Schéma de l'appareil psychique, métaphorisé par un iceberg et selon les deux topiques freudiennes. historicair, Public domain, via Wikimedia Commons

Dossier historique N°2: Les communistes et la psychanalyse

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NDLR (Emmanuel Vigneron, comité de Rédaction) : Nous poursuivons ici ce nouveau chapitre de notre revue « les documents historiques ».  Dans le numéro précédent, n°48 de mars 2024, nous avons donné la retranscription électronique exacte[1] d’un article collectif de 1949, paru dans le n°7 de la revue La Nouvelle Critique, dont le rédacteur en chef était alors Jean Kanapa. Cet article entrant dans une rubrique de la revue intitulée « AUTOCRITIQUE », lancée dès le numéro 1 de décembre 1948 était titré La psychanalyse, idéologie réactionnaire.

Cet article de mars est dans le domaine de la santé celui qui est le plus souvent cité  – mais toujours très partiellement ou même simplement évoqué – pour dénoncer les dangers du communisme, les errements du PCF, son statut de parti de Moscou et nourrir ainsi un anticommunisme primaire agressif. Ce discrédit se poursuit encore de nos jours. Afin de pouvoir en juger sereinement nous avons voulu en donner une transcription intégrale et en permettre une lecture aisée.

Dans ce même numéro de mars, nous avons déjà publié les commentaires du Dr Martine Garrigou, Psychiatre, psychanalyste, membre du comité de rédaction sur cet article.

Avant que de proposer dans le prochain numéro 50 de la revue une analyse historique approfondie de ces textes, nous souhaitons aujourd’hui, dans ce n° 49, verser au dossier, en tout ou partie, quelques textes importants des mêmes années 1948 et 1949 qui éclairent d’un jour complémentaire ce que fut alors la position des communistes sur la psychanalyse :

  • 1) Quand la psychanalyse nous arrive d’Amérique – Les journées de Royaumont par le Dr Victor Lafitte. La Pensée,n°16 – janvier-février 1948, Polémique, pp.107-108 (texte intégral)
  • 2) La Psychanalyse est une thérapeutique par le Dr Serge Lebovici. In La Pensée,n°21 – novembre décembre 1948, Polémique, pp.50-58 (extraits)
  • 3) Destin de la psychanalyse par le Dr Victor Lafitte. La Pensée,n°21 – novembre décembre 1948, Polémique, pp.59-67 (extraits)
  • 4) La psychanalyse, idéologie de basse police et d’espionnage par Guy Leclerc.L’Humanité du 27 01 1949 (texte intégral)
  • 5) Destin de la psychanalyse (II – La sociologie freudienne) par le Dr Victor Lafitte. La Pensée,n°22 – janvier-février 1949, pp.45-50 (extraits)

Tous ces textes sont transcrits des originaux et assortis de notes par nos soins.

Nous poursuivrons notre rubrique sur un autre débat important pour la réflexion communiste sur la santé dans le numéro 51 de la revue et les suivants. Toute suggestion thématique sera bienvenue.

Texte 1

QUAND LA PSYCHANALYSE NOUS ARRIVE D’AMÉRIQUE

LES JOURNÉES DE ROYAUMONT[2]

Reprenant la tradition des décades de Pontigny, qui ont servi avant-guerre de rendez-vous aux adeptes du « munichisme », un groupe qui s’intitule pompeusement «Centre d’études des sciences de l’homme» a organisé fin octobre, au foyer de l’abbaye de Royaumont, une semaine d’études consacrée au thème général  « Le destin de l’homme collectif».

En réalité, il s’agit d’une vaste entreprise de mystification qui, dans le but d’éloigner les intellectuels d’étudier les véritables solutions aux problèmes que pose notre époque, essaye de les orienter vers le mysticisme, la théologie et… la psychanalyse.

Celle dernière a tenu, en effet, la place essentielle dans les entretiens de Royaumont, et c’est à elle qu’on a demandé d’éclairer les mécanismes inconscients de la vie psychique et de mieux faire comprendre ce que, dans l’abbaye fondée par saint Louis, on désigne sous le vocable d’homme collectif.

Le prospectus annonçant les entretiens est significatif dès sa première phrase :

Le vrai danger qui menace l’humanité de la destruction totale, ce n’est pas la bombe atomique c’est l’homme. Maîtriser la peur, la haine, les forces obscures de l’inconscient : voilà, chacun le sent, la tâche urgente.

Et plus loin :

Le temps est venu où les sciences de l’homme aideront l’homme à se défendre contre lui-même avant que l’irréparable s’accomplisse.

Ainsi les fauteurs de guerre ne seraient pas les impérialistes américains, mais de mythiques forces, inconscientes enfouies en chacun de nous.

C’est, d’ailleurs, le thème essentiel des bavardages, de Royaumont, comme l’on peut facilement s’en apercevoir, en jetant un coup d’œil sur le programme, dont nous extrayons quelques [titres de] chapitres :

Psychanalyse, introduction à la vie spirituelle (M. Davy).

La liberté psychologique et la vie collective (Pierre Salzy).

Le rôle affectif de la Vierge Marie dans le catholicisme (R. P. Beinaert, S. J.).

Carme Déchaux (R. P. Bruno de J. M.).

Signification des fêtes (Charles Baudouin).

La tripartition indo-européenne (M. Dumézil).

La mentalité noire (Marcel Griaule).

Quelques légendes irlandaises sur la rivalité du-père et du fils (Clémence Rausnoux).

La psychanalyse de l’art hypermoderne (professeur-Dr Servadio).

Le conflit humain (G. Maraux).

Origine de la culpabilité dans le Procès de Kafka (Dr Hesnard).

Le symbole religieux et la psychanalyse (Charles Baudouin).

Psychanalyse du colonisé (M. Mannoni).

Le viol psychique des masses (professeur S. Tchakhotine).

La psychanalyse de la phobie du communisme (N. Perrotti).

Psychanalyse et anthropologie sociale (M. Williams). –

Une solution biologique du problème de la paix (professeur S. Tchakhotine).

Les conséquences psychologiques de la chirurgie esthétique (D. Claoué).

Etc., etc.

