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Analyse critique du rapport de la  Cour des comptes sur les retraites

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Résumé :
L’auteur présente le rapport de la cour des comptes sur l’état du financement des retraites en France. La situation n’est pas catastrophique contrairement aux allégations du gouvernement Bayrou. Il n’y a pas de déficit caché. La cour propose de maintenir la réforme de 2023 très massivement rejetée par la population et néglige totalement la piste des recettes possibles.

Abstract :
The author presents the report of the Court of Auditors on the state of pension financing in France. The situation is not catastrophic, contrary to the allegations of the Bayrou government. There is no hidden deficit. The court proposes to maintain the 2023 reform, which was overwhelmingly rejected by the population, and completely ignores the possibility of possible revenues.

Le système français de retraites est un système par répartition. Les cotisations sociales, acquittées par les actifs et les employeurs, sont immédiatement utilisées pour payer les pensions des actuels retraités. Fondé sur une solidarité intergénérationnelle et interprofessionnelle, ce système dépend du rapport entre le nombre de cotisants et de retraités et imposerait une gestion rigoureuse de son équilibre financier pour en assurer sa pérennité. La France consacre 14 % de son PIB brut aux dépenses de retraites (388,4 Md€), quatre points de PIB de plus que l’Allemagne. En 2023, les ressources du système de retraites se composent aux 2/3 de cotisations sociales, complétées par la contribution sociale généralisée (CSG) et par des impôts et taxes dont la proportion a augmenté durant les dernières décennies. Avec une pension moyenne s’élevant à 1626 € bruts par mois fin 2022, les retraités bénéficieraient d’une situation financière présentée comme favorable par rapport au reste de la population,  avec un taux de pauvreté inférieur, cependant on relève de fortes inégalités. En France, le niveau de vie moyen des retraités est encore similaire à celui des actifs, alors qu’il est un peu inférieur en Allemagne et dans la moyenne des pays de l’OCDE.

En 2023, un système de retraites excédentaire mais des situations hétérogènes selon les régimes

Alors que l’équilibre financier du système de retraites s’était dégradé de 2002 à 2010, il s’est depuis progressivement rétabli, malgré l’arrivée à l’âge de la retraite des générations nombreuses du baby-boom. En 2023, le système de retraites a connu un excédent de 8,5 Md€ corrélé avec les nombreuses réformes intervenues depuis 2003 pour contenir l’augmentation des dépenses, qui ont entrainé entre 2010 et 2023, un recul de 2 ans et 2 mois de l’âge réel auquel les actifs partent en retraite. Celui-ci a atteint, en moyenne, 62 ans et 8 mois fin 2022. Cela tendait à ralentir la dégradation du rapport entre cotisants et retraités, et même à l’améliorer entre 2020 et 2022. De plus, l’accélération de l’inflation en 2023 s’est répercutée sur les recettes, reposant en majorité sur les salaires, plus que sur les dépenses, indexées avec un an de décalage. En 2023, ce phénomène a amélioré provisoirement la situation financière de 4 Md€ mais elle se dégrade en 2024.

Une forte hétérogénéité et complexité  des régimes de retraites et de leurs situations financières.

Ce système comprend  les pensions de base et les retraites complémentaires obligatoires. Le régime général des salariés représente 42 % du montant total des pensions, il est dans une situation financière tendue et constitue un enjeu principal de l’équilibre financier du système. Bien que le déficit de ce régime et du fonds de solidarité vieillesse (FSV) soit faible en 2023 (0,2 Md€), il s’accroît dès 2024. La caisse de retraite des fonctionnaires territoriaux et des hôpitaux représente 7 % du total des pensions,  elle se trouve dans une situation critique du fait d’une dégradation rapide de son rapport cotisants/retraités. Son déficit atteint 2,5 Md€ en 2023.

La situation des régimes de retraites complémentaires obligatoires est plus favorable en raison de règles paritaires. Gérés par les partenaires sociaux, cela facilite l’augmentation des cotisations. Leur excédent total a atteint 9,9 Md€ en 2023. Il serait légèrement positif jusqu’en 2037,  et atteindrait  2 à 3 Md€ d’excédent en 2045.

