2004 ;

[4] « Il existe des alternatives à la marchandisation de la santé », Catherine Mills – L’Humanité  du 22 janvier 2004.

[5] Catherine Mills & José Caudron : Le système de santé, résistances et alternatives. Ed. Le Temps des Cerises septembre 2004.

[6] « Le plan des libéraux pour casser la Sécu. » L’Humanité du 11 mars 2004.

[7]  Jacques Roux, La santé en souffrance, Ed. Messidor. Ed. Sociales Mars 1989.

[8] Propositions pour une politique de prévention. Rapport au ministre de la santé. Documentation française – Collection des rapports officiels mars 1982 – (182 pages).

[9] Propositions pour une politique de prévention – Annexes. La documentation française – Collection des rapports officiels mars 1982 – (263 pages).

[10] Conseil d’Etat : Rapport public 1998. Jurisprudence et avis de 1997. Réflexions sur le droit à la santé – Etudes et documents n°49 – La Documentation française, Ed. 1998.

[11]  La médecine saisie par le principe de précaution. Georges David. Bull. Acad. Méd. 1998 n°6: pages 1219 à 1228.

[12] La médecine saisie par le principe de précaution. Jean-François Burgelin. Bull. Acad. Méd. 1998 n°6: pages 1229 à 1230.

[13] Journée thématique : Principe de précaution, santé et décision médicale. Acad. Méd. 2000 n°5: pages 19 à 73.

[14] Jacques Roux. Sang contaminé : Priorité de l’Etat et décisions politiques. Ed. Espace 34 – 1995.

[15]  NDLR : Bernard Kouchner.

[16]  Le point sur la vaccination contre l’hépatite B. La revue de santé publique et de protection sociale. Septembre 2004. n°4.

[17] Georges David, Guy Nicolas et Claude Sureau. La médecine et le principe de précaution. Bull. Acad. Méd. 2000 n°7.

[18] Sécurité sociale. D’autres choix sont possibles – Assemblée Nationale – Groupe des députés communistes et républicains & Sénat – Groupe communiste républicain et citoyen – Mai 2004. Même texte : Propositions de réforme de la Sécurité sociale in La Revue de Santé publique et de Protection sociale N°3 juin 2004 Pages 109 à 130.

[19]« Le Vioxx pourrait avoir causé plus de 88 000 cas de maladies cardiaques aux États-Unis en cinq ans. » Le Monde, 26 janvier 2005.

[20] Vioxx, les dessous d’un méga-dérapage pharmaceutique. L’Expansion. 23 novembre 2004.

[21] Vioxx : prise de conscience. La revue de santé publique et de protection sociale. Janvier 2005 n°5 –  page 78.

[22] NDLR postérieure à la rédaction de cet article: des restrictions à la prescription de ce produit ont été introduites fin 2004.

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