© brooke-balentine-unsplash

La famille a besoin de soutien

Télécharger l'article

Résumé :
Pour l’auteur la politique familiale, après avoir joué un rôle dynamique dans la phase d’essor du système économique, va devenir une cible du démantèlement de notre modèle social. Elle décrit les objectifs que devrait avoir la politique familiale : démographique, économique et sociaux. Elle dénonce le glissement de cette politique vers une politique sociale d’assistance et son démantèlement par la fiscalisation et l’étatisme. Il faut aider les jeunes, développer les formules de garde, aider le logement et surtout faire vivre la démocratie.

Abstract :
For the author, family policy, after having played a dynamic role in the boom phase of the economic system, will become a target for the dismantling of our social model. She describes the objectives that family policy should have: demographic, economic and social. She denounces the shift of this policy towards a social assistance policy and its dismantling by taxation and statism. We must help young people, develop childcare formulas, support housing and above all, keep democracy alive.

La branche Famille de la Sécurité sociale créée par l’ordonnance du 4 octobre 1945 visait à dépasser les limites des caisses de compensation existantes avant la seconde guerre mondiale qui réalisaient une compensation entre entreprises des « sursalaires » versés aux salariés ayant des enfants. Le but de cette branche était de sortir de la crise démographique de l’entre-deux guerres et de développer la force de travail.

Mais la politique familiale, après avoir joué un rôle dynamique dans la phase d’essor du système économique, va devenir une cible du démantèlement de notre modèle social.

Les dogmes libéraux prétendent que le financement de la protection sociale étant limité, il faudrait soumettre les prestations familiales à des conditions de ressources. Leur caractère universel est présenté comme anti-redistributif et l’on tend à privilégier la solidarité verticale, c’est-à-dire le principe d’une redistribution entre ménages, entre ceux jugés aisés et les familles modestes. Cette logique de verticalité s’oppose au principe essentiel d’universalité qui fondait la politique familiale en France, avec des allocations familiales versées quel que soit le niveau de revenu des ménages, visant une solidarité de type horizontal entre célibataires et chargés de familles.

Ce changement de logique contribue à la division de notre peuple. Sous couvert de transformations, c’est le démantèlement, facilitant la stigmatisation de la politique familiale, présentée comme une charge et anti-redistributive.

Les objectifs de la politique familiale sont complémentaires 

– des objectifs démographiques : il s’agit d’assurer le renouvellement des générations et de faire face au vieillissement démographique. En France, la descendance finale des femmes nées en 1960 atteignait 2,09 enfants, ce qui reste très proche du seuil de renouvellement des générations, soit 2,1 enfants par femme. L’indice conjoncturel de fécondité en France était jusqu’en 2015 le plus élevé en Europe après l’Irlande. Mais il se ralentit et en 2024 il est de 1,62 enfant par femme selon l‘INSEE . Les politiques libérales d’austérité menées contre les familles ont contribué à la réduction du taux de fécondité des femmes. Pourtant, le dynamisme démographique contribue au financement de la protection sociale car les cotisants de demain participeront au financement des retraites.

– des objectifs économiques liés à la corrélation entre croissance démographique et croissance économique. La politique familiale permet le renouvellement d’une force de travail bien formée, en bonne santé et productive, elle participe à la création en quantité, ainsi qu’en qualité de la force de travail de demain grâce à la formation.

– Des objectifs sociaux : relancer le pouvoir d’achat des familles, avec une priorité pour les familles nombreuses et modestes, notamment les familles monoparentales. Cette relance contribue à maintenir et développer la consommation donc la croissance.

En outre la politique familiale poursuit quatre autres objectifs qui doivent être conciliés et non opposés.

* Le premier est d’assurer que les familles avec enfants aient le même niveau de vie que les couples sans enfants de salaires identiques.

* Le second objectif est de sortir tous les enfants de la pauvreté. Or le taux de pauvreté des enfants (18,2%) est supérieur de 4,6 points à celui de l’ensemble de la population. En France, il dépasse 40% pour les familles monoparentales.

* Le troisième objectif est d’assurer une redistribution suffisante aux familles. Les difficultés des familles s’expliquent aussi par la hausse des dislocations familiales et des ruptures de couples, ainsi que par la baisse du pouvoir d’achat relatif des prestations familiales. Le RSA est nettement plus faible que le minimum vieillesse, sous prétexte d’inciter les personnes d’âge actif à travailler, mais les enfants vivent avec des personnes d’âge actif.

* Le quatrième objectif : la conciliation vie professionnelle/vie familiale pour relever le taux d’activité des femmes. La politique familiale finance la garde des enfants de moins de 3 ans et l’école maternelle gratuite scolarise une majorité des enfants de 3 à 6 ans. 24 % des enfants de moins de 3 ans sont accueillis en crèche et 35 % sont gardés par des assistantes maternelles. L’activité des femmes est un outil puissant pour leur autonomie et la protection contre la pauvreté, qu’elles soient mères seules ou en couples. Mais elle ne suffit pas à assurer la parité des niveaux de vie des familles, les allocations familiales sont indispensables.

