©Usman Yousaf (Unsplash)

Quelques réflexions sur les rapports entre maladie et handicap dans le champ de la Santé Mentale

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Résumé :
L’auteur propose ici des réflexions tirées de sa longue expérience. Le handicap n’est pas forcément en rapport avec une maladie. Un statut fondé sur la norme ou sur la personne est un choix politique ! Et l’anormal n’est pas forcément pathologique. Deux écueils sont à éviter la pathologisation à outrance et la négation de la pathologie.

Abstract :
The author offers here some reflections drawn from his extensive experience. Disability is not necessarily related to an illness. A status based on the norm or the individual is a political choice! And the abnormal is not necessarily pathological. Two pitfalls to avoid are excessive pathologization and the denial of pathology.

Avertissement: Je vous livre quelques fragments de réflexion, non aboutis, mais qui posent certains axes et des pistes de discussion, voire de dispute constructive, pour une réflexion collective. Elles sont le résultat d’un travail de plusieurs années fondé sur un certain nombre de mes expériences cliniques, de lectures et de discussions sur ces sujets.

Deux angles d’approche d’une même personne

En préambule, je rappelle que le fait d’être handicapé et celui d’être malade correspondent à deux approches différentes de l’état d’une personne.

Ces deux statuts peuvent concerner une même personne, comme on peut être l’un sans être l’autre.

L’un se situe du point de vue social et vise à compenser l’incapacité pour la personne d’avoir la même autonomie sociale que les personnes dites normales. Cette compensation peut se faire sous forme d’une allocation financière, de priorités ou d’adaptations de l’espace public pour en faciliter l’accès.

L’autre se situe du point de vue de la souffrance et des causes que l’on peut soigner pour atténuer la souffrance, voire tendre à guérir. Il se situe donc du côté du soin, y compris de réhabilitation. Le soin étant à considérer dans ses deux dimensions. Celle du « cure », du soin curatif et celle du « care », du prendre soin.

Le handicap n’est pas forcément en rapport avec une maladie.

Ainsi, une personne qui nait avec une malformation congénitale qui entraîne un handicap moteur, mais que l’on ne peut opérer, sera reconnue comme handicapée, mais pas comme malade. Par contre si la même personne, du fait de son handicap va développer très jeune des complexes, il faudra dans ce cas lui proposer une psychothérapie de soutien afin d’éviter que ces complexes ne se transforment en troubles psychiatriques. On voit bien que le problème n’est pas le handicap en soi, mais le rapport qu’à le sujet avec celui-ci.

Un statut fondé sur la norme ou sur la personne : un choix politique !

Qu’il s’agisse du statut de malade ou d’handicapé, notre société a tendance à se baser sur un écart à des normes prédéfinies sans forcément tenir compte de la singularité de chaque situation. C’est ce présupposé qu’il nous faut interroger pour le remettre en cause dans le cadre d’une visée communiste de la société. C’est la conception même de l’humain dans notre société qui est en jeu.

L’anormal n’est pas forcément pathologique.

Comme nous l’a démontré Canguilhem[1], ce qui est anormal n’est pas forcément pathologique. En fait c’est le rapport qu’a le sujet avec son écart à la norme qui va permettre de définir s’il s’agit réellement d’une pathologie ou pas.

Comme toute règle, celle-ci a ses exceptions. En psychiatrie lorsque la personne présente un danger immédiat (immédiat et non potentiel !) pour elle-même ou pour autrui, en soins somatiques lorsqu’un pronostic vital est engagé.

Ainsi, une personne d’un certain âge qui explique, ravie, à une amie que depuis qu’elle est revenue de Lourdes, la Sainte Vierge vient la voir tous les soirs. C’est certes anormal et même un peu délirant. Mais à partir du moment que ces voix ne la persécutent pas, qu’elles ne lui ordonnent pas de faire des choses qui pourrait lui nuire ou nuire à son entourage, au nom de quoi la société l’obligerait à prendre des anti-psychotiques pour faire taire ces voix qui visiblement lui font du bien ? Pourtant ? il est fort possible que si elle en parle à son généraliste, celui-ci l’adresse à un psychiatre ou lui prescrive des psychotropes.