L’État contribue au financement du système de retraites. D’une part, il participe à l’équilibre financier de 17 régimes spéciaux pour 8 Md€. D’autre part, il finance le régime de ses fonctionnaires civils et militaires au moyen d’une contribution de 45 Md€ en 2023. L’État employeur cotise au régime de retraite de ses fonctionnaires avec des taux apparents bien plus élevés que les entreprises privées au régime général. Toutefois, les deux systèmes présentent de telles divergences qu’ils ne sont pas comparables. Des différences sont dues à l’assiette de cotisation : les fonctionnaires ne cotisent pas sur les primes, qui ont un poids important dans leurs rémunérations, surtout les hauts fonctionnaires. De plus, des règles spécifiques à certains emplois publics s’appliquent (départs anticipés pour les catégories dites actives), leur situation démographique est dégradée en raison, notamment, d’une réduction  par l’État des effectifs et des salaires de ses fonctionnaires. Par ailleurs, la contribution de l’État mélange, sans distinction possible, une cotisation employeur, un financement de dépenses de solidarité non couvertes par des cotisations et un éventuel apport pour équilibrer le régime. La Cour considère que la comparaison des taux pour calculer une surcotisation de l’État n’est pas possible.

Une nette dégradation de la situation financière du système de retraite à l’horizon 2045, en dépit de la réforme de 2023. Celle-ci améliorerait l’équilibre du système jusqu’en 2032 mais de façon de plus en plus limitée au-delà.

L’âge légal d’ouverture des droits a été repoussé et la montée en charge de la durée d’assurance requise accrue, entrainant un recul notable de l’âge réel auxquels les actifs partent à la retraite, et du nombre de personnes à la retraite, ce qui améliorerait l’équilibre financier du système. Les excédents de 10Mds € en 2024, seraient maximaux en 2032. Après 2040, l’effet de la réforme se réduira, notamment le recul de l’âge d’ouverture des droits à 64 ans. L’âge réel de départ à la retraite se stabiliserait légèrement en-dessous de 65 ans. Par ailleurs, la durée moyenne passée à la retraite, après avoir diminué jusqu’à 23,5 ans pour les générations nées entre 1965 et 1970, ré-augmenterait grâce aux gains (ralentis) d’espérance de vie. Tandis que le montant moyen de la pension nette versée augmenterait un peu (hors inflation) par rapport à 2023, mais pas autant que les revenus d’activité moyens. Le niveau de vie des retraités deviendrait inférieur à celui des actifs. Cet écart défavorable resterait toutefois moindre que celui actuellement constaté en Allemagne ou dans d’autres pays de l’UE. Les projections se dégradent dès 2024, le besoin de financement du système de retraites est croissant et durable, en 2025, le déficit total  atteindrait 6,6 Md€. Il se stabiliserait autour de ce montant jusqu’en 2030, avec la montée en puissance de la réforme de 2023. Sous l’effet de la hausse du nombre de retraités et du montant moyen de leurs pensions, le déficit s’aggraverait et atteindrait 15 Md€ hors inflation en 2035, puis 30 Md€ en 2045. Mais La Cour a retenu deux scénarios de croissance de la productivité faibles  (0,7 % et 1 %) à partir de 2024, ce qui alimente les déficits. Exprimés en Mds€, cela frappe  l’opinion, mais une estimation en pourcentage du PIB, annonce des déficits entre 0,6 % de PIB et 0,8%.

Le déficit s’expliquerait par les dépenses (dégradation du ratio démographique), et non principalement par l’insuffisance des recettes liées à la faiblesse de la croissance économique, ce qui est très contestable. Le problème financier concernerait la CNAV et la CNRACL. La CNAV concentrerait l’essentiel du déficit à horizon 2045 (entre 25 et 30 Md€), du fait d’une forte dégradation du rapport entre le nombre de cotisants et celui des retraités. La caisse de retraite des fonctionnaires territoriaux et hospitaliers resterait dans une situation défavorable (- 7 Md€ en 2045), malgré l’augmentation des taux de cotisations employeurs entre 2025 et 2028. La contribution de l’État pour équilibrer le régime de ses fonctionnaires resterait stable, 50 Md€ en euros 2024. En effet, le nombre de fonctionnaires retraités atteindrait un pic en 2028 puis diminuerait, comme le montant de la pension moyenne, en raison de la réduction des effectifs et des salaires des fonctionnaires. Les dépenses de ce régime  baisseraient comme celles des régimes spéciaux.

