Résumé :
L’auteur se livre ici à une analyse détaillée du texte de loi présenté par le gouvernement sur la fin de vie et l’aide à mourir. Il porte sa critique les propositions de soins d’accompagnement, de soins palliatifs, de maisons « d’accompagnement », d’applications de clauses de conscience et à chaque fois fait des propositions de rédaction différentes. Il reste très critique sur les buts recherchés par les pouvoirs publics. Le fondement de ses propositions sont d’ordre éthique.
Abstract :
The author here undertakes a detailed analysis of the text of the law presented by the government on end of life and assistance in dying. He criticizes the proposals for supportive care, palliative care, “support” homes, applications of conscience clauses and each time makes different drafting proposals. He remains very critical of the goals sought by public authorities. The basis of his proposals are ethical.
NDLR : À la suite des articles de fond publiés dans les numéros précédents des Cahiers, nous donnons ici un article critique sur les propositions gouvernementales. Ce texte tente une analyse du projet de loi 2462 sur la fin de vie dans une optique progressiste et fraternelle. L’analyse vise à étayer des propositions d’amendements. Deux préalables vont guider l’analyse :
1° Le débat sur l’euthanasie tel qu’il existe depuis plus de 40 ans maintenant oppose une vision largement religieuse à une approche libérale focalisée uniquement sur la Liberté dans une appréhension libérale voire libertarienne. Les deux protagonistes font appel à des notions de fraternité, de dignité, de respect des fragiles mais il est clair qu’il ne s’agit que d’arguments de façade, le fond restant pour les uns la sacralité de la vie et pour les autres la Liberté au sens de la pensée libérale.
De fait alors, il s’agit d’un débat qui oppose les deux droites : le courant conservateur religieux face au courant libéral. Le fait que ce dernier ait tenté (avec un succès certain) de rallier une certaine gauche témoigne d’un impensé à gauche sur ce sujet difficile. Les émotions mobilisées, l’attrait d’une Liberté brandie et l’opposition historique aux religieux faisant tristement office de pensée.
Depuis les révolutions bourgeoises, il est clair que tout humain s’appartient, ce qui a été acté, par exemple, par la dépénalisation des suicides. Le droit à disposer de soi-même est un acquis impossible à remettre en cause. Dès lors le débat n’est pas de savoir si des aides à mourir sont ou ne sont pas légitimes dans une république mais plutôt de savoir sous quelles formes et conditions tout citoyen peut (ou doit) assister tout autre dans un éventuel projet de mettre fin à ses jours.
La polarisation entre les deux visions droitières a masqué cet aspect des choses et le débat s’est enlisé sur le seul problème de la légitimité des aides à mourir, laissant en l’occurrence la question des modalités et conditions à l’unique vision ultra-libérale. C’est clairement ce qui se montre dans ce projet de loi.
2° La médecine occidentale en général et française en particulier est, depuis le début du XXI° siècle, traversée par une tension qui peine à se résoudre et en éclaire le fonctionnement. Cette tension est tout particulièrement à l’œuvre dans ce projet de loi.
D’un côté, depuis les lois Kouchner, une approche globale de l’humain malade dans toutes ses dimensions, physiques, psychiques, culturelles, historiques, sociales, spirituelles se constitue en paradigme et préside à toutes les intentions affichées. On la retrouve dans les chartes du patient, les grilles de certification, les recommandations de bonnes pratiques, elle est promue par l’OMS, elle est enseignée. Elle s’affiche une fois de plus dans ce projet de loi en préambule et semble motiver beaucoup de ses articles.
L’autre face de cette dialectique, l’organisation pratique du monde du soin, va à contrecourant de ce paradigme affiché et se développe dans une fragmentation du patient en organes et en un cloisonnement du monde médical qui interdit toute approche globale. Elle élabore une médecine pensée et dirigée comme une industrie où le patient est un consommateur et où les problématiques de rentabilité et de productivité sont les seuls moteurs de l’action publique. Concrètement, le paradigme industriel du soin règne en maître et la revendication d’œuvrer à une approche globale reste de pure façade. Cette industrialisation du soin est à l’origine de beaucoup des extraordinaires succès et progrès de la médecine moderne. Globalement, sur certains soins précis, elle accompagne des prouesses techniques et procure un sentiment de confort et de confiance inédit dans l’histoire de l’humanité, sentiment qui tend à la justifier aux yeux des décideurs.
Mais tout aussi clairement, quand les corps et les problématiques ne sont pas fragmentables, quand il s’agit non plus d’un d’organe mais d’un humain dans la totalité de ses dimensions, elle est à l’origine de frustrations et d’un très fort sentiment d’abandon et d’échecs retentissants. C’est bien évidemment le cas de la fin de vie. Cet abandon est particulièrement à l’œuvre dans ce projet de loi qui peut être déchiffré intégralement comme la volonté de maintenir le modèle industriel dans une tentative pathétique de sous-traitance des aspects humains tout en abordant la fin de vie sous un angle ultra-libéral d’allure compatible avec le modèle industriel (marchandisation de la mort donnée).
Structure du projet de loi
Le projet de loi se décline en plusieurs volets :
- Promotion d’un nouveau concept, les soins d’accompagnements, censé englober tout l’aspect « global » du soin.