Les normes sont changeantes

Cette question est d’autant plus importante que la norme est fluctuante suivant les périodes et l’évolution des mœurs. Ainsi ce n’est qu’à la fin des années 70 que l’homosexualité n’a plus été considérée par la psychiatrie comme une perversité sexuelle. Actuellement, ce sont surtout les labos qui font bouger le curseur de la norme en élargissant le nombre de personnes considérées comme malades.

Ainsi considérait-on comme pathologique à priori les personnes présentant un tableau dépressif ou maniaque sévère sous le diagnostic de PMD (Psychose Maniaco Dépressive). En passant de la PMD aux Troubles Bipolaires, on a considérablement augmenté le nombre de personnes malades nécessitant un traitement psychotrope.

La complexité biopsychosociale de la personne humaine

D’autre part, quelle que soit la pathologie, elle est toujours en lien avec notre réalité biopsychosociale complexe. C’est vrai en psychiatrie comme en soins somatiques. Dès la vie fœtale, notre individualité se construit en fonction de notre patrimoine génétique en interaction au milieu qui l’entoure, que ce soit de manière agréable où désagréable. Et dès ce moment l’individu va mémoriser ces sensations et la manière dont il a réagi ce qui va structurer son psychisme et donc son inconscient. Ce mécanisme de construction de notre individualité au travers des interactions entre notre réalité biologique, notre psychisme et le milieu social (relations et conditions) va continuer tout au long de la vie, même si l’évolution se cristallise sur certains modes d’être et une tendance à reproduire les mêmes mécanismes dans les mêmes conditions.

La négation de la réalité biopsychosociale

Si en MCO (médecine / chirurgie / obstétrique) elle est ignorée dans les communications et les protocoles de bonnes pratiques, elle est reconnue implicitement dans la clinique lorsque l’on prend en compte la singularité du patient et qu’on ne se contente pas d’appliquer le protocole standardisé de soins, de même dans la recherche au travers de la reconnaissance de l’effet placebo.

En psychiatrie, depuis les années 90, cette approche est clairement combattue par la logique du libéralisme dominant. Pour justifier l’arrêt de la continuité des soins même pour les patients stabilisés, on a considéré que la psychogenèse, fondée sur l’inconscient et la sociogenèse, fondée sur l’aliénation sociale, n’existent pas. Seule la biogenèse serait valide. La maladie étant réduite à des dysfonctionnements neuronaux qu’il s’agit de corriger. Il ne sert donc à rien de vouloir prendre en compte l’histoire et le ressenti de la personne. La mission de la psychiatrie consiste désormais à traiter des symptômes pour normaliser les comportements et les populations.

On s’est appuyé sur une manipulation caricaturale des neurosciences, pour le justifier scientifiquement. Et surtout sur un enseignement ne prenant en compte que cette dimension biologique de la personne. Du fait du recul du marxisme dans les années 90 la sociogenèse n’était plus enseignée depuis longtemps. Celui de la psychanalyse a été fortement attaqué depuis les années 2000, il a disparu de l’enseignement médical et est interdit dans de nombreuses facs de psychologie.

Individuation vs normalisation

Il s’agit donc de toujours considérer la situation de la personne dans sa singularité et non dans un objectif de normalisation. Ce qui est à contre-courant de deux phénomènes de notre société actuelle.

  • La tendance à la standardisation et à l’industrialisation des soins, qui par essence ne prend pas en compte la singularité de chaque cas.
  • La demande sociale de normalisation, même pour les personnes jugées « anormales » qui revendiquent un statut leur permettant d’être dans une case, par exemple la « revendication » des parents d’un diagnostic d’HPI ou d’hyperactivité pour leur enfant. Cette étiquette brandie comme un étendard est censée éviter toute question. D’autant plus si on considère que cette pathologie est strictement biogénétique, il n’y a pas à s’interroger sur l’environnement social ni sur l’évolution psychique de la personne. Ce besoin d’être dans une case peut même aller jusqu’au refus et à la négation d’une dimension pathologique en lien avec le handicap. C’est le cas actuellement de l’autisme qui ne serait qu’un handicap dû à une causalité génétique sans aucun lien avec une maladie.