Il s’agit manifestement d’un véritable engouement pour la psychologie individuelle et surtout pour la psychanalyse, présentée même par des révérends pères comme la science des sciences, comme la discipline susceptible de fournir des réponses à tous les problèmes du temps présent.

Et tout cela noyé dans pas mal d’inconscient, d’angoisse, de mythes, de folklore, d’irrationalisme, et pimenté d’un peu d’orientalisme (c’est tellement mystérieux !) et d’anthropologie plus ou moins raciale.

C’est derrière ce rideau de fumée idéologique que l’on essaye de réunir les intellectuels d’Occident, en vue de les faire fraterniser, et pour la bonne cause, avec leurs confrères d’outre-Atlantique. Il nous, faut, en effet, rappeler le rôle capital que jouent aujourd’hui, dans la psychiatrie américaine, les théories freudiennes et signaler combien significatif est le fait que lorsque, après la première guerre mondiale, la doctrine de Freud parvint en France, elle rencontra de farouches oppositions, tandis qu’aujourd’hui, lorsque dans des circonstances différentes elle nous arrive d’Amérique, elle trouve un accueil chaleureux.

Il ne s’agit pas ici de faire ni le bilan, ni la critique de la psychanalyse. On ne peut méconnaître l’apport de Freud lorsqu’il mettait en valeur l’importance du facteur sexuel dans l’explication de certaines névroses, dans l’interprétation du mécanisme des rêves, dans les traumatismes affectifs de l’enfant.

Mais la psychanalyse, en faisant de la libido l’incitation essentielle de tout comportement humain, ne peut constituer une psychologie individuelle scientifique. Quant à sa prétention de devenir une sorte de conception générale du monde, débordant dans le domaine de la sociologie et.de l’histoire, comme dans celui de l’anthropologie ou de la religion, elle aboutit à des conceptions franchement ridicules, que les marxistes ont dénoncées de longue date. Rappelons, pour ne citer qu’un exemple, que des psychanalystes (W. Reich et d’autres) ont interprété le geste séculaire du paysan remuant la terre à l’aide d’instruments aratoires et l’ensemençant, comme ayant le sens symbolique d’un complexe d’Œdipe, d’un inceste avec la mère (« la terre, mère nourricière »).

Actuellement, aux États-Unis, les psychanalystes insistent beaucoup sur de prétendus « instincts d’agressivité » qui seraient à l’origine du comportement des individus. Ainsi, si certains ne trouvent, pas parfaite la République de M. Truman, ni l’idéologie de la libre entreprise, ils sont considérés comme des «rouges», des oppositionnels, contre lesquels on ne manque pas d’utiliser les gaz lacrymogènes, mais en même temps, comme des malades, qui n’ont pas suffisamment liquidé leurs instincts d’agressivité. Il semble, d’après les études de ce genre de savants, que le régime des prisons est susceptible de favoriser une telle liquidation.

Voilà les idées qu’on essaye actuellement, en les traduisant servilement de l’américain, d’implanter en France comme dernier cri de la psychologie ultramoderne.

Mais l’on ne se contente pas, aux États-Unis, de faire, dans les sociétés dites savantes, des communications sur les troubles mentaux des grévistes. On vient de développer dans les grandes entreprises, en ces dernières années, des sections de la « Ligue pour la protection de la santé mentale ». Les grandes usines sont pourvues de psychiatres et de psychanalystes, qui, en présence des revendications ouvrières, partent à la recherche… des tendances agressives inconscientes.

Nous n’en sommes pas encore là chez nous, mais, si “la psychocratie [sic] de marque américaine continue à se développer, sous l’œil bienveillant d’ailleurs de l’Église (« changer d’abord l’homme pour changer le monde »), le temps n’est pas loin où Jules Moch[3] mettra en place ses «équipes de santémentale ».

En attendant, on discute dans les sociétés savantes et les publications spécialisées des tendances agressives. Qu’on nous permette de citer l’observation ci-jointe, publiée dans La Semaine des hôpitaux (n° 19,21 mai 1947, p. 3298) : Un homme de trente ans présentait une hypertension artérielle essentielle permanente qui avait été reconnue à l’occasion de deux poussées paroxystiques post-émotives qui l’avaient conduit à l’hôpital. Cœur et reins étaient normaux ; il existait un spasme artériel rétinien avec hémorragies en flammèches ; les antécédents héréditaires et personnels n’offraient rien à signaler.

Cet homme, conducteur de camions lourds, était anxieux, sexuellement impuissant, et l’étude de sa personnalité montrait l’existence d’une tendance agressive diffuse, mais surtout conjugale. C’est d’ailleurs en pleine agressivité qu’il s’était marié, sans amour, mais pour” souffler sa femme à un rival.

On conseilla à cet homme de n’observer ni régime ni repos. On le suivit régulièrement â l’hôpital. Or, il advint que, quelques mois plus tard, cet homme, sans quitter son travail, s’enrôla dans un mouvement syndicaliste dont il prit la tête et où il se livra à une politique très combattive. Dès ce moment, on nota la disparition de l’anxiété et des troubles sexuels, la chute de la tension artérielle à la normale, la disparition complète de tout signe anormal au fond d’œil.

Cet excellent état général se maintint sans défaut pendant deux ans et cessa au moment même où le malade fut obligé par les circonstances, à renoncer à son activité politique. Anxiété et impuissance réapparurent. La tension remonta à 17,10.

Ce qui veut dire en clair [pour ces auteurs] que l’activitépolitique ou syndicale, est conditionnéepar le besoin d’exprimer et de satisfaire les« tendances agressives diffuses ».

Les psychiatres français n’accepteront jamais de telles, caricatures, même quand elles nous viennent d’Amérique, même si on essaye de les naturaliser dans l’abbaye royale de Royaumont.

Dr VICTOR LAFITTE[4]

Texte 2

La Psychanalyse est une thérapeutique[5]

Dans cet article, Serge Lebovici[6], revient sur le précédent article de Victor Lafitte paru dans le numéro 16 de janvier-février de la revue (retranscris ci-dessus)  Il en reconnaît le bien-fondé mais veut néanmoins défendre la psychanalyse d’un point de vue médical. Serge Lebovici exprime très clairement cette position dans son introduction que nous citons intégralement ici :

« Le Dr Lafitte a très justement attiré l’attention des lecteurs de la Pensée[7] sur les dangers d’une nouvelle mystification des forces réactionnaires par l’utilisation de vagues thèmes d’inspiration psychanalytique. Que ces nouveaux psychocrates servent plus ou moins inconsciemment les intérêts du capitalisme décadent, en ramenant la lutte des classes, qu’il conviendrait d’analyser dans ses perspectives historiques à une misérable dialectique de conflits individuels, cela ne fait aucun doute. Notre dessein, aussi bien, est-il de défendre la juste place de la psychanalyse, celle d’une thérapeutique de grande valeur.

Il est aisé de comprendre l’utilisation de la psychanalyse, ou du moins la popularisation de ses thèmes les moins assurés par les usines à penser des Etats-Unis : les énigmes des films policiers sont résolues suivant les notions d’une psychanalyse de pacotille et les romans dits analytiques sont nombreux. Il n’est pas jusqu’à l’anarchisme sexuel d’un Miller qui ne fasse appel à des notions de psychanalyse : L’intérêt du public américain pour ces productions traduit évidemment ses inquiétudes devant le malaise qu’apporte avec lui-même le développement du capitalisme monopolisateur.

En fait ces goûts pour les problèmes dits psychologiques sont très « dirigés ». Drainer vers eux l’attention du public, c’est aussi éviter qu’il se penche sur les problèmes sociaux, c’est l’amener à penser que toutes les difficultés économiques peuvent être résolues par la liquidation des conflits affectifs individuels.

Nous allons d’abord essayer de démontrer qu’il y a un véritable abus de confiance dans cette utilisation réactionnaire de la psychanalyse, que l’œuvre de Freud se place sous le signe du rationnel et que l’attitude du psychanalyste doit être une parfaite objectivité. Nous ne nous dissimulons pourtant pas les difficultés de notre entreprise, après la lecture des critiques de la Psychanalyse par Politzer[8] ” qui lui reproche très précisément son irrationalisme.

Dans cette courte étude qui ne peut être considérée que comme une introduction à une discussion que nous souhaitons très large, nous poserons successivement trois problèmes :

1° La valeur de la psychanalyse comme système de psychologie individuelle et de thérapeutique ;

2° Les possibilités de son intégration dans une conception rationaliste du monde ;

3° La discussion des nombreux essais de synthèse freudo-marxiste.

Poursuivons la lecture de cet article en soulignant certains passages seulement. Il donne tout d’abord une définition de la psychanalyse, théorique ET pratique, pour une fois très claire alors qu’elle est souvent embrouillée et surtout absconse :

« Au rationalisme de la doctrine freudienne, doit correspondre l’objectivité du psychanalyste. Ce serait profondément méconnaître le rôle du médecin, dans ce colloque singulier qu’est l’analyse, que de supposer de sa part de la sympathie pour le malade. Il ne peut lui offrir que de l’attention, attention passive et flottante, mais dont la vertu est d’être strictement objective, dégagée de toute sentimentalité. Le traitement réside au fond dans ce fait essentiel : repenser et revivre sa vie infantile et ses conflits en présence d’un être parfaitement objectif. L’automatisme qui marquait la répétition de ces conflits infantiles est ici comme déconditionné par l’absence de réactions névrotiques de l’analyste. L’attitude idéale de celui-ci devra donc être une totale objectivité. Le traitement analytique qui vise à effondrer les résistances, c’est-à-dire les mécanismes de défense qui maintiennent le malade dans sa maladie, comporte toujours une analyse du comportement objectif de celui-ci dans le transfert, c’est-à-dire dans le dialogue médecin-malade. Il est une étude scientifique de la conduite humaine.

Plus loin, il explique les névroses sexuelles qui sont au cœur de la psychanalyse :

« Il est sans doute nécessaire de présenter ici un bref raccourci de l’état actuel de la psychologie analytique dégagée de tout son fatras métapsychologique. Tout d’abord l’importance de notre vie sexuelle ne saurait être méconnue et l’analyse a fait justice des résistances qui la faisaient débuter avec les manifestations extérieures de la puberté. Certes, on a pu çà et là beaucoup exagérer l’importance de la libération sexuelle. « Placer au centre des préoccupations la lutte pour la reconnaissance du droit sexuel est une attitude caractéristique de certaines fractions de la petite bourgeoisie » (Politzer). Il est probable que « la solution du problème sexuel dépend en grande partie du problème social ». Il n’empêche que dans l’étape historique de notre société contemporaine, un grand nombre de troubles névrotiques sont liés à des troubles du développement de la sexualité infantile, à ses répressions, à ses régressions et à ses fixations.

Il convient, en effet, d’insister ici sur l’aspect le plus important peut-être de notre développement affectif, celui qui préside à l’acceptation de la discipline alimentaire et sphinctérienne. Bon gré mal gré, l’existence d’une sexualité infantile est en effet à peu près généralement acceptée ; par contre on saisit généralement moins bien l’importance des premières frustrations alimentaires et sphinctériennes imposées par la mère, expression de la Société. Elles supposent un nombre plus ou moins grand de difficultés suivant l’attitude de la mère qui exige et pour laquelle l’enfant accepte de se discipliner.

Il précise ensuite ce que doit être la psychanalyse d’un point de vue pratique : « elle [la psychanalyse] se refuse à être une psychologie de l’inconscient, mais elle vise essentiellement à être une technique thérapeutique où la santé du moi, c’est-à-dire l’équilibre caractériel, est assuré par la prise en charge de certaines tendances profondes, souvent chargées d’affects agressifs. Elle doit assurer la sublimation, c’est-à-dire la socialisation d’un grand nombre d’entre elles.Il en résulte que :« la psychanalyse peut être envisagée sous une référence rationaliste. Il est sans doute nécessaire de rappeler encore qu’elle a évolué et que l’œuvre de Freud doit être analysée d’abord dans sa perspective historique. Issu de la bourgeoisie libérale juive, Freud avait reçu une solide formation neurologique. Sa clientèle appartenait à la riche bourgeoisie viennoise ; dans ces conditions, son effort pour ôter à la vie sexuelle son aspect de tabou maléfique était à la fois riche d’objectivité et d’une certaine vertu révolutionnaire. Combien méritoire aussi son effort d’insérer constamment sa psychologie dans une référence biologique ; il y a là un immense progrès par rapport à la psychologie de l’instrospection et des faits de conscience.

Dès lors et attendu que :

« 1° Le Marxisme, contrairement à ce qui est trop souvent répété, ne nie pas l’importance de la psychologie individuelle. […]

« 2° D’autre part, la doctrine freudienne se réfère constamment au social. Le refoulement qui est en son centre, qui marque la barrière même, selon elle, de l’inconscient, est l’expression des défenses sociales.

Sous réserve de limiter la psychanalyse à un outil thérapeutique sans vouloir en faire une clef d’analyse du monde :

« Psychologie individuelle, la psychanalyse veut s’insérer à la rencontre du biologique et du social, à. une étape du développement des sociétés. Elle se veut une thérapeutique, elle peut espérer être un système propre à améliorer l’hygiène mentale. Elle ne sera jamais une explication du monde. Tel est le sens de cette introduction à un débat que les utilisations rétrogrades et mystificatrices de la psychanalyse rendaient indispensable.

Texte 3

Destin de la psychanalyse[9]

Dans son article qui suit dans la revue le précédent de Serge Lebovici, Victor Lafitte, comme lui psychiatre, « met les points sur les i » à propos d’une pratique dans laquelle il ne voit pas tant le bien pour les individus qu’elle procurerait que le danger pour l’émancipation des masses qu’elle représente :

« Nous assistons depuis quelque temps à un renouveau de la psychanalyse. La première vague psychanalytique, développée immédiatement après la guerre de 1914, était tellement en décroissance que Georges Politzer pouvait, avec juste raison, intituler en 1939 son article, écrit lors de la mort de Freud : « La fin de la psychanalyse ». Et voilà que nous arrive cette fois-ci, non plus d’Autriche, mais des Etats-Unis, une seconde vague psychanalytique, mais, qui, beaucoup plus encore que sa devancière, déborde largement le cadre médical et psychiatrique pour trouver son champ d’application en sociologie, en politique, dans le domaine artistique et littéraire. Elle est véhiculée à bon marché pour le grand public, par le cinéma, par les romans, par tous les Digest américains, sans oublier certains hebdomadaires comme Confidences et Samedi-Soir.

Si en 1948, il y a un problème de la psychanalyse qui se pose, c’est dans ce cadre qu’on doit l’envisager. Quant à la psychanalyse, doctrine de psychologie individuelle et technique psychothérapique, qui sert de toile de fond, prétendue scientifique, à tout le reste, elle ne nous a rien apporté de fondamentalement nouveau depuis la mort de son créateur et elle n’a pas répondu aux critiques justifiées qui lui ont été adressées, il y a déjà vingt ans.

Ce qui arrive au freudisme vient confirmer une fois de plus que des idées et des doctrines, nées dans certaines conditions du développement technique et social, s’insèrent dans le patrimoine culturel de l’humanité et peuvent ensuite évoluer pour leur propre compte. Après des périodes d’oubli, elles peuvent réapparaître, lorsqu’elles rencontrent un courant social qui peut les utiliser.

Dès le début le freudisme a fait une large part à l’irrationnel et la psychanalyse s’est définie comme une psychologie « abyssale ». A la faveur de la vague actuelle d’irrationalisme et l’obscurantisme, placée sous le double patronage de Wall-Street et du Vatican, expression idéologique des contradictions développées à l’échelle planétaire, après la deuxième guerre mondiale, la psychanalyse trouve son renouveau. La filiation y est directe et les protestations de quelques psychanalystes de bonne foi, qui continuent à voir dans le freudisme uniquement une thérapeutique psychiatrique, ne changent rien à ce fait.

La psychanalyse, sous son aspect sociologique et comme conception du. Monde est venue ainsi pleinement rejoindre les doctrines obscurantistes et s’insérer dans l’arsenal idéologique de l’impérialisme américain, utilisée par celui-ci d’une manière consciente — car il ne s’agit nullement d’une mystification — aussi bien à l’usage intérieur, contre le mouvement démocratique, qu’à l’extérieur contre le mouvement progressiste dans le monde.

C’est pourquoi ils font piètre figure ceux qui, une fois de plus, car l’essai a déjà été tenté à plusieurs reprises, veulent réaliser on ne sait quelle synthèse entre le freudisme et le matérialisme dialectique, en voulant faire passer la psychanalyse pour une psychologie scientifique, s’insérant dans une conception matérialiste et dialectique du monde.

Victor Lafitte reconnaît certes une certaine valeur de diagnostic social à la psychanalyse freudienne : «  Après avoir passé par toute une série d’étapes, la famille aboutit à la forme monogamique formelle de nos jours. Il est certain que le régime capitaliste à sa fin, avec ses crises, son chômage, l’abaissement du niveau de vie des larges masses, crée les éléments d’une, véritable crise sexuelle surtout chez les jeunes, qui ne sont pas en état économiquement de fonder une famille, à un moment où ils sont aptes à fonctionner sexuellement. Ce phénomène est encore plus marqué dans les grandes agglomérations urbaines. Ce sont ces conditions qui amènent le plus souvent des clients au psychanalyste, mais Freud et ses élèves passent sous silence le caractère social de ces conditions.

Mais après examen de la doctrine freudienne il en vient à cette conclusion qui nous paraît bien difficile à contredire que : « L’erreur fondamentale de la psychanalyse, en tant que psychologie individuelle, c’est donc la surestimation du facteur biologique, en tant que moteur du comportement. L’étude clinique des névroses permet, en effet, de saisir sur le vif cette fausse orientation, en montrant l’importance du facteur social à l’origine de nombreux troubles mentaux.

Affinant sa critique, il souligne que :

« …à l’origine de beaucoup de névroses, on trouve, en dehors d’un terrain physiologique que les médecins continuent à étudier, des troubles d’insertion familiale et sociale. Et si le nombre des névroses nous apparaît en continuelle augmentation, c’est probablement parce que l’état d’insécurité sociale, dans laquelle se trouver plongée une grande partie de l’humanité, favorise aucun doute leur éclosion. Il apparaît évident que dans une période de crise, de chômage, de misère, de menaces, de guerre, la possibilité d’adaptation à la vie sociale est beaucoup plus réduite que dans les périodes de calme relatif. L’on connaît, à cet égard, l’importance caractéristique des névroses de guerre. Et l’ensemble de ces conditions sociales et culturelles est d’un poids beaucoup plus important dans l’éclosion des troubles névrotiques que d’hypothétiques complexes d’Œdipe et d’Électre, enfouis dans la conscience infantile.

Il est de constatation courante aussi que les troubles névrotiques sont plus développés dans certaines couches sociales, qui occupent dans le cadre historique actuel une place instable, comme les classes moyennes, ballotées entre le prolétariat et la grande bourgeoisie, avec tout ce que cela comporte du point de vue des conditions de vie, des habitudes, des mœurs, de la morale. Cela évidemment sans tomber dans un sociologisme par trop simpliste, qui voudrait déduire les conditions d’apparition des troubles névrotiques uniquement.de la situation sociale du malade, sans tenir compte de son évolution individuelle, physiologique, familiale, socio-professionnelle.

Cette surestimation du biologique dans le comportement individuel se retrouve partout dans la doctrine psychanalytique de la formation de la personnalité. Pour le choix d’une carrière, des possibilités ou tendances biologiques peuvent certainement jouer, niais il nous semble superflu d’insister sur l’importance des facteurs historiques et sociaux. Aussi, lorsque Freud et son école nous, affirment que la profession .de chirurgien correspond à une sublimation du sadisme, celle de gynécologue à une sublimation du voyeurisme, etc., nous saisissons toute l’exagération d’une telle conception.

Et de conclure :

« Quant à la technique de la psychothérapie psychanalytique, elle est entourée de véritables rites. Sa durée d’abord, qui peut s’étendre sur des mois et même des années. On comprend que pendant un tel laps de temps la personnalité du malade peut subir des transformations importantes, sans que l’analyse y soit pour quelque chose. On a signalé d’ailleurs le cas de malades ayant guéri en l’absence du psychanalyste, à la suite d’une interruption fortuite de la cure. Le divan psychanalytique, l’attitude neutre de l’analyste, la nécessité pour le malade d’honorer son médecin pour que la cure réussisse, font aussi partie des rites, accompagnant la technique psychanalytique.

L’on voit donc que la doctrine de Freud, en tant que méthode de psychologie individuelle et de psychothérapie, a apporté, du point de vue scientifique et dans le cadre des réserves déjà exprimées, des lumières intéressantes, concernant le rôle de la sexualité, le rôle et le fonctionnement de l’inconscient, enfin l’origine et le traitement de certaines névroses.

Mais la prétention de la psychanalyse de constituer un système de psychologie individuelle et de psychothérapie est absolument injustifiée. Premièrement, parce que le freudisme biologise à l’excès la personnalité et passe sous silence ses composantes sociales. Deuxièmement parce qu’elle constitue une doctrine fermée, sans liaison, avec les sciences de l’homme. Son biologisme n’est que formel, malgré les velléités de Freud de lui trouver une base chimique, et ne se réduit qu’à une métaphysique de l’instinct. Les acquisitions de la technique médicale ne viennent nullement s’y insérer ; quant aux techniques sociologiques, nous avons vu la place qu’elle leur octroie.

Dans ces conditions, il était inévitable que dans le domaine social le freudisme rencontre tout le mouvement réactionnaire et obscurantiste, dont le but essentiel consiste à dénigrer la valeur de la science et de la raison humaines, parce que science et raison condamnent un régime social que les idéologies réactionnaires et obscurantistes se proposent justement de défendre.

Texte 4

LA PSYCHANALYSE, idéologie de basse police et d’espionnage[10]

Des films « catégorie B » aux romans érotico-historiques, du « READER’S  DIGEST »  à « SAMEDI-SOIR » et à « CONFIDENCES», la vague psychanalytique partie d’Outre-Atlantique s’enfle, déferle et vient envahir les graves chroniques du « MONDE ». D’odieux fumistes nous avaient déjà expliqué que si des ouvriers militent dans les syndicats c’est parce qu’ils ont dès « instincts d’agressivité » (Á plus forte raison s’ils sont membres d’un Parti Communiste !) et que les conflits sociaux peuvent être résolus par la « psychologie des meneurs » (la psychologie de la matraque, évidemment). Au congrès de « la santé mentale », à Londres, des représentants de la réaction anglo-saxonne avaient déjà bavardé sur « l’aspect psychiatrique du malaise mondial », en omettant soigneusement de traiter de ses autres aspects, l’aspect impérialiste par exemple. A Wroclaw, ils avaient proposé de sauver la Paix en psychanalysant les chefs d’État. Puis 1’ « organisation mondiale de la Santé » (dépendant de l’O.N.U.) s’était fixée, entre autres buts : « L’établissement des critères sur la base desquels un état de mauvaise santé mentale peut être déterminé pour une nation ou une région particulière. » « LE MONDE » oserait-il imprimer semblables Inepties ?

Où la science fait place à la provocation.

Il [Le Monde] fait mieux que cela. Un certain docteur Logre[11] y déclare froidement : « Tel chef révolutionnaire, qui se reproche inconsciemment d’avoir renversé par la violence et le crime l’ordre établi, cherche pour se disculper à convaincre de perversité ou de trahison ses adversaires ou même ses amis qu’il inculpe et condamne sans mesure ; il est suivi d’ordinaire par un peuple qui lui ressemble, et la guerre civile se prolonge naturellement par la guerre étrangère où l’on emploie le même héroïsme à massacrer les peuples voisins dont on proclame avec horreur la culpabilité, les mauvais desseins d’encerclement et d’impérialisme. » « Les peuples voisins » : Il s’agit sans doute de l’Allemagne hitlérienne, innocente victime « massacrée » par l’Armée Rouge. Car vous avez deviné qui est le « chef révolutionnaire »…

Et le docteur Logre d’ajouter (l’article, de toute évidence, a été écrit pour cette conclusion) : « Le remède (à la guerre) serait une psychanalyse collective. Mais, pour profiter de la psychanalyse, il faut d’abord y consentir et s’y prêter de bonne grâce. Le plus grand obstacle à la paix individuelle et à la paix du monde, c’est le « rideau de fer »… »

Voilà où nous en sommes ! Voilà ce qu’un docteur Logre, totalement dénué d’«instinct d’agressivité », cela va sans dire, en dépit de son patronyme, ose écrire, et ce qu’ose imprimer Le Monde, aux ordres des impérialistes qui accordent aujourd’hui la priorité au relèvement de l’Allemagne « occidentale » et préparent ouvertement la guerre contre l’U.R.S.S. ! Fera-t-on à de semblables ignominies l’honneur d’une discussion « scientifique » ? Allons-donc ! Il ne s’agit plus de science. Il y a longtemps que les soi-disant « explications » des conflits sociaux par des complexes individuels a été dénoncée comme une misérable tentative pour détourner les hommes des véritables explications qui font Intervenir les forces motrices réelles de l’histoire. Politzer a écrit sur ce sujet des pages décisives[12]. Non. Il ne s’agit plus de science. Il s’agit de provocation pure et simple.

Il est grand temps que les quelques défenseurs sincères de la psychanalyse se décident à regarder les choses en face. « Nous condamnons formellement l’utilisation réactionnaire de la psychanalyse », disent-ils. Et : « Nous laissons de côté l’aspect mythologique du Freudisme ». Et encore : « La synthèse globale du marxisme et de la psychanalyse constitue une mystification. »[13] Mais…

Mais, compte tenu de tout cela, toutes réserves faites, tous abus dénoncés, reste que la psychanalyse est « une bonne thérapeutique », qu’une fois amendée et tenue dans certaines limites elle pourrait constituer une « psychologie individuelle » qui « s’intégrerait » fort bien dans une conception rationaliste du monde… Ainsi, quelques psychanalystes de bonne foi tentent-ils de se persuader eux-mêmes que la psychanalyse des autres est condamnable, certes mais que la leur, celle qu’ils pensent, est quelque chose de très bien.

Le fait sociologique de la psychanalyse en 1949

 Les faits sont là, cependant. Ce qui nous intéresse, ce n’est pas l’idée que quelques-uns se font de la psychanalyse, mais la psychanalyse telle qu’elle se présente objectivement, et dans son entier, comme fait sociologique, en 1949. Il y a le corps de doctrine irrationaliste qui jongle avec les entités (l ‘Ego, la Libido, le Super-Ego, l’Éros…) ; l’idéalisme, qui manipule des essences tenues pour immanentes à la condition humaine ; cette idée d’une anxiété liée à tout jamais à l’homme, d’un perpétuel recommencement de conflits marquée du sceau de la fatalité (ne confère-t-on pas au « complexe d’Œdipe » un véritable caractère d’éternité, tournant ainsi le dos à toutes les idées d’évolution, de progrès et d’affranchissement de l’homme ?) Il y a la notion de culpabilité qui se relie si bien au mythe du péché originel. Et le recours au sauveur ; le père ; Dieu… ou, pour tout un peuple, le substitut du père : Hitler, par exemple… Tout cela a été dit. Il y a, par-dessus tout, l’utilisation ultra-réactionnaire, consciente et délibérée, de la psychanalyse dans le cadre d’une offensive générale de l’obscurantisme destinée à saper la confiance des hommes dans la science, dans la raison. Offensive générale d’un impérialisme aux abois, tentant, de briser l’essor du mouvement démocratique en Amérique et partout dans le monde. Voilà le « fait psychanalytique » en 1949. Il est cela et rien d’autre.

Certains veulent lui substituer« ce qu’ils pensent qu’est la psychanalyse ». Ils font songer àces intellectuels « de gauche, » qui vous déclarent gravement :« Je suis socialiste mais je nie le socialisme de l’U.R.S.S. ». Or, Le socialisme c’est, le socialisme de l’U.R.S.S. Il n’y en a pas d’autre, sinon dans leur conscienceenfumée (Et encore !). De même,la psychanalyse c’est la psychanalyse à la sauce américaine.Êtes-vous socialiste ? Alors vousêtes pour le socialisme soviétique. Êtes-vous pour la psychanalyse ? Alors vous êtes pour lapsychanalyse façon yankeee. Parce que c’est entre des choses réelles que vous avez à choisir et non entre les idées que vous vous des choses.

Logre et ses bottes de sept lieues

Il faut ouvrir à la fois et le plus largement possible les frontières de son âme et de son pays, écrit le docteur Logreaprès avoir chanté le refrain du« rideau de fer ». Dirons-nousqu’on voit venir Logre avec sesgros sabots ? Avec ses bottes de sept lieues, plutôt ! C’est cela !

Camarades soviétiques, ouvrez vos âmes et vos frontières ! C’est la psychanalyse qui vous le demande au nom de votre « santé mentale » et de la paix. A moins que ce ne soit au nom du S.R. américain et de l’Intelligence Service…

Qu’un journal réputé « sérieux » comme « LE MONDE » en vienne à reprendre à son compte les grotesques et honteuses élucubrations « made in U.S.A. » avec une intention provocatrice aussi évidente doit suffisamment éclairer la véritable nature de la psychanalyse en 1949. En elle reposent les espoirs ultimes de la réaction internationale démunie de toute théorie conséquente. Chaque marxiste doit voir cela et dénoncer avec énergie cette expression dernière de l’« idéologie capitaliste » : la psychanalyse, la forme idéologique convenant désormais à un régime qui ne se maintient que par des procédés de basse police et d’espionnage.

Guy LECLERC[14].

Texte 5

Destin de la psychanalyse

(II – La sociologie freudienne)[15]

Dans le dernier des textes que nous proposons ici, Victor Laffite nous dit très clairement en quoi la conception freudienne du monde s’oppose radicalement à la conception marxiste :

« La position sociologique de la psychanalyse consiste à présenter le comportement social de l’individu et la vie sociale de l’humanité, comme conditionnés par des tendances biologiques, avant tout d’ordre sexuel. Il s’agit, malgré son aspect biologique, d’une conception idéaliste de l’évolution sociale, d’un idéalisme physiologique, tournant de toute évidence le dos à l’enseignement fondamental de Marx, suivant lequel le mode de production de la vie matérielle conditionne le processus de vie social, politique et intellectuel, en général. Ce n’est pas la conscience des hommes qui détermine leur être, c’est inversement leur être social qui détermine leur conscience (Préface à la Contribution à la critique de l’économie politique).

Dans la suite, il dénonce non sans un certain humour, avec citations à l’appui, les errements à laquelle la doctrine freudienne conduit. Florilège :

« Le travail de la terre à l’aide d’instruments aratoires ainsi que l’ensemencement visent, pour la société, comme pour l’individu, à la production d’aliments. Mais ces actes revêtent également le sens symbolique d’un inceste avec la mère (« la terre, mère nourricière ». Wilhem Reich.

« L’atteinte d’orgasmes convenables doit- être considérée comme le traitement de tous les problèmes personnels et sociaux ». Wilhem Reich encore.

A propos de la Commune de Paris «  C’est d’abord la classe inférieure, généralement native de Paris, fruit appauvri de plusieurs générations citadines. Elle consomme plus qu’elle ne produit, s’intéresse peu à la politique, fournit ses recrues au crime, à la prostitution, peuple les asiles d’aliénés. Dans le grand corps de Paris, elle représente les forces instinctives de la sexualité, le ça. Jean Riverain dans Psyché n°16.

Et de préciser : « Freud et ses élèves ne voient dans le mouvement d’émancipation de la femme qu’une révolte contre sa prétendue infériorité biologique, un refus d’accepter sa féminité, une « envie du pénis ».

Il fournit d’autres exemples grotesques de la sociologie psychanalytique.

« D’après G. Marant (Psyché, n° 18), la cause réelle de l’antisémitisme réside dans la circoncision. Le pénis du Juif circoncis présenterait une sensibilité plus grande que celui du non circoncis. D’où durée plus longue du coït et jouissance renforcée. D’où jalousie féroce des non-circoncis, origine de l’antisémitisme !

Et de citer Freud lui-même : « L’humanité est l’ennemie virtuelle de la civilisation… les masses sont paresseuses et inintelligentes… une élite minoritaire doit gouverner la masse du peuple… chez l’homme l’intelligence est plus faible que ses instincts… la civilisation est perpétuellement menacée de désintégration par l’hostilité primaire de l’homme pour l’homme.

« On voit facilement l’utilisation qu’on peut faire d’une telle doctrine, en présentant les revendications ouvrières et démocratiques comme l’expression de tendances névrotiques. Aussi bien fera-t-on subir aux grévistes, aux chômeurs, etc., des examens psychiatriques et un séjour à l’asile finira par « liquider » leur hostilité, que rien ne justifie, envers le régime édénique de la libre entreprise !

En fait, une « Ligue pour la protection de l’hygiène mentale » a, avec appui gouvernemental, ouvert des centaines de succursales dans les entreprises industrielles des Etats-Unis. Et l’on fait jouer aux psychiatres le rôle de briseurs de grève, en les chargeant d’expertiser les tendances morbides des « meneurs ». On demande ouvertement aux médecins de permettre, grâce à leurs connaissances, la neutralisation des attitudes de méfiance vis-à-vis des autorités, l’obtention d’une attitude socialement adaptée à la communauté », etc., etc.

Cette méthode a l’avantage de simplifier à l’extrême le problème social, en le supprimant complètement.

Ainsi :

« Tel est le destin de la psychanalyse. Freud a découvert des faits importants dans le domaine de l’activité psychique ; leur intégration dans une véritable psychologie individuelle et dans une psychopathologie scientifique est encore à faire. Mais son système, grâce à son noyau irrationnel, à son idéalisme physiologique, est devenu un instrument, d’ailleurs fortement émoussé, entre les mains des tenants de la réaction et de l’obscurantisme.

            Rendez-vous pour discussion de tout ce dossier dans le prochain numéro


[1] Initialement et par erreur de fichier paru incomplet dans le numéro 47.

[2] Dr Victor Laffite.  La Pensée,n°16 – janvier-février 1948, Polémique, pp.107-108.

[3] Jules Moch est, de façon continue, ministre de l’Intérieur du 24 novembre 1947 au 7 février 1950, sous plusieurs gouvernements. Membre de la SFIO, il est profondément anticommuniste farouche. Il réprime sévèrement  les grèves de décembre 1947 (avant de réprimer encore plus durement celles de décembre 1948) et déjà alors, fin 1947-début 1948, s’impose comme l’un des artisans de la définition d’une politique étrangère pro-israélienne en soutenant par exemple l’Irgoun et la Haganah contre les Palestiniens. Sa participation au Front Populaire, son appartenance au groupe des quatre-vingt députés ayant refusé d’accorder les pleins pouvoirs à Pétain, son passé de résistant, n’empêchent pas l’aversion que lui portent le PCF et de nombreux Français. A partir de 1952, hostile au réarmement allemand et à la CED, il rentrera en grâce auprès du PCF à partir de 1954, PCF qui le désigne alors sous le nom de « camarade Jules Moch » alors qu’en 1948 il le traitait de « bourreau des bassins miniers » dans l’Humanité du 14 novembre 1948, et ce alors qu’il demeure toujours autant anticommuniste.

[4] Victor Laffite, de son nom français enregistré par décret en 1946, était né en 1910 en Roumanie, Lazar Katz. Fuyant l’antisémitisme, très brillant, il vint faire ses études de médecine en France et fut diplômé en 1939. Membre des JC, il s’engagea volontairement, comme Michel Manouchian, par exemple et beaucoup d’autres étrangers), dans l’armée pour défendre son pays d’adoption). Dès l’automne 40, il contribua à la rédaction de l’Humanité clandestine puis à celle du Médecin Français, l’organe du Front National des Médecins. Il dirigea les services médicaux de la Résistance durant les combats de la Libération en région parisienne. Nous le retrouvons ici secrétaire de la commission nationale des médecins du PCF et de la section des intellectuels ainsi que responsable du Médecin Français jusqu’en 1949. Toute sa carrière de médecin fut au service d’une médecine pour tous effectuée dans des services de santé créés par le mouvement communiste. Dans la revue La Pensée En 1975 encore, il publia « Pour une déontologie de la médecine salariée » article sur lequel nous pourrions revenir dans un prochain moment de cette rubrique « textes historiques ». Il mourut en 1999.

[5] Dr Serge Lebovici. La Pensée,n°21 – novembre décembre 1948, pp.50-58 (extraits)

[6] En 1948, Serge Lebovici est un jeune psychiatre de 33 ans. Il travaille alors comme assistant dans le service de Georges Heuyer, le père fondateur de la pédo-psychiatrie. Il est quelque peu gêné par la ligne voulue par les instances dirigeantes du PCF, sa commission des intellectuels et ses camarades psychiatres Bonnafé et Le Guillant et tente de faire ici la « part du feu ». Avec les autres « psychiatres communistes », il cosignera cependant l’article de la Nouvelle Critique qui sera publié en juin 1949 mais, en revanche, il quittera le PCF en 1953 en désaccord lors du « complot des blouses blanches ». Son œuvre principale est certainement d’avoir été en 1958, l’un des fondateurs de l’ASM 13, préfiguratrice de la psychiatrie de secteur mais aussi de l’intégration de la psychanalyse au travail des soignants de santé mentale.

[7] (Note de Serge Lebovici) Dr Victor LAFITTE : Quand la psychanalyse nous arrive d’Amérique. La Pensée, n° 16, page 107.

[8] (Note de Serge Lebovici) La pensée de POLITZER trouve à ce sujet son expression définitive dans l’article qu’il écrivit sous le nom de T.W. MORRIS pour la Pensée (Septembre-Décembre 1939) : La fin de la psychanalyse.

[9] Dr Victor Lafitte. La Pensée, n°21 – novembre décembre 1948, Polémique, pp.59-67 (extraits)

[10] par Guy Leclerc. L’Humanité du 27 01 1949.

[11] Ce « certain Docteur Logre » est depuis 1945 l’un des chroniqueurs médicaux du Monde où il publie de nombreux articles autour des questions d’études supérieures, de santé et notamment de psychologie et de psychiatrie. L’article du dr Logre sur lequel revient  ici Guy Leclerc a été publié dans le Monde du 22 janvier 1949 sous le titre l’Anneau de Polycrate.  Dans cet article, le Dr Logre saisit le prétexte de la présentation d’un ouvrage du même nom du à Mme Maryse Choisy pour dénoncer « les crimes des soviets » et particulièrement ceux de Staline, ce qui n’a qu’un rapport assez lointain avec l’ouvrage duquel il part mais qui lui permet d’affirmer que refuser la psychanalyse c’est avouer qu’on n’ose pas confesser son âme ou en d’autres termes que les communistes seraient des péteux qui à la même période dénoncent la psychanalyse comme une supercherie de la bourgeoisie. Médecin, le Dr Logre est un psychiatre que l’on pourrait qualifier de « médiatique » qui après avoir été le médecin de Raymond Roussel et de Léona Delcourt, la Nadja d’André Breton, défend les sœurs Papin. Anticommuniste virulent, il continuera de revenir sur le sujet de la psychanalyse, notamment dans le Monde du 23 mai 1950 pour y dénoncer la « proscription marxiste » dont cette « science » est la victime. Mais tout autant, il s’est fait précédemment le relais dans le Monde du 10 février 1948 sous le titre « La Grande Misère des Hôpitaux Psychiatriques » d’un communiqué du Syndicat des Médecins des Hôpitaux Psychiatriques dénonçant l’état des « Asiles » devenus soi-disant « Hôpitaux psychiatriques ».

[12] Guy Leclerc évoque sans doute ici l’article de Georges Politzer publiée dans la Pensée en 1939 : La fin de la psychanalyse publiée sous le pseudonyme de T.W. Morris (allusion probable dit-on à Maurice Thorez) et quasiment pas diffusé en raison de la mise hors la loi du PC et de toutes ses revues à l’automne 1939. (non déposé légalement, le n° n’est pas disponible sur Gallica, le site de diffusion de la BNF). Cet article a été repris dans G. Politzer, Écrits 2. Les fondements de la psychologie, Paris, Éditions Sociales, 1973, qui demeure aisément accessible.

[13] Guy Leclerc extrait ici des citations de l’article alors tout récent de Serge Lebovici, La psychanalyse est une thérapeutique, paru dans le n°21 de La Pensée de novembre-décembre 1948, pp. 50-58. Sans doute est-il nourri aussi du billet de Robert Lafitte paru en janvier de la même année dans le n° 16 : Quand la psychanalyse nous arrive d’Amérique. A noter que Guy Leclerc a signé juste avant ce billet et dans la même rubrique « polémiques » un autre billet :  L’existentialisme n’est pas un humanisme. Nous y reviendrons au moment de commenter l’article des « huit » mais cela déjà signale à l’attention des lecteurs que leur article s’écrit dans un processus d’ensemble, un contexte courant sur quelques années… Par ailleurs, la place même qu’occupe le sujet dans la presse communiste, notamment intellectuelle et théorique mais pas que, est le signe que le débat sur la psychanalyse s’inscrit aussi dans un débat plus large qui n’intéresse sans doute pas qu’elle.

[14] Voir https://maitron.fr/spip.php?article137026 Né en 1918, Guy Leclerc, venu d’une famille de la petite bourgeoisie, fut un élève brillant, membre des JC dès 1934. Alors qu’il était encore au service militaire, il adhéra au PCF (clandestin) en septembre 1940, malgré les graves risques encourus. Proche de Francis Cohen, il travailla, dans la clandestinité au secteur des intellectuels et fut un responsable du Front National Universitaire. Il participa aux combats de la Libération dans Paris. Communiste progressiste, antistalinien en lien avec le mouvement Unir, Il cessa son activité militante au sein du PCF après 1968.

[15] Victor Lafitte. La Pensée, n°22 – janvier-février 1949, pp.45-50 (extraits)

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