- Instauration d’un nouveau type d’établissement : les maisons d’accompagnements
- Instauration d’une aide à mourir.
- Des dispositions diverses autour de l’annonce des maladies graves, de la mise en place d’emblée d’un plan d’accompagnement, sur les directives anticipées, sur les clauses de conscience, le plan de développement des soins palliatifs.
Un « nouveau » concept : les soins d’accompagnement. Le plan d’accompagnement.
Le projet de loi est centré sur l’aide à mourir qui en est la motivation première voire exclusive ; tout le reste pouvant exister de façon réglementaire ou relevant simplement de l’impulsion administrative. L’enrobage (notion d’accompagnement, maisons d’accompagnements, mesures diverses) vise exclusivement à donner une impression d’approche globale et à amoindrir l’impact sociétal d’une aide à mourir qui reste une quasi-exception mondialement (pas plus de 15 pays s’y essayent et depuis peu) et apparaît toujours transgressive.
Cependant la nature de cet enrobage est significative. Il prend acte de la carence majeure de prise en charge globale de notre système de soin et tente d’y remédier. Mais au lieu de privilégier l’approche globale, c’est-à-dire de lutter contre le fractionnement des êtres et des procédures, on assiste au contraire à un renforcement de ce fractionnement délétère auquel on adjoint, comme en compensation, un nouvel « item » : la globalité. L’approche globale, paradigme brandi comme essentiel au soin, est ainsi véritablement sous-traitée par des fractionnements nouveaux ; ce qui permet de laisser intact le fonctionnement industriel bâti autour d’une rentabilité et de gain de productivité. Cette manière de faire n’est pas nouvelle.
Ce procédé a déjà été utilisé, par exemple, il y a quelques années par le plan Chirac du cancer autour de la notion d’annonce. Prenant acte de l’incompétence générale des médecins dans l’annonce des maladies graves, le plan a développé des consultations d’annonce et a donné des moyens conséquents autour de cette notion à l’origine de tant de traumatismes chez les patients. Mais au lieu de former sérieusement les médecins à l’annonce de mauvaises nouvelles, le processus a été le plus souvent sous-traité à des consultations infirmières qui « soulageaient » les médecins de la tâche pénible d’explication tant de la maladie que du processus de traitement. Même si ces consultations sont bienvenues et qu’elles participent à une meilleure information des patients, on voit bien qu’en fait la fragmentation s’en est trouvée renforcée, la transmission d’informations trouvant sa place dans une juxtaposition de procédures. Il n’en reste pas moins que ce sont toujours les médecins qui font les annonces, qu’ils les font toujours aussi mal (mais maintenant avec bonne conscience puisque l’infirmière va passer derrière), qu’ils n’imaginent pas plus (et plutôt moins) de se former et que la tentation est grande d’utiliser les financements des consultations d’annonce à augmenter la productivité des services.
Il existe une réflexion internationale sur l’urgente nécessité à réintroduire de la globalité dans le soin et en particulier dans le soin des maladies graves, qu’elles soient mortelles ou non. Par ailleurs, même des incidents d’allure bénigne peuvent être à l’origine de rupture dramatique dans une vie : fracture de jambe chez un jeune sportif en voie de professionnalisation, atteinte de la voix ou de l’audition chez un professeur. Bref ce n’est pas le soin autour des seules maladies mortelles qui demande de la globalité mais tout le soin. Ainsi, le milieu des soins palliatifs a développé la notion de « soins palliatifs précoces » et les anglo-saxons celle de « advance care planning » entre beaucoup d’autres.
La « création » du concept d’accompagnement et de soins d’accompagnement trahit, par le vocabulaire même, la profonde incompréhension de ces besoins par le projet de loi. Au lieu de regrouper tous les soins, toutes les facettes des soins dans une véritable globalité, elle rajoute une procédure « globalité » à la chaine de procédures fragmentées. Incapable de penser le soin autrement que comme une chaine de procédures fragmentées, permettant les gains de productivité, le projet de loi nous propose d’« accompagner », en fait d’ajouter un item complémentaire faisant office de transversalité. La « globalité » donne ainsi l’illusion d’être prise en compte alors qu’elle est niée dans son essence. Ces efforts linguistiques émaillent la mauvaise conscience des décideurs du soin depuis longtemps. Il y a quelques années la même tentative avait été faite avec la notion de « soins de confort », notion qui semble disparaitre du vocabulaire du ministère.
Il est très difficile de proposer un ou des amendements visant à dénoncer ou à amender cette vision des choses tant elle est ancrée dans le fonctionnement médical actuel. Obliger ceux des médecins que ne se vivent plus que comme des techniciens à une formation forte à l’approche globale, organiser les hôpitaux, les équipes et le soin en général autour de cette notion ne relève pas « d’amendements » mais d’une volonté forte d’orientation de toute la filière à contre-courant de son orientation industrielle actuelle.
Il s’agit simplement de ne pas être dupe que ces efforts linguistiques (et peut-être financiers) ne sont en fait animés que par la volonté de résister à la nécessaire globalisation des soins et de maintenir et renforcer leur fonctionnement industriel.