Concernant ce besoin de diagnostic afin d’être dans une case pour ne pas être stigmatisé, je pense que nous devrions plutôt reprendre le terme de Demorand (chroniqueur sur France Inter) qui vient de révéler qu’il souffre de psychose maniaco-dépressive et qui ne revendique pas son diagnostic, mais demande le droit à la banalité. Dans le cas de l’autisme cela s’appuie sur la reconnaissance du syndrome d’Asperger qui est une forme nettement atténuée de l’autisme et qui jusqu’aux années 2010 n’était que rarement diagnostiqué. Les personnes présentant un Asperger étaient plutôt considérés comme ayant des bizarreries et non une maladie. Ce qui a fait passer l’autisme de moins de 1/10 000 / hab à 3/100 / hab !

Deux écueils à éviter la pathologisation à outrance et la négation de la pathologie

Si la question est celle du rapport de la personne à son « anormalité » cela vient mettre en exergue deux types de problèmes lorsque l’on ne tient pas compte de ce facteur essentiel.

  • Un risque de pathologisation à outrance et dans notre champ de la psychiatrisation des personnes. Risque d’autant plus important dans notre société de la norme, qui a en plus tendance à modifier le curseur élargissant considérablement le nombre de « patients » qui vont devoir prendre un traitement psychotrope. C’est le cas avec la PMD qui est devenue les troubles bipolaires, permettant de multiplier le nombre de personnes sous anti dépresseurs à vie, alors que l’on sait que seuls certains antidépresseurs sont efficaces et à condition qu’ils soient délivrés sur une durée limitée et en association avec une psychothérapie. Mais pour l’HAS la bonne pratique c’est l’antidépresseur.
  • Un risque de négation de la dimension pathologique chez certaines personnes. C’est le cas des autismes sévères qui ne seraient que des handicaps à cause exclusivement biologique et ne nécessiteraient pas de soins prenant en compte la sociogenèse et la psychogenèse. Ce qui justifie l’exclusion de ces personnes d’un suivi en psychiatrie de Secteur notamment en pédopsychiatrie. Et lorsque c’est associé à une « inclusion » généralisée sans moyens adaptés individuellement en nombre et en qualité, cela se traduit par la fermeture de structures du médicosocial et l’enferment au domicile de certaines de ces personnes parce que inadéquates et incasables.

Encore une fois ces phénomènes résultent d’une approche normalisatrice et non de la prise en compte de la singularité de chaque situation.

L’autisme : révélateur de notre rapport passionné à l’anormalité

Une reconnaissance nosographique récente

C’est un psychanalyste qui le premier à défini l’autisme comme une entité nosographique distincte de la psychose infantile. L’autisme recouvrait essentiellement des cas très graves de repli n’interagissant pas avec les autres, n’accrochant pas le regard, ayant peu accès au langage, avec un fort déficit cognitif et caractérisé par des angoisses massives provoquant des réactions auto ou hétéro-agressives fortes. Mais il pouvait aussi concerner des personnes présentant des problématiques psycho-pathologiques avec une dimension « asociale » qui ne rentraient pas dans la nosographie classique. D’où la définition non d’un syndrome autistique, mais d’un spectre autistique.

Le syndrome d’Asperger nait de la sélection pour l’élimination des tarés[2]

Durant la 2ème Guerre Mondiale l’Allemagne nazie avait dans son plan T4 prévu d’organiser l’élimination de tous les tarés improductifs asociaux et les malades mentaux qui ont été envoyés dans des centres de mise à mort, dont l’hôpital du Steinhof de Vienne.