Tandis que  le régime des exploitants agricoles, au rapport démographique très défavorable (0,4 actifs pour un retraité) est financé par les taxes sur les alcools, mais aussi par la compensation démographique, c’est-à-dire par les salariés (public et privé confondus !). Le régime de Sécurité sociale des commerçants et artisans  connait un déficit pris en charge par le régime général. Ce sont les régimes de salariés qui financent les régimes des commerçants et artisans et des agriculteurs !

L’accumulation des déficits conduirait à une augmentation de la dette des régimes de retraites dans  les années à venir dans des proportions « abyssales » : 350 Md€ en 2045 pour le régime général, à laquelle s’ajouterait une dette de 120 Md€ pour la caisse des fonctionnaires territoriaux et hospitaliers. Cependant ces chiffres sont avancés dans l’hypothèse où il n’y aurait aucune augmentation des ressources de ces régimes (cotisations en particulier), et sans reprise par la CADES, hypothèses irresponsables! Par ailleurs, il faudrait considérer l’accumulation d’entre 350 et 370€ de réserves des retraites complémentaires. On dramatise donc l’explosion de l’endettement du système.

Quatre principaux leviers de réforme et leurs effets sur l’équilibre financier du système de retraites obligatoires

Un système par répartition solidaire exigerait d’en assurer l’équilibre financier sur le long terme. Le rapport ne vise ni à préconiser une réforme globale du système de retraites, ni à proposer les leviers à privilégier pour atteindre son équilibre financier. Ceux-ci comprennent l’âge d’ouverture des droits,  la durée d’assurance requise,  le taux de cotisation, l’indexation des pensions.

Agir sur l’âge d’ouverture des droits, un effet puissant à court terme.

L’âge d’ouverture des droits est l’âge avant lequel la liquidation de la pension de retraite ne peut intervenir (fixé à 64 ans par la réforme de 2023).  Au final, un avancement de l’âge d’ouverture du droit à 63 ans coûterait 13 Mds€ en 2035, tandis qu’un nouveau recul rapporterait 17,7 Mds€. L’avancée d’un an de cet âge (63 ans au lieu de 64) représenterait une dépense supplémentaire pour le système des retraites de 5,8 Md€ en 2035. Son recul d’un an (65 ans au lieu de 64) rapporterait jusqu’à 8,4 Md€ en 2035, s’il s’appliquait à partir de la génération née en 1968. L’effet d’une variation de l’âge d’ouverture des droits, monte rapidement en puissance mais se stabilise à moyen terme. À horizon 2045, l’équilibre du système de retraites serait dégradé de 4,3 Md€ au cas où l’âge d’ouverture des droits était ramené à 63 ans. 

Agir sur la durée d’assurance requise, un effet de moindre ampleur mais étalé dans le temps.

La durée d’assurance requise sert au calcul de la pension de retraite : l’assuré a une pension complète lorsqu’il a validé cette durée. S’il a validé une durée inférieure et qu’il souhaite tout de même liquider ses droits, sa pension est réduite. Après la mise en œuvre de la réforme de 2023, la durée d’assurance requise devrait être de 172 trimestres (43 ans) pour la génération née en 1965. L’effet financier d’une variation de la durée d’assurance requise s’accroît avec le cumul, au fil des générations, de la diminution des pensions au moment de leur liquidation. Une baisse d’un an de la durée de cotisation coûterait 3,9 Mds€ et son allongement à 44 ans de cotisations apporterait 5,2 Mds€ en 2035. En 2045, l’équilibre du système de retraites serait dégradé de 7,7 Md€ en cas de diminution d’un an de la durée d’assurance requise, il serait amélioré de 8 Md€ si celle-ci était augmentée d’un an à partir de la génération 1972.

