© Michel Limousin

La situation de la santé en Grèce : état des lieux et perspectives du service public en 2025

Télécharger l'article

Résumé :
L’auteur présente la situation dégradée du système public de santé grec : les inégalités territoriales et sociales augmentent, la privatisation est croissante et le système privé de santé inégalitaire se développe malgré les mobilisations et résistances des soignants. La santé se dégrade sérieusement. Ce sont les effets de la politique d’austérité.

Abstract :
The author presents the deteriorating situation of the Greek public health system: territorial and social inequalities are increasing, privatization is growing, and the unequal private health system is expanding despite the mobilizations and resistance of caregivers. Health is seriously deteriorating. These are the effects of austerity policies.

La dégradation du système public de soins dans un pays touche essentiellement les groupes défavorisés, mais pas seulement : dans le monde contemporain, le système public de santé est le pilier de la médecine, et sa dégradation entraîne celle des soins médicaux dans leur ensemble.

Depuis plus de quinze ans, la Grèce traverse une crise multiforme qui a profondément marqué son système de santé. Après la crise financière de 2009 et les politiques d’austérité imposées par l’Union européenne, le budget et les infrastructures hospitalières publiques ont subi des coupes drastiques. La pandémie de COVID-19 a ensuite révélé, de façon dramatique, les fragilités accumulées. Aujourd’hui, alors que la croissance économique est vantée par les gouvernements successifs, les conditions de travail des soignants demeurent précaires et l’accès équitable aux soins reste loin d’être garanti pour l’ensemble de la population.

Dégradation du système public de santé

Depuis 2010, la Grèce connaît une détérioration rapide de son système de santé public, aggravée par la pandémie de COVID-19. Les plans d’austérité ont réduit budgets et effectifs, provoquant pénuries et précarisation du personnel. Le pays dispose de plus de 5 médecins pour 1 000 habitants (chiffre surestimé), mais d’un des taux d’infirmiers les plus faibles d’Europe, bien en dessous de la moyenne OCDE de 9,2. La capacité hospitalière est limitée à 4,2 lits pour 1 000 habitants. 

En 2022, 16,7 % des Grecs avaient des besoins médicaux non satisfaits (contre 3,3 % pour la moyenne de l’UE), taux porté à 21 % en 2023, et jusqu’à 28,8 % chez les plus pauvres. Entre 2010 et 2017, l’austérité aurait entraîné plus de 10 000 décès infantiles supplémentaires. 

Malgré cette dégradation, une niche subsiste : la mesure de gratuité des soins hospitaliers pour les personnes non assurées. Cette initiative, votée en 2015 par le premier gouvernement Syriza suite à l’action de parlementaires de l’aile gauche, perdure aujourd’hui avec le soutien de différents groupes d’opposition de gauche, notamment Unité Populaire. Cette mesure demeure la seule protection universelle garantissant un accès aux soins à tous, indépendamment du statut d’assurance. Cependant, elle est évidemment menacée en permanence par les tentatives du gouvernement de la faire disparaître.

Les conséquences de la dégradation restent néanmoins graves : accès réduit aux soins, retards et incidents graves, burn-out massif du personnel médical et départs massifs de soignants vers le privé ou l’étranger. Sans revalorisation, renforcement des soins primaires et coordination européenne, la crise restera structurelle et ses effets humains tragiques.

Inégalités territoriales et sociales

La situation est encore plus critique en dehors des grands centres urbains. Dans les zones rurales ou insulaires, de nombreux centres de santé fonctionnent avec un seul médecin généraliste, sans infirmière ni matériel adapté. Le transfert des patients vers Athènes ou Thessalonique devient souvent inévitable, au prix d’un coût humain et financier considérable. 

À cela s’ajoute la fracture sociale. Alors que le système public est sous pression, ceux qui en ont les moyens se tournent vers le privé, créant une santé à deux vitesses. L’explosion des assurances privées et la multiplication des cliniques témoignent de cette dérive. 

Privatisation croissante et système privé de santé

Depuis la crise de 2009, le système privé de santé grec a connu une croissance exponentielle. Aujourd’hui, il est largement dominé par 2 à 3 grands groupes hospitaliers, concentrant cliniques et laboratoires privés dans les grandes villes et zones touristiques. Ces établissements offrent des soins rapides et confortables, mais à des tarifs exorbitants, souvent inaccessibles pour les classes moyennes et défavorisées. 

Pour illustrer : un point de suture peut coûter 30 euros, tandis que les examens paracliniques (analyses, imageries médicales) sont proposés à des tarifs au moins trois fois supérieurs à ceux reconnus par la Sécurité sociale française pour les mêmes actes. Ces coûts élevés accentuent la fracture sociale et transforment l’accès aux soins en un privilège pour ceux qui peuvent payer, tout en détournant des fonds et du personnel du service public.

Initiatives gouvernementales et critique des «interventions chirurgicales de l’après-midi»

Le ministère de la Santé a mis en place les « interventions chirurgicales de l’après-midi » pour fluidifier les listes d’attente et offrir aux professionnels de santé la possibilité de percevoir un revenu complémentaire. Officiellement, il s’agit d’une mesure volontaire destinée à décongestionner les hôpitaux.

Cependant, dans les faits, seules les personnes en mesure de payer peuvent réellement accéder à ces interventions, introduisant un accès à deux vitesses dans un système qui devrait rester universel. Pour attirer les patients et détourner l’attention de l’opinion publique, le ministre a proposé d’effectuer un certain nombre d’actes gratuitement, en utilisant des fonds européens. Cette soi-disant gratuité n’est qu’un cache-misère provisoire, destiné à contourner les critiques des syndicats, des soignants et des agents hospitaliers. 

Ainsi, loin de résoudre les problèmes structurels — manque de personnel, infrastructures vétustes, inégalités territoriales — cette initiative risque d’accentuer la fracture sociale et de transformer l’hôpital public en un espace partiellement marchand. La critique est forte : ces mesures sont avant tout des opérations masquées de privatisation du service public de soins.

 Mobilisations et résistances des soignants

Au cours des cinq dernières années, les soignants en Grèce ont mené des mobilisations multiples, héroïques et très fortes pour dénoncer la dégradation du système de santé public et revendiquer de meilleures conditions de travail.

 – En 2023, une grève générale impliquant médecins et infirmières a eu lieu pour protester contre les conditions de travail et les politiques publiques de santé. Des manifestations de masse ont eu lieu à travers le pays, illustrant la détermination des soignants à défendre leur profession et à attirer l’attention sur la crise du système de santé. 
– En 2024, les syndicats de la fonction publique ont organisé une grève générale le 5 décembre, avec une participation significative des personnels hospitaliers. Cette mobilisation visait à dénoncer les insuffisances budgétaires et les conditions de travail précaires dans les hôpitaux publics.

 Ces actions témoignent de la résilience et de l’engagement des soignants grecs face à une situation de plus en plus difficile. Malgré leur héroïsme, le gouvernement reste sourd à leurs revendications, laissant le secteur hospitalier public dans une situation critique.

Les soignants en première ligne

Le personnel hospitalier subit une pression constante et quotidienne : salaires stagnants, heures supplémentaires non payées, manque de repos, et conditions de travail souvent dangereuses et épuisantes. L’intensité des tâches, la surcharge des services, les listes d’attente interminables et la pénurie de matériel médical contribuent à un épuisement professionnel permanent.

 Le burn-out touche désormais une grande majorité des soignants, entraînant une souffrance au travail manifeste, fatigue chronique, stress psychologique intense et sentiment d’impuissance face aux besoins des patients. Cette situation conduit de nombreux médecins, infirmiers et aides-soignants à abandonner le service public, soit pour se tourner vers le secteur privé, soit pour émigrer à l’étranger à la recherche de meilleures conditions de travail et d’un cadre professionnel plus humain.

 Ainsi, la dégradation du système public ne se traduit pas seulement par des carences matérielles ou logistiques, mais par une véritable crise humaine, où la perte de personnel qualifié fragilise encore davantage les hôpitaux publics et accentue la pression sur ceux qui restent en poste.

Quelles perspectives ?

Le gouvernement actuel promet un « plan de modernisation », mais celui-ci repose encore largement sur des partenariats public-privé. Cela risque d’accentuer la dépendance au secteur privé et de détourner des fonds publics vers des logiques marchandes.

 Conclusion

Le système de santé grec se trouve aujourd’hui à la croisée des chemins. La population, marquée par une décennie d’austérité et par les épreuves de la pandémie, exprime une demande claire : un service public fort, accessible à tous, sans exclusion. La reconstruction d’un véritable service national de santé n’est pas seulement une question technique ou budgétaire ; c’est un choix de société. Restaurer la dignité des soignants et garantir le droit à la santé pour l’ensemble des citoyens constitue un impératif démocratique et humaniste.

Cependant, l’absence d’efficacité des luttes syndicales, populaires et citoyennes pour la santé est le résultat direct du manque actuel d’alternatives politiques pour la Grèce. Les partis présents dans le Parlement ne font, en réalité, qu’un semblant d’opposition, en s’alignant à plusieurs reprises sur les positions du gouvernement, ce qui fragilise toute perspective de réforme réelle et de protection durable du système public de santé. À l’exception du parti Communiste de Grèce, KKE, qui reste toutefois une niche d’opposition isolée, sans réelle possibilité d’influencer les politiques gouvernementales ni de revendiquer le gouvernement ou le pouvoir, car refusant toute coopération avec d’autres forces. Le reste des forces de gauche aujourd’hui se trouve hors parlement, formant une galaxie de groupuscules. Ce sont des forces émiettées, peinant à peine à articuler une parole commune, encore moins un programme de gouvernance.
Le devoir de défense du système public de soins retombe donc sur la base populaire, les syndicats de base, les collectifs citoyens, ainsi que sur les intellectuels et universitaires de gauche, contraints de mener une lutte incessante dans le cadre d’un rapport de force très défavorable.