Parmi les médecins chargés de sélectionner les enfants à éliminer se trouvait le Dr Asperger. « … il chercha à distinguer son diagnostic de l’idée de Kanner plus connue d’« autisme infantile précoce » … les enfants qu’il étudiait étaient supérieurs… l’autisme infantile précoce de Kanner était un état quasi psychotique alors que les cas typiques d’Asperger étaient des enfants très intelligents avec une pensée extraordinairement originale et une grande spontanéité…  »[i][3]. Asperger s’attacha donc à dépister ces enfants d’intelligence supérieure, essentiellement technique et mathématique, afin de les épargner, considérant que leurs capacités pourraient servir utilement l’économie du Reich qui aurait besoin de techniciens et d’ingénieurs. Il est à noter toutefois que parmi les centaines d’enfants qu’il a dû sélectionner, il n’y a eu que des garçons qui ont bénéficié de ce diagnostic, toutes les filles ont été éliminées.

C’est dans les années 90 que ce diagnostic est réapparu aux USA. « … Le spectre de l’autisme exagère l’éventail des places possibles dans la société pour un enfant. A l’une des extrémités l’enfant atteint d’autisme risque de connaitre sa vie durant un grave handicap et l’isolement, tandis qu’à l’autre, il pourra s’adapter et être perçu comme ayant des compétences supérieures… »[4]

Un passif historique lourd avec la psychiatrie

Une épine dans le pied du Secteur

La mise en place du Secteur dans les années 60 a opéré le déplacement du centre de gravité des services de l’hôpital vers la Cité et l’ambulatoire. Les nouvelles méthodes thérapeutiques psychothérapiques et socio-thérapiques associées à l’arrivée des neuroleptiques ont permis de réduire considérablement le recours à l’hospitalisation en nombre et en durée. Mais les enfants souffrant d’autisme étaient une épine dans le pied du Secteur. Ils continuaient à remplir les unités d’hospitalisation des services de pédopsychiatrie et les services de « défectologie » où ils étaient relégués une fois devenus adultes. Ces services que Bonnafé appelait, en les dénonçant, les « culs de basse fosse de l’asile ».

Lorsqu’à partir de la fin des années 70 on a commencé à les orienter vers les MAS (Maison d’Accueil Spécialisé), la psychiatrie adulte s’est à la fois indignée parce qu’ils relevaient de la psychiatrie et non du médicosocial et en même temps elle était satisfaite d’être enfin débarrassée de ces chroniques incurables.

Le rejet des autistes et la culpabilisation des parents au nom de la psychanalyse

Puis, dans les années 90 on a fermé massivement les lits de pédopsychiatrie. Cela a obligé à les prendre en charge en ambulatoire (CMP, HDJ…). Ce qui a fortement dérangé certains psychiatres puisqu’ils ne pouvaient s’adapter aux modalités thérapeutiques de ces structures fortement orientée par la psychanalyse appliquée à la névrose.

Dans ces Secteurs, cela s’est traduit par une relégation dans certains groupes d’HDJ, voire une prise en charge minimum, sous prétexte qu’ils nécessitaient une prise en charge intensive mais dont on n’avait pas les moyens. Cela a pu aller jusqu’à un refus de prise en charge, l’enfant se retrouvant sans aucune prise en charge et déscolarisé puisque l’éducation nationale exigeait une prise en charge psychiatrique pour accepter de les accueillir. Il y avait ainsi en 2000 à Paris plus de 200 enfants déscolarisés sans soins !

Par ailleurs toujours au nom de la psychanalyse on a culpabilisé les parents. « Si votre enfant est dans cet état c’est de votre faute ! ». Du coup les parents au lieu de reconnaitre qu’ils souffraient également[U1]  et de les considérer comme des alliés, étaient considérés comme des adversaires qu’il fallait éloigner. Si cela pouvait s’appuyer sur les troubles de l’attachement précoce mère-enfant mis en évidence par F Dolto, celle-ci ne visait absolument pas à culpabiliser les parents, mais à les rassurer et les soutenir pour reconstruire ce lien. C’est dans ce sens qu’elle à développé les maisons vertes qui perdurent aujourd’hui au travers des LAEP (Lieux d’Accueil Enfant Parent). Cela a entrainé une blessure profonde et un ressentiment tenace vis-à-vis de la psychiatrie et surtout de la psychanalyse.