Pour tenter de s’opposer à la vacuité de ces propositions on peut les prendre aux mots et proposer les amendements suivants :
- Chaque service recevant des pathologies souvent mortelles doit se doter d’une ou plusieurs équipes transversales, principales interlocutrices du patient. Tous les personnels (incluant les médecins) sont intégrés dans une de ces équipesIls bénéficient tous sans exception (y compris les médecins) d’une formation à la transversalité. Formation diplômante et opposable à tout personnel hospitalier.
- Toutes les décisions concernant la prise en charge d’un patient sont prises au sein de ces équipes transversales auxquelles seront associés le médecin traitant et tout autre praticien à la demande du patient.
- Les équipes sont tenues de poursuivre leur prise en charge au-delà de l’épuisement des ressources techniques proposées par le service. Elles suivent le patient jusqu’à guérison ou décès.Elles restent les interlocutrices permanentes du patient.
- Les équipes transversales disposent obligatoirement au sein de leur service et sous leur responsabilité de lieux d’hébergement ad-hoc pour chaque étape des besoins des patients. (Maisons d’accompagnement).
- Les praticiens ou les unités dans l’incapacité de se constituer en équipe transversale devront s’affilier à une ou plusieurs équipes transversales.
Le plan en faveur des soins palliatifs. (SP)
Dans la même veine de la quête de transversalité et d’approche globale du patient il faut parler ici du plan en faveur des soins Palliatifs. Le chef de l’État et la ministre ont donné tous les deux les mêmes chiffres concernant le plan gouvernemental d’augmentation de la dotation des soins palliatifs en France notamment pour atteindre l’objectif d’une unité par département. « Nous consacrons actuellement 1,6 milliard d’euros aux soins d’accompagnement. Avec la stratégie décennale, sur l’ensemble de la période, c’est un milliard d’euros de plus que nous allons y investir ». (Emmanuel Macron dans son interview à Libération et à La Croix). Un simple calcul montre que 1 milliard sur 10 ans, soit 100 millions par an pour un budget actuel de 1.6 M€ représente une augmentation de 6,25 %. Quand on sait que l’inflation n’est généralement pas compensée dans les dotations ARS, l’augmentation réelle risque de tourner autour de 2 à 4 % soit un effort minime qui n’arrivera pas à résorber le retard.
Mais en fait le problème n’est pas là. Augmenter la dotation des soins palliatifs (SP) est certes important mais serait-elle multipliée par 10 qu’elle ne résoudrait toujours pas le problème de la gestion de la fin de vie en France. Les SP sont des soins spécialisés, qui sont réservés aux patients nécessitant une prise en charge complexe et lourde. Ce sont de véritables laboratoires où s’élaborent les stratégies complexes face aux fins de vie. Or la plupart des fins de vie ne devraient pas faire appel à ces services ultra-spécialisés mais à de simples et véritables compétences dans l’accompagnement. Ces fins de vie devraient être gérées par les services où la pathologie est traitée éventuellement dans des lits identifiés « Soins Palliatifs ». Or le paradigme de fragmentation des soins fait que les patients en fin de vie sont le plus souvent dirigés hors du service vers des lieux tout aussi réticents à accompagner les fins de vie (Convalescence et Ehpad, etc…).
On voit mal comment un projet revendiquant une orientation vers une prise en charge globale entend maintenir et renforcer sa pratique de redirection des patients vers d’autres structures quand les soins techniques sont épuisés. Les médecins qui prennent en charge des pathologies à mortalité élevée ne pourraient pas imaginer ne pas être formés dans les soins techniques qu’ils procurent et pourtant ils continuent de se déclarer incompétents dans la gestion de la fin de vie qui concerne une large partie de leurs patients.
Si l’orientation vers une médecine globale est sincère, alors il faut tout simplement exiger des services qui accueillent des pathologies potentiellement mortelles qu’ils gardent leurs patients jusqu’au décès et qu’ils développent des compétences de prise en charge palliative. Certains services hospitaliers peuvent avoir plusieurs décès par semaine et toujours considérer que gérer les fins de vie ne fait pas partie de leur mission !
De plus, la redirection vers des services de SP se heurte aux impératifs de productivité qui sont assignés à ces services comme à tous les autres. Il s’en suit que les admissions en SP sont le plus souvent maintenant réservées aux patients dont le décès est attendu en quelques jours. L’orientation productiviste actuelle incite à rediriger « ailleurs » tout patient n’étant plus éligible aux soins techniques d’un service. Elle est à l’origine de la forte sensation d’abandon de ces patients, des problématiques de « places » et probablement d’une forte proportion des demandes d’aide à mourir. L’accueil de ces demandes d’aide à mourir par des structures privées encouragé par ce projet de loi (cf infra) s’inscrit dans cette dynamique du rejet des patients hors de leurs lieux de prise en charge.
Il convient de légiférer vers une obligation de prise en charge palliative :
- Tout établissement ou service hospitalier, privé ou public, prenant en charge des pathologies fréquemment mortelles doit s’organiser pour accueillir les patients qu’il a pris en charge jusqu’à leur décès. Ces services sont labélisés « soins palliatifs requérant » dès que l’analyse de l’évolution de leur file active dépasse un pourcentage (à déterminer) d’évolution vers un décès.
- Chacune de ces structures doit consacrer une partie de leurs personnels équivalente au pourcentage de décès attendu à la prise en charge palliative.