Le glissement de la politique familiale vers une politique sociale d’assistance.

A sa création, la Sécurité sociale distribuait aux familles de salariés des allocations familiales et une allocation de salaire unique, toutes deux d’un montant relativement élevé, l’objectif était d’assurer à des familles ouvrières types avec deux ou trois enfants, où la mère ne travaillait pas, un niveau de vie satisfaisant, celui de l’ouvrier célibataire. Les prestations, pensées historiquement comme un supplément de salaire, étaient financées par des cotisations employeurs. Progressivement, les prestations ont été versées à toutes les familles, en s’émancipant partiellement du lien avec le salariat. Les allocations familiales universelles stricto sensu ont perdu de leur importance relative, n’étant indexées au mieux que sur les prix.

Les gouvernements ont multiplié les coups de rabot sociaux : cela a concerné la prestation d’accueil du jeune enfant (Paje), laquelle regroupe plusieurs aides dont la prime de naissance et l’allocation de base (AB). Le montant de ces aides avait tout d’abord été «gelé» en 2014 par le gouvernement Hollande. Celui-ci a aussi instauré une modulation des montants de l’AB en fonction des revenus des familles bénéficiaires, ce qui a divisé son montant par deux pour celles dont les revenus dépassaient un certain plafond de ressources. Le plafond de ressources pour l’AB a été largement réduit : 10 % des parents d’enfants nés à partir d’avril 2018 ne sont plus bénéficiaires de cette aide, rejoignant les 20 % de parents présentés comme trop «aisés» pour la toucher. Sans compter la baisse du montant versé.

Il y a eu aussi des coups de rabot fiscaux. Concernant le quotient familial, le plafond de l’avantage fiscal a été abaissé à plusieurs reprises par François Hollande de 2 336 € en 2012 à 1 500 € en 2014.

Les pouvoirs successifs invoquent le thème des inégalités. Il a même été proposé de fusionner les allocations familiales avec le quotient familial. Ce dernier constitue un symbole de la politique familiale depuis que le Ministre Ambroise Croizat, le Général de Gaulle et le rapporteur Laroque, l’ont instauré au sortir de la seconde guerre mondiale. Les tentatives pour le supprimer, notamment par Macron, ont ravivé un épineux débat de société.

Il y a certes des inégalités de revenus insupportables, mais il faut les combattre ailleurs : par la politique fiscale, une augmentation du Smic et des salaires, l’incitation pour les femmes (et les hommes) à concilier enfant et travail, une égalisation par le haut des salaires féminins et masculins.

Cette politique de matraquage fiscal et social des familles et de réduction des prestations a conduit au retour des excédents alors qu’elle était en déficit depuis 2008. En 2024 l’excédent prévisionnel est encore de 0,4 Mds, malgré le transfert des indemnités de congé maternité. Ceci est présenté comme une bonne nouvelle, mais ne fait que traduire la réduction des prestations familiales.

Ainsi, les pouvoirs successifs organisent le glissement de la politique familiale vers une politique sociale d’assistance. Alors qu’en 1975, 75 % des dépenses de la CNAF allaient aux familles, 14 % au logement et 6 % à la « solidarité », les 5 % restants allant à l’action sociale, aujourd’hui les dépenses liées aux familles pèsent pour moins de 56 %, tandis que le logement est monté à 21%.

Une confusion est organisée entre politique familiale et justice sociale. 

La politique familiale ne doit pas être une politique de redistribution des revenus, ni une politique de redistribution entre les familles ; c’est une solidarité horizontale entre ceux qui n’ont pas d’enfants et ceux qui en ont. C’est une politique d’aide à l’enfant. Alors que le but réel des réformes gouvernementales est la réduction des dépenses publiques et sociales.

Le démantèlement du financement  de la politique familiale, sa fiscalisation

Le taux de cotisation employeurs, normalement de 5,25%, a été réduit depuis 2016 par le Pacte de Responsabilité à 3,45% pour les salaires inférieurs à 3,5 fois le SMIC, dans le cadre de la politique de baisse du coût du travail, censée favoriser l’emploi. La suppression totale des cotisations employeurs est d’ailleurs réclamée par le Medef et d’autres forces libérales ou social-libérales.

Cela a été compensé avec une fiscalisation croissante des produits : CSG, taxes dédiées, etc. Cette démarche est au cœur de la politique économique dominante visant à faire basculer la contribution des entreprises sur le budget de l’État, c’est-à-dire sur les impôts des ménages.

Par ailleurs, les CAF ont été chargées de payer des prestations pour d’autres (comme les APL pour le compte de l’État, le RSA pour les conseils départementaux) ne permettant plus à la population d’identifier ce qui est du ressort de la Sécurité sociale.

Il n’y a pas de vraie lisibilité des finances de la CNAF : transfert entre caisses au détriment de la CNAF, complexification des recettes avec un mélange de ressources fiscales à tel point qu’un rapport de 2021 du HCFEA avouait : « Il est cependant beaucoup plus difficile d’analyser l’évolution des recettes de la branche pour la période commençant en 2014 ».

Quelles propositions de réformes alternatives de la politique familiale ?

Une réforme moderne et efficace de progrès social de la politique familiale participerait à la sortie de la crise systémique, à un nouveau type de croissance et à la marche vers une nouvelle civilisation. La politique familiale est appelée à se transformer pour répondre aux besoins démographiques, sociaux et sociétaux actuels et futurs et participer à un nouveau type de croissance. Elle viserait à répondre aux besoins de logement social des plus modestes, notamment des jeunes et singulièrement des jeunes ménages.

Pour relever le taux d’activité des femmes, favoriser la conciliation vie professionnelle/vie familiale et réaliser l’égalité professionnelle, il s’agirait de développer les formules de garde des enfants avec un service public de la petite enfance. Le versement d’une allocation familiale dès le 1er enfant est réclamé de longue date, comme l’augmentation des allocations pour le 2e enfant.

Le financement par la cotisation sociale par les employeurs est légitime : les entreprises profitent de la création et de la formation d’une force de travail de qualité en nombre suffisant, ainsi que des débouchés liés à l’accroissement du pouvoir d’achat.

– Une politique familiale moderne pour affronter les problèmes démographiques. La démographie dynamique de la France est à consolider afin d’assurer le renouvellement des générations. Aussi la politique familiale doit se transformer pour répondre aux besoins sociaux et sociétaux actuels. En aidant les jeunes ménages, on pourrait favoriser l’abaissement de l’âge de la mère à la naissance du premier enfant, ce qui décalerait le calendrier des naissances, afin de permettre aux couples d’avoir le nombre d’enfants désirés. Cela implique des mesures adaptées. Il s’agirait aussi de prendre en compte l’évolution actuelle des formes de famille.

Aider les jeunes pour le logement, la formation et la sécurisation de l’emploi et du revenu en lien avec la mise en place d’une Sécurité d’Emploi et de Formation.

– Développer les formules de garde, afin de relever le taux d’activité des femmes et la socialisation des enfants. Avant les réformes de l’allocation parentale d’éducation (APE), désormais remplacée par le complément de libre choix d’activité de la PAJE, le taux d’activité des mères de deux enfants atteignait 70%, soit un accroissement très fort par rapport par rapport à la période allant jusqu’à la fin des années 60. Mais la création de l’APE en 1986 et sa réforme en 1994 comme la PAJE en 2004 ont incité les femmes à se retirer du marché du travail. La mise en place d’un véritable service public gratuit de la petite enfance est une nécessité.

– Aider au logement : le besoin est criant d’une aide prioritaire au logement, notamment pour les plus modestes, qui implique un énorme effort en matière de logement social, avec de nouveaux moyens de financement.

Faire vivre la démocratie sociale

La réforme Juppé de 1996 a introduit des Conventions d’Objectifs et de Gestion entre l’État et la CNAF, une manière pour le gouvernement de faire effectuer sa propre politique familiale par la CNAF avec de plus un fléchage des crédits d’action sociale décidé nationalement, laissant de moins en moins de places aux initiatives locales des CAF. Sans porter de jugement sur ces orientations – certaines ont été bonnes – il n’en demeure pas moins que cela a contribué à éloigner les décisions des assurés sociaux.

Pourtant le retour à une gestion locale des fonds d’action sociale serait un point fort pour vivifier la démocratie locale : gérés par les organisations syndicales en lien avec les élus locaux, les associations, ils pourraient permettre de contribuer aux besoins des familles, des enfants et de leurs parents, des jeunes dans les quartiers et les communes dans une véritable co-construction des politiques plutôt que la soumission aux décisions d’en haut. Cet ancrage local est nécessaire par exemple pour construire un service public de la petite enfance en mettant fin aux dérives des crèches privées comme à la très grave crise de l‘Aide sociale à l’enfance.

Si vous souhaitez réagir à cet article, le critiquer, le compléter, l’illustrer ou encore y ajouter des notes de lecture, vous pouvez proposer une contribution au comité de rédaction. Pour cela, vous pouvez envoyer votre texte à cette adresse : cahiersspps@gabrielperi.fr

Maryse Montangon, La famille a besoin de soutien, Les Cahiers de santé publique et de protection sociale, N° 53 juin 2025.