Résumé :
Pour les auteurs de cette tribune, réguler, c’est organiser l’installation des professionnels là où ils sont nécessaires, pour garantir un droit fondamental : celui de se soigner. Nous ne pouvons plus compter sur le seul volontariat des médecins. Les signataires, parce qu’ils sont d’abord responsables, appellent à l’instauration de règles claires et à la création de ce service public de santé pour répondre sans délai à l’urgence sanitaire et sociale.
Abstract :
For the authors of this article, regulation means organizing the establishment of professionals where they are needed, to guarantee a fundamental right: the right to healthcare. We can no longer rely solely on the voluntary work of doctors. The signatories, because they are primarily responsible, call for the establishment of clear rules and the creation of this public health service to respond immediately to the health and social emergency.
NDLR : ce texte est une tribune dont les premiers signataires ont été : Eric May, médecin généraliste, directeur de la santé à Malakoff, Julie Chastang, médecin généraliste, maîtresse de conférences des universités, Hélène Colombani, médecin généraliste, directrice de la santé à Nanterre, Sophie Crozier, neurologue, CHU Pitié-Salpétrière, André Grimaldi, professeur émérite, diabétologue, CHU Pitié-Salpétrière, Julien Le Breton, médecin généraliste, directeur de la santé à La Courneuve, professeur des universités, Manon Pathier, étudiante en médecine, Antoine Pelissolo, psychiatre, chef de service, CHU Henri-Mondor, Créteil, Martin Zambeaux, étudiant en médecine.
Des millions de personnes n’ont plus de médecin traitant, et le modèle actuel, basé sur le libre choix d’installation des médecins, a montré ses limites, estime, dans une tribune au « Monde », un collectif de soignants, qui propose d’organiser l’installation des professionnels de santé là où ils sont nécessaires, pour garantir un droit fondamental : celui de se soigner.
Nous sommes soignants, engagés dans nos territoires. Et nous le disons clairement : il faut réguler l’installation des médecins. Mais cette régulation ne peut fonctionner que si elle s’accompagne d’une stratégie cohérente qui organise et garantisse un accès aux soins et à la prévention, partout en France.
Aujourd’hui, des millions de personnes n’ont plus de médecin traitant. Et là où il y a encore des médecins en nombre, beaucoup, notamment spécialistes, exercent en secteur 2 avec des dépassements d’honoraires rendant les soins inaccessibles financièrement pour de nombreux patients. Ce n’est plus acceptable pour les patients ni soutenable pour les professionnels de santé. Il est illusoire de penser que l’on résoudra la crise de l’accès aux soins en se contentant de former davantage de médecins.
Sans régulation, ceux-ci s’installeront majoritairement là où les conditions d’exercice leur semblent les plus favorables, creusant encore davantage les inégalités territoriales. Depuis vingt ans, l’augmentation du numerus clausus n’a pas permis de résorber les déserts médicaux, pas plus que le numerus apertus ne pourra le faire. Former plus sans organiser mieux, c’est préparer un échec. Soyons lucides : le système actuel ne répond plus aux besoins, ni à ceux des patients ni à ceux des soignants.
La réponse en ville aux besoins de santé ne peut plus reposer uniquement sur les seuls principes de la médecine libérale. Le modèle actuel, basé sur le libre choix d’installation des médecins et la rémunération à l’acte, a montré ses limites, une totale inefficacité à endiguer les déserts médicaux. Il ne permet ni de garantir une répartition équitable des professionnels, ni d’assurer l’accès aux soins sans dépassements d’honoraires dans tous les territoires, ni d’assurer une prise en charge coordonnée, pertinente et continue des patients. Nous avons besoin d’un cadre collectif, structuré, capable de répondre aux défis d’aujourd’hui et de demain.
Instaurer des règles claires
Il est temps de créer un vrai service public territorial de santé de proximité. Concrètement : créer des centres de santé de service public, en priorité dans les déserts médicaux, avec des professionnels salariés, travaillant en équipe. Ces centres sont pour rappel de gestion non lucrative, pratiquent la dispense d’avance de frais (le tiers payant) et garantissent une prise en soins sans dépassement d’honoraires. En quelques mots : une offre de soins accessibles à tous, humaine et de qualité, partout sur le territoire.
Réguler n’est pas punir. Réguler, c’est organiser l’installation des professionnels là où ils sont nécessaires, pour garantir un droit fondamental : celui de se soigner. Nous ne pouvons plus compter sur le seul volontariat des médecins. Parce que nous sommes d’abord responsables, nous appelons à l’instauration de règles claires et à la création de ce service public de santé pour répondre sans délai à l’urgence sanitaire et sociale.
Sans remettre en cause le droit des professionnels de santé à un exercice libéral, il faut dans chaque territoire un centre de santé public en lien avec un hôpital de service public et des services publics de santé préventive tels que la santé scolaire ou la PMI… Soigner, éduquer, garantir l’accès aux services de santé de qualité : ce sont là les missions de la République. La santé ne peut plus dépendre des choix individuels d’installation ou d’exercice de professionnels de santé. Elle doit faire l’objet d’une organisation fondée sur l’intérêt général, au service de tous, lisible et garantie sur tout le territoire.
Alors, oui, il est temps de réguler. Et pour que cela fonctionne, il faut aussi construire un système de santé qui donne sens et envie aux soignants de s’engager là où on a besoin d’eux. Un système qui remette l’humain, la solidarité et l’égalité au cœur de la santé. Nous, soignants et partenaires des centres de santé, y sommes prêts. A l’Etat de prendre ses responsabilités.