- Tous les personnels de soins incluant le corps médical est concerné par ces mesures.
- Des validations de formation professionnelle en techniques palliatives sont obligatoires pour pratiquer dans ces services
- Ces services ont 3 ans pour se mettre en accord avec ces normes.
- L’organisation de la prise en charge palliative dans ces structures est soumise à certification.
Les maisons d’accompagnement
Ce qui vient d’être dit trouve une concrétisation forte dans la volonté de création d’un nouveau type d’établissement médico-social : les maisons d’accompagnements. Si la notion d’accompagnement est une notion clef du soin et en particulier du soin autour de la fin de vie, il ne suffit pas de la brandir pour en réaliser l’intention. Et il est à craindre que l’utilisation qui en est faite dans ce concept de maisons d’accompagnement en pervertisse le sens.
Dans le paradigme de fractionnement industriel de la médecine, les ressources hospitalières sont structurées pour optimiser financièrement chaque étape du soin. Ainsi par exemple le soin des cancers est fragmenté en divers services (chimiothérapie, radiothérapie, surveillance chronique, chirurgie, etc.). Quand chacune de ces unités a réalisé les actes qui relèvent de sa compétence le patient est dirigé « ailleurs ». S’il adhérait à l’illusion qu’il était pris en charge « globalement » par une médecine qui considérait toutes les facettes de son être, il la perd violemment à l’occasion de ces véritables expulsions du système de soin qui ont lieu quand le catalogue des actions techniques est épuisé. Ceci est d’ailleurs à l’origine d’une inflation de soins techniques loin d’être toujours nécessaires mais apparaissant in fine comme une alternative à l’abandon !
Les maisons d’accompagnements s’inscrivent clairement dans cette dynamique. Que faire des patients qui ne peuvent être chez eux, qui ne relèvent pas de la convalescence (mourir n’est pas un processus de convalescence), qui ne relèvent pas (encore) des soins palliatifs et qui sont trop jeunes pour l’Ehpad ou, pire encore, qui n’ont pas le temps d’attendre qu’une place en Ehpad se libère ? Indiscutablement, patients, familles et praticiens savent qu’il y a là un besoin criant à l’origine de souffrances, d’inquiétudes et de très forts sentiments d’abandon. Actuellement, l’éjection hors de la médecine se traduit par une redirection vers des structures surchargées (convalescence et Ehpad dont la disponibilité est réduite par la course à la productivité) et est à l’origine de trajectoires douloureuses et erratiques pour le patient, inappropriées médicalement et in fine chères.
D’où l’idée de ces « maisons d’accompagnements ». Ce n’est pas parce que ces redirections seront baptisées « accompagnement » qu’elles n’en seront pas moins une éjection hors de l’équipe initiale. On fait rarement de l’éthique avec des euphémismes ! L’approche globale voudrait que ces patients soient accompagnés réellement et non pas envoyés « ailleurs », qu’ils soient maintenus au sein des équipes qui les ont pris en charge si besoin dans des lits dédiés à l’intérieur des services (lit de répit— cf. supra). Un patient atteint d’une maladie au-delà de toutes ressources thérapeutiques reste un patient qui relève de la médecine. Et les médecins, les équipes qui le prennent en charge se doivent de continuer leur prise en charge jusqu’au décès. Enfin cela est vrai s’ils prennent en charge un patient dans sa totalité et non pas seulement la petite partie de son corps éligible à leur technique, comme c’est le cas chez nous.
Les maisons d’accompagnements du projet obéissent à une triple finalité : maintenir et renforcer la fragmentation des soins, ne pas encombrer les convalescences et les Ehpad et faire payer par les mutuelles l’hébergement dans ces structures. Elles prennent acte donc de l’éjection des patients au bout des possibilités techniques du système de soin. L’abandon est acté et majoré de la double peine d’un circuit « réservé » et payant. Dans l’état actuel des choses, ces maisons pourront probablement rendre quelques services. Cela dit, il en est prévu une centaine de maximum 15 lits, soit une par département. Mais mourir est un processus qui, plus que d’autres, nécessite le maintien dans l’environnement de vie immédiat du patient. Une maison par département implique pour la majorité du territoire (en dehors des grandes villes) une énorme distance entre le domicile et le lieu de soin venant ajouter l’isolement à l’abandon. (Même s’il est prévu un hébergement familial on voit mal tout un réseau familial et amical y emménager).
De plus, les spécificités techniques prévues pour ces maisons et en particulier leur dotation en personnels vont réduire drastiquement le nombre de patients éligibles. Même si le décès n’est pas prévu à très court terme, les patients dans un processus de fin de vie demandent souvent des plateaux de soins techniques (pansements, traitements injectables de la douleur, risque de décompensation, surveillance nocturne, etc.) bien plus conséquents que ceux prévus par le projet de loi. L’étude d’impact de la loi expose ainsi clairement que sont attendus des gains de productivité de 20% sur le recrutement des services de soins palliatifs et des gains financiers considérables en évitant des redirections vers les convalescences, les lits identifiés « soins palliatifs » (LISP) et autres structures.
Quelques amendements s’imposent à ce projet :
- Remettre dans le financement général l’hébergement dans ces structures.
- Créer ces lits d’accompagnement ou de répit au sein des services qui accueillent les maladies les plus à risque de décès …
- … (service de cancérologie, pneumologie, gastro-entérologie, cardiologie, neurologie, ORL) de manière à permettre aux patients le suivi continu par l’équipe qui les a pris en charge. En particulier les centres de cancérologie devraient en bénéficier en tout premier lieu (certains ont déjà pris des initiatives).
- Autoriser les Ehpads, les services de convalescence à développer des lits de répit.
- Le projet (dans son étude d’impact) spécifie que le coût général de ces prises en charge ante-mortem est plus important que ceux d’un Ehpad classique. Les personnes âgées sont celles qui rencontrent le plus souvent ces situations d’éjection du système hospitalier. Les Ehpads ont les compétences techniques et le personnel pour ces accompagnements, il convient d’encourager et de valoriser leur expertise d’accompagnement plutôt que de créer des tiers lieux.
- Supprimer la référence aux bénévoles dans le fonctionnement de ces structures.
- Si les bénévoles sont bienvenus dans l’ensemble du système de soin comme témoignage de la solidarité du citoyen envers les souffrants et les fragiles, il est choquant de voir le législateur s’appuyer sur leur présence dans le fonctionnement prévisionnel d’une structure de soin. Les républiques ont élaboré leur solidarité contre le système charitable.
L’aide à mourir
Les choix de ce projet de loi concernant l’aide à mourir tranchent franchement en faveur des demandes libérales portées par les associations qui militent historiquement en faveur de l’euthanasie.
Les motivations politiques d’un tel choix sont sans doute nombreuses. Répondre à une demande de l’opinion, œuvrer vers un « modernisme » social et peut-être aussi tenter de se différencier pour une fois clairement des choix du Rassemblement National qui, en principe, reste redevable envers ses alliés historiques que sont les catholiques traditionalistes (et encore il n’est pas clair que la stratégie de « dédiabolisation » du RN ne sacrifie au moins temporairement ces alliés-là). La seule concession que le projet fait aux forces religieuses consiste en une clause de conscience extrêmement élargie qui, paradoxalement, renforce l’aspect libéral souhaité par les associations en faveur de l’euthanasie. En effet, pour ces dernières, moins la médecine se mêle du libre choix du citoyen de mourir, plus la Liberté en sera renforcée. En facilitant un large retrait du milieu médical, le projet comble encore plus les associations.
L’aide à mourir proposée est en premier lieu un suicide assisté, réalisé par le patient lui-même. Si le patient n’est pas en mesure physiquement d’avaler le poison, il peut être aidé par un proche ou un aidant. Même si, théoriquement, l’aide prodiguée par un tiers fait quitter le strict domaine du suicide assisté, (comme l’envisagent l’Oregon et la Suisse par exemple) on peut penser que ces aides sont assimilables aux aides à la toilette, à l’alimentation et ne sont que la main du sujet. La volonté reste celle du demandeur. Ce qui semble assez logique. Il est signifié cependant dans la loi que si le médecin ou l’infirmier qui participe à l’acte n’a pas à être physiquement présent dans la pièce, il doit rester assez proche pour intervenir si besoin. En fait il s’agit de l’éventualité (rare) où le poison avalé ne serait pas efficace et il conviendrait alors de « compléter » le geste par une injection intraveineuse ce qui, pour le coup, devient alors un geste franchement euthanasique.
Le projet de loi est assez habile sur ce plan puisqu’il délègue à l’HAS le soin de rédiger les protocoles pharmaceutiques, de valider les produits recommandés et d’élaborer les bonnes pratiques. La différence entre euthanasie et suicide assistée disparaitra alors dans une démarche réglementaire. Du coup, le refus de prononcer les mots de suicide assisté ou d’euthanasie au profit du simple « aide à mourir » semble assez pertinent, se refusant aux arguties théologiques de « qui fait quoi ». La base éthique étant que le geste est fait à la demande d’un citoyen éclairé et apte à décider. C’est le choix qu’a fait le Canada par exemple, à la nuance près que nos cousins parlent « d’aides médicales à mourir » là où le projet de loi reprend les réticences du comité nationale d’éthique et supprime la référence au « médical ». Ces subtilités linguistiques satisferont les associations qui souhaitent le moins de médical possible, le CNE, les forces religieuses pour qui toute transgression est inconcevable et l’Ordre des médecins qui pourra « s’en laver les mains » !
Une clause de conscience qui vise à évincer le patient du monde du soin :
La tentative de réduire le médical à sa plus simple expression est ce qui frappe le plus dans ce projet de loi. Là où le chef de l’État avait dit dans son interview à Libération et au journal La Croix, « qu’il revient à une équipe médicale de décider collégialement et en transparence quelle suite donner à ces demandes », l’équipe, le collégial et la transparence disparaissent totalement dans le projet ; les médecins en charge du patient au moment de la demande disparaissent au profit « d’un » médecin (donc désigné d’un article indéfini) qui cherchera l’accord « d’un » autre médecin tout aussi indéfini. Le médecin traitant n’est pas mentionné une seule fois dans l’ensemble du projet de loi. L’équipe est réduite à une « aide-soignante » qui connait le patient. La famille est écartée d’emblée, pas mentionnée une seule fois non plus dans le texte si ce n’est pour affirmer qu’elle n’aura aucun pouvoir de discussion dans le projet (cf. infra).
Plus encore, la clause de conscience ne concerne pas seulement l’acte de la délivrance d’un poison mais semble porter sur tout le processus. Le corps médical peut ainsi se récuser d’emblée et refuser de même discuter et d’entendre la demande, dirigeant le patient immédiatement vers des confrères qui acceptent le principe de l’aide à mourir. Ce dernier point représente une terrible innovation dans la relation médecin-malade qui va à contre-courant du principe d’accueil des « attentes du patient ». Un médecin, pourra, dès les premiers mots du patient dans le sens d’une demande d’aide à mourir se récuser et ne pas écouter cette demande ni l’accueillir dans une réflexion. C’est à ma connaissance la seule fois où il serait validé que les attentes du patient puissent être niées.
Le mouvement actuel de la relation médecin-patient veut au contraire que toutes les attentes du patient puissent être entendues, écoutées, faire l’objet d’une discussion, d’une négociation, qu’elles soient élargies à la personne de confiance (une autre grande absente du projet de loi, pas mentionnée une seule fois), voire à ses proches avec l’accord du patient. Rien de tout cela ici, le médecin peut se récuser avant d’examiner la demande. Et il semble que tout un établissement puisse se récuser de la sorte, puisqu’on entend par exemple la Fédération Hospitalière de France évoquer « des clauses de conscience collective ». Il conviendra de demander au CNE ce que peut bien être la signification éthique d’une « conscience collective » !
Voilà donc un projet de loi qui renie d’emblée ce qui fait toute l’évolution moderne de la relation de la médecine au patient et qui le fait dans le but, paradoxal, de satisfaire les deux parties opposées sur tout sauf sur l’accord d’évincer le médical. Les forces religieuses se dédouanant de toute collusion avec la transgression et les forces libérales visant à se débarrasser de la négociation fraternelle. Tout cela va œuvrer une fois de plus à un abandon du patient à sa détresse et à la solitude.
Écarter potentiellement l’équipe médicale en charge du patient de la réception de la demande laisse le patient dans la solitude d’un abandon de son équipe de soins et le force à se tourner vers des tiers acquis à la cause des aides à mourir voire militants dans ce sens et ainsi à décider dans la confusion. Il ne s’agit pas ici de faire agir un quelconque « pouvoir » médical puisque le patient pourra toujours après négociation avec son équipe se tourner vers une ou d’autres personnes. Il s’agit en fait d’intégrer la possibilité d’une aide à mourir comme une possibilité de la prise en charge elle-même. Les possibilités de sédation à la demande du patient sont par exemple reçues par les équipes de soins sans que celles-ci ne puissent se dérober à discuter cette évolution de sa prise en charge souhaitée par le patient.
Intégrer la possibilité d’une aide à mourir comme une évolution de la prise en charge du patient est quelque chose qu’aucune des forces en présence ne veut entendre (pour des raisons différentes) actant ainsi leur collusion de fait sur l’abandon du patient à la solitude.
Le tout premier amendement à proposer sur ce texte est donc de rapatrier au moins initialement toute demande d’aide à mourir dans l’équipe en charge du patient au moment de la demande et d’en définir les modalités de réception, de discussion et d’élaborer un document émergeant de ce débat susceptible d’être fourni à des tiers selon les souhaits du patient.
- La demande d’aide à mourir doit être initialement formulée au sein de l’équipe ayant en charge le patient pour la pathologie à l’origine de l’engagement du pronostic vital.
- La demande est reçue par l’équipe
- Elle donne lieu à la création d’un collège comprenant au moins un médecin en charge, le médecin traitant, la personne de confiance et deux autres soignants choisis par le patient.
- D’autres personnes peuvent être invitées dans ce collège par le patient.
- Le collège formé est déposé dans le DMP du patient.
- Le collège se réunit selon un protocole à définir pour offrir au patient une large discussion de ses motivations, craintes et attentes. Les conclusions de ses travaux sont déposées dans le DMP.
- Les travaux du collège sont supervisés. (cf infra).
- Aucune clause de conscience ne peut dispenser un soignant de la réception de la demande d’un patient.
En procédant de la sorte, on respecte les relations du patient à ses soignants, on lui permet d’examiner sa demande collégialement, d’en exprimer les motifs et de murir sa demande. On évite ainsi un scénario « catastrophe » (cf infra) qui semble bien être celui promu par le projet.
Contrôle :
Un autre point particulièrement choquant de ce projet de loi est l’absence de tout contrôle a priori du processus. Dans sa forme la plus frustre, il repose sur la bonne foi de deux médecins (probablement acquis à la cause de l’euthanasie). La réalité des souffrances réfractaires est impossible à reconstituer après le décès du patient et la loi écarte de principe toute plainte émanant d’un tiers ou d’une famille. Cette commission de contrôle a posteriori est ainsi privée d’emblée de tout réel pouvoir d’examen (il n’est même pas stipulé qu’elle pourra entendre des proches !) et semble une simple chambre d’enregistrement à peine apte à débusquer d’authentiques meurtres crapuleux. Certes, c’est le choix qu’ont fait la plupart des autres pays ayant mis en place des aides à mourir, probablement pour les mêmes raisons : éviter toute contestation a posteriori.