Une autre approche possible au nom de la psychanalyse

Il est important de préciser que ces psychanalystes considéraient que le psychotique n’est pas accessible au transfert et donc la psychanalyse ne permet pas de les prendre en charge. Ce qui s’oppose à la conception des psychiatres du mouvement de la Psychothérapie Institutionnelle qui ont développé les concepts de transfert dissocié, multi-référentiel, qui considèrent que le travail dans le transfert est essentiel dans la prise en charge de ces patients mais ne peut se faire que dans le cadre d’un collectif soignant. C’est cette approche qu’ont développé dans les années 70/80 des psychiatres tels que notre camarade Tony Lainé et à sa suite Pierre Delion.

La causalité enjeu politique

Une causalité purement biologique ?

L’idéologie dominante nous présente aujourd’hui l’autisme comme n’ayant qu’une cause biologique, un terrain génétique favorable associé à des perturbateurs endocriniens.

De ce fait il ne s’agirait plus d’une maladie, mais d’un handicap. Au même titre qu’une personne née sans membre. Il ne relève pas du soin mais éventuellement d’un travail de rééducation comportementale. Il ne relève donc plus de la psychiatrie mais éventuellement du social ou du médicosocial.

Vers la reconnaissance d’origines et de causalités multiples.

C’est ce qu’ont démontré le Pr Munich (généticien) et son équipe dès les années 90/2000. Si cette équipe a mis en évidence plusieurs gènes de l’autisme (il y en aurait bien d’autres à découvrir), il s’avère d’une part que tous les individus porteurs de ces gènes ne sont pas autistes et d’autres part que certains autistes ne sont porteurs d’aucun de ces gènes. Dans ce cas il semblerait plus scientifique de parler de terrain favorable plutôt que de causalité génétique. Ce qui est aujourd’hui reconnu sur Wikipédia, mais ce dernier ne reconnait comme facteur déclenchant que l’exposition de la mère à certaines substances, notamment des perturbateurs endocriniens. Pourtant, l’équipe du Pr Munich avec MC Laznik (psychanalyste) a participé à une méta-analyse sur le plan européen mettant en évidence au travers de films familiaux que lorsque la maman n’utilise pas la prosodie particulière qu’utilise spontanément chaque adulte lorsqu’il s’adresse à un nourrisson, le nourrisson n’accroche pas le regard et peu à peu se perd dans son monde. Je parle de maman parce que dans nos sociétés ce sont les mamans qui ont en charge l’essentiel du portage du nourrisson, mais si dans la famille c’est un papa qui s’occupe du nouveau-né, le phénomène sera pareil. Si à ce moment un autre adulte (le papa, un oncle une tante) prend le relais de la maman dans le portage quotidien, on voit progressivement le nourrisson revenir et commencer à accrocher le regard sans qu’il n’y ait parfois aucune séquelle et reprendre un développement psychomoteur normal. Tout dépend de la précocité de l’intervention. Durant ce travail il est absolument essentiel de rassurer la maman et de ne pas lui laisser croire qu’elle serait une mauvaise mère, mais au contraire la soutenir pour qu’elle puisse assumer totalement cette fonction le plus rapidement possible.

Les conditions sociales liées au confinement du Covid ont provoqué une explosion de décompensations psychiques graves, particulièrement celle des accès suicidaires chez les adolescents. Mais aussi l’explosion de cas d’autisme sévère chez les tout petits, qui ne peut s’expliquer par la seule génétique ou l’intoxication par des perturbateurs endocriniens.

Or, c’est un phénomène déjà observé auparavant, mais non étudié, dans certains LAEP de quartiers défavorisés chez des tout petits qui sont enfermés toute la journée avec la mère qui ne parlant pas la langue et ne connaissant personne ne sort pas de chez elle.