Agir sur le montant des cotisations prélevées sur les actifs.

Les actifs et leurs employeurs s’acquittent de cotisations sociales qui financent le système de retraites. En 2023, ces ressources représentaient 2/3 des ressources des retraites. Le montant des ressources annuelles supplémentaires issues d’une augmentation d’un point du taux de cotisations serait compris entre 4,8 et 7,6 Md€ – selon que la mesure serait appliquée sur la part patronale ou sur la part salariale des cotisations et selon qu’elle serait appliquée aux salaires sous le plafond annuel de la Sécurité sociale ou à ceux qui le dépassent. Mais une hausse des taux de cotisations pourrait avoir des effets négatifs sur l’économie, via un accroissement des coûts de production (coût du travail !) ou une réduction du revenu net des salariés (haro sur les cotisations).

Agir sur les conditions d’indexation des pensions de retraite.

La revalorisation des pensions de retraites de base est indexée annuellement sur l’inflation, en raison du code de la Sécurité sociale. En se fondant sur les dépenses prévues en 2025, une sous-indexation d’un point des pensions par rapport à l’inflation permettrait une économie de 2,9 Md€ pour cette même année. On considère que l’effet négatif d’une telle mesure sur l’économie serait relativement faible car la propension moyenne des retraités à consommer est moins importante que celle des autres bénéficiaires de transferts sociaux, en raison d’une capacité d’épargne en moyenne plus élevée, même s’il existe des écarts selon le niveau de vie. Cependant, selon le rapport, la règle d’indexation annuelle actuellement en vigueur ne serait pas adaptée au pilotage des dépenses de retraite en cas d’évolutions défavorables.

Le pilotage à long terme du système de retraites suppose une combinaison entre différents leviers affichant un effort équilibré porté sur l’ensemble des acteurs, tout en garantissant des moyens d’existence sécurisés aux retraités à l’issue de leur vie professionnelle. La Cour ne formule pas de propositions détaillées pour déterminer les conditions de l’équilibre. Le rapport signale que les régimes de retraites complémentaires en France ou le système de retraite en Allemagne disposent de règles qui permettent de mieux financer la revalorisation des pensions lorsque la progression des salaires n’est pas suffisante pour équilibrer le système.

Conclusion

Alors que des  chiffres « faramineux » de déficit avaient été avancés par Bayrou dans sa déclaration de politique générale, s’appuyant sur la « thèse » du déficit caché. La Cour des comptes retient des chiffrages plus mesurés. Le rapport de la Cour des Comptes ne reprend pas le thème d’un déficit massif des régimes de fonctionnaires qui serait à l’origine du déficit des retraites, ni l’idée que « la moitié du déficit de l’Etat s’expliquerait par la dette du régime de retraite des fonctionnaires ». Les retraites des fonctionnaires ne sont pas plus avantageuses que celles des salariés du privé, leur situation démographique est dégradée en raison  de la diminution de l’emploi public. Le rapport de la Cour des Comptes relève une dégradation importante de l’équilibre financier à l’horizon 2045. L’axe principal du rapport de la Cour des Comptes vise à rejeter une annulation de la réforme de 2023, en tentant de démontrer à quel point ce serait défavorable à l’équilibre financier des retraites,  prétendant qu’une remise en cause de la réforme actuelle aurait des conséquences financières défavorables, surtout la remise en cause des 64 ans ! La Cour insiste sur les menaces dont serait porteuse  cette mise en cause. Sensé offrir aux partenaires sociaux des  données « incontestables » pour la compréhension des enjeux et des outils pour l’action, ce rapport n’apporte rien de nouveau, ni de réponses convaincantes. Il vient surtout en appui à la stratégie gouvernementale d’empêcher une remise en cause de la réforme de 2023. Si la Cour critique le discours de Bayrou  et des libéraux sur  le « déficit caché », elle néglige gravement la question des recettes.