Il convient ici de séparer deux choses bien distinctement : une commission de contrôle et une supervision. Une commission de contrôle a posteriori a une valeur régalienne, statistique, légale et de surveillance de l’usage de la loi. Elle est légitime et relève de l’administratif. Il conviendrait seulement d’étendre ses prérogatives d’investigation :
– La commission de contrôle doit écouter toute personne susceptible d’éclairer la recherche de la conformité d’une procédure d’aide à mourir.
La supervision est assimilable au « deuxième médecin » consulté. Dans le projet tel qu’il existe, rien n’empêche deux médecins acquis à la cause de l’euthanasie de se charger mutuellement du rôle de « deuxième médecin » (cf infra). Les équipes de soins étant, comme tout groupe d’humains, susceptibles d’emprise émotionnelle, il convient d’adjoindre une vision extérieure aux travaux du collège qui n’en validera pas les conclusions mais les moyens de les atteindre :
- Le collège ainsi formé reçoit l’aide d’un superviseur.
- Les superviseurs sont nommés par les ARS sur une liste de praticiens rompus aux gestions de fin de vie. Ils n’ont aucun lien avec le patient et aucun lien hiérarchique avec l’équipe.
- Le superviseur prend connaissance des travaux du collège, rencontre le patient et toute personne qu’il souhaite consulter.
- Il rend un avis sur la conformité, l’exhaustivité, la sincérité, la liberté des débats, confirme les éléments d’information donnés au patient.
- Il ne valide pas ou n’invalide pas les conclusions du collège.
La présence d’un superviseur permet un contrôle a priori, évite le « deuxième » praticien. La décision n’est pas « validée » par lui mais seulement le processus de décision. La décision, elle-même, revient au collège initié par le patient. Le patient garde la main sur la décision :
- Le patient qui n’est pas satisfait de la décision de son collège peut secondairement se diriger vers une autre équipe de soins.
- La deuxième équipe devra prendre connaissance de l’intégralité des attendus de tout collège antérieur.
- Un nouveau superviseur est nommé.
Il ne s’agit pas ici de tenter de diminuer le nombre de demandes d’aide à mourir ou de les empêcher d’une manière ou d’une autre ; il s’agit simplement d’offrir au patient qui fait cette demande radicale, le sérieux d’un large examen de sa demande, le confort d’un accord de ses concitoyens, d’éviter des décisions prises dans la panique, dans la solitude par effet de posture ou d’influence. La clause de conscience ne doit concerner que la participation à la délivrance du poison :
- Si un collège valide la demande d’aide à mourir d’un patient et que le superviseur valide le déroulé de la procédure, toute personne membre du collège peut faire jouer alors la clause de conscience uniquement sur sa participation pratique à la délivrance du poison.
- L’établissement doit alors nommer un praticien (médecin ou infirmier) qui acceptera d’assister le patient dans son acte.
- Le praticien nommé donne son accord de participation après consultation des travaux du collège et rencontre avec le patient.
Proches du patient
Dans son interview initiale le chef de l’État avait précisé : « De même, les membres de la famille qui peuvent avoir intérêt à agir pourront faire recours à la demande ». Cette disposition a disparu du projet de loi. Il ne parait pas évident d’autoriser une famille à s’immiscer dans le processus contre l’avis du patient ce qui serait contraire au principe d’autonomie. En revanche, les proches peuvent faire partie du collège si le patient le souhaite et devraient pouvoir demander à être entendus de la commission de contrôle a posteriori s’ils ont des soupçons que la décision de leur proche a été mal encadrée et mal informée. Tous les guides de bonnes pratiques incluent l’information des familles et la prise en charge de leurs difficultés. L’environnement humain des patients est inclus dans toutes les définitions de la « globalité ». La perte d’un proche via une aide à mourir est sans aucun doute une difficulté majeure de vie qui se doit d’être accompagnée dans toute volonté de prise en charge globale. Elle est totalement ignorée par ce projet de loi et même explicitement rejetée :
- La phrase suivante : « le présent projet de loi n’autorise pas les proches ou des associations à contester les décisions autorisant un accès à une aide à mourir » doit être supprimée ou modifiée vers la possibilité de demande d’éclaircissement au moins a posteriori.
Directives anticipées et patients inconscients :
L’absence de possibilité de réaliser une aide à mourir pour un patient inconscient qui a anticipé la survenue d’une perte de conscience (maladies neurologiques, suite de traumatismes) par des directives anticipées est discutable. Elle peut entrainer des effets pervers et en particulier une anticipation d’une demande d’aide à mourir pour pallier l’impossibilité de l’obtenir en état d’inconscience. Par exemple, un patient victime de tumeurs cérébrales pourrait juger opportun de demander une aide à mourir rapidement puisqu’il sait qu’il n’y aura plus droit quand il plongera dans l’inconscience. Des amendements devraient éventuellement être proposés dans ce sens. Bien sûr cela ne pourrait se faire que pour des demandes d’aide à mourir modifiées par les amendements proposés plus haut :
- Une aide à mourir est envisageable envers un patient inconscient si elle a été discutée par son collège auparavant et clairement reportée dans l’éventualité d’une évolution vers une perte de conscience.
Vers des « cliniques de la mort » ?
Sur les trois associations qui militent pour la légalisation de l’euthanasie, deux récusent tout avis médical autorisant le geste et estiment que toute envie de mourir émanant d’une personne en claire possession de ses moyens psychiques doit recevoir une aide adéquate de l’État. L’autre, principale et historique, (l’ADMD) accepte du bout des lèvres le contrôle médical et les conditions de maladies mortelles à court ou moyen terme mais entend privilégier avant tout la liberté du sujet dans son envie de mourir. Dès lors toute exigence de débat, de justification, de négociation lui apparait liberticide. Selon elle, rien ne doit venir « compliquer » l’exercice de la liberté du citoyen puisqu’à ses yeux l’exercice de cette liberté n’engage que lui et n’a aucun effet sur ses concitoyens. Ce qui est évidemment faux et relève d’une pensée ultra-libérale.
Le projet de loi comble quasiment tous les souhaits de cette association et y ajoute la prime inespérée de la paralysie du corps médical par une clause de conscience qui s’apparente à une clause de surdité. Il est ainsi permis de penser que cette loi va encourager des initiatives privées (cliniques) où les associations militantes vont intervenir avec des médecins acquis à leur cause. On peut craindre aussi que ces associations obtiennent des financements pour des « maisons d’accompagnement » tant ce concept reste flou. Les sites internet ou des campagnes de presse orienteront les patients vers ces cliniques.
Le protocole de la loi y sera sans doute respecté à la lettre et il ne sera procédé qu’à l’examen des conditions d’éligibilité objectives (âge, nationalité, pathologie évoluée), les subjectives (symptômes réfractaires) relevant de la simple appréciation des médecins et étant impossibles à contrôler post-mortem (On a vu que le projet prévoyait une quasi-paralysie des contrôles a posteriori sur le fond). Le projet prévoit que des honoraires ne pourront pas être libres, ce qui est une bonne chose, mais ne dit rien des prestations annexes fournies par les établissements qui accueilleront les patients. Sera ainsi réalisée la « mort à la carte » évoquée par l’ADMD depuis 30 ans dans son « texte fondateur ».
Ces initiatives privées seront d’autant plus encouragées qu’il est probable que la plupart des lieux publics se désengagent massivement via la clause de conscience qui autorise à ne même pas recevoir les demandes d’aide à mourir (cf supra). Les forces opposées à l’aide à mourir laisseront ainsi le champ libre à des initiatives privées qui militent depuis des années pour une euthanasie avec le moins de conditions médicales possibles.
Ces associations vont certainement poursuivre leurs demandes (elles le font déjà) pour étendre l’aide à mourir aux mineurs, aux patients psychiatriques, aux prisons et bien évidemment aux patients inconscients ayant rédigé des directives anticipées précises (cf. supra). Certes, il n’est pas exclu que soit alors offert au patient une large discussion autour de ses angoisses et attentes, qu’un dialogue productif s’installe et qu’un humanisme éthique préside à l’examen de cette demande. Mais rien ne l’exige non plus. Il reste tout-à-fait possible de s’en tenir au respect strict de la lettre de la loi qui tient finalement à deux conditions médicales : la preuve de la présence d’une maladie au pronostic mortel à moyen terme et des symptômes jugés réfractaires.
Scénario probable.
Il faut garder en mémoire que les associations qui militent pour l’euthanasie, estiment que la Liberté prime sur toute autre considération, que le citoyen est réputé faire ses choix librement et que toute négociation autour de ce choix est une atteinte à la Liberté. Les médecins qui adhèrent à ces vues bénéficieront d’un champ libéré par la démission autorisée des médecins qui se récuseront à la simple évocation d’une demande d’aide à mourir. Dès lors, le scénario suivant est non seulement possible mais probable.
Un patient souffrant de douleurs osseuses très fortes depuis quelques semaines bénéficie finalement d’une IRM qui révèle des métastases osseuses et un cancer x généralisé. Les médecins consultés informent le patient de son diagnostic et pronostic et de l’impossibilité de traitement à visée curatrice. Ils prescrivent des morphiniques au patient et l’inscrivent dans un parcours de prise en charge palliative. Bouleversé par le diagnostic et le pronostic, le patient décide d’opter pour une aide à mourir. Il consulte le lundi matin un médecin d’une clinique connue pour ses prestations d’aide à mourir muni de son dossier médical. Il dit que rien n’a soulagé ses douleurs depuis 15 jours et que la morphine prescrite n’a pas eu l’effet escompté. Le médecin lui propose de rencontrer un autre médecin l’après-midi même. Les deux médecins l’informent de son éligibilité à l’aide à mourir le mardi matin. Le patient ne souhaite pas avertir ses proches. Il décide d’organiser sa fin de vie pour le jeudi dans la même clinique. Après les deux jours de réflexion prévus par la loi, il avale le poison le jeudi et décède dans les minutes qui suivent.
Ce scénario d’allure extrême est parfaitement plausible ainsi qu’une multitude d’autres moins caricaturaux mais éthiquement tout aussi choquants. Les élus qui vont voter cette loi doivent prendre conscience qu’en l’état, ce projet autorise et même encourage ce type de scénario.