Ces trois exemples montrent bien la causalité multifactorielle complexe de l’autisme. Puisqu’on se rend compte qu’il n’y a pas que la dimension biologique qui est en cause mais aussi la dimension sociale dans l’interaction enfant parent et à partir du facteur temps la manière dont va s’organiser dès les premiers temps l’économie psychique de l’enfant. Puisqu’il va à chaque situation angoissante reproduire ce mécanisme de défense de retrait autistique et ce tout au long de la vie si on ne l’aide pas à acquérir d’autres moyens de se préserver de ces angoisses archaïques.

Inventer de nouvelles modalités de prise en charge multiples

Mais suivant que l’on considère qu’il ne s’agit que d’un handicap, ou qu’il peut s’agir d’un handicap associé à une maladie les moyens à mettre en œuvre ne sont pas les mêmes. Aujourd’hui la tendance est à la segmentation des prises en charges par différents acteurs opérant chacun dans son coin.

Si on part des besoins des patients dans une approche bio-psycho-sociale il faut en finir avec ces clivages et les querelles de chapelle qu’il induit pour travailler en complémentarité.

Dans ce travail en complémentarité l’équipe du Pr Munich vient encore une fois nous montrer que les meilleurs résultats sont obtenus lorsqu’un même enfant bénéficie en même temps de prises en charge individuelles et de groupe, de thérapies analytiques en même temps que d’activités TCC. Mais un élément semble essentiel dans cette complémentarité c’est que les différents professionnels ne sont pas seulement en complémentarité, c’est-à-dire que chacun sait que l’autre intervient également, mais coopèrent entre eux c’est-à-dire qu’ils parlent entre eux de ce qu’ils font, de ce qu’ils observent dans leurs interactions avec l’enfant et collaborent ensemble, c’est-à-dire qu’ils réfléchissent ensemble aux modalités de poursuite du travail de chacun en articulant les différentes expériences.

On voit là la différence entre un travail segmenté de plusieurs intervenants de champs différents qui ne se parlent pas et souvent se jalouses, avec un vrai travail collectif d’équipe où chacun respecte l’autre et apprend de l’autre.

Toutes les formes d’autisme ne sont pas comparables

Aujourd’hui lorsque l’on parle d’autisme on parle indifféremment des personnes souffrant d’autisme infantile précoce que celles souffrant d’un syndrome d’Asperger. Alors que la souffrance générée par ces deux formes d’autisme et le handicap ne sont en rien comparables. Ce qui est plus grave, c’est que du coup lorsque l’on parle d’autisme on évoque le cas des personnes Asperger, ce qui revient à nier la gravité des formes sévères.

Si concernant l’Asperger l’inclusion scolaire dans les conditions actuelles de l’éducation nationale est entendable et souhaitable, cela devient catastrophique et maltraitant concernant les personnes porteuses de formes sévères. D’ailleurs dans les faits ces enfants lorsqu’ils sont scolarisés ne peuvent rester du fait des crises que provoque le milieu scolaire jugé par eux trop hostile et que la seule présence d’une AVS ne peut suffire à calmer. Cela devient catastrophique et maltraitant si, au nom de l’inclusion, on a réduit les effectifs, voire fermé, l’institution spécialisée qui aurait du le prendre en charge de manière adaptée.

La revendication d’une identité différente des normaux-typiques

Il est tout à fait entendable que certaines personnes présentant un syndrome d’Asperger, ne se considèrent pas malades selon la définition de Canguilhem, mais puissent faire valoir la reconnaissance d’un handicap et des droits afférents. C’est que c’est une revendication parfaitement légitime de vouloir être accepté comme différent des normaux-typiques sans pour autant n’être réduit qu’à cette différence. C’est la nécessité de cette acceptation qui est popularisée dans le grand public par des séries telles que « Astrid et Raphaëlle ».


[1][1] Georges Canguilhem, Le normal et le pathologique, ed Quadrige

[2] Pour toute cette période voir : Edith Sheffer ; Les enfants d’Asperger le dossier noir des origines sur l’autisme ; ed Flammarion 2019

[3] Ibid p 311

[4] Ibid p 320

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Serge Klopp, Quelques réflexions sur les rapports entre maladie et handicap dans le champ de la santé mentale, Les Cahiers de santé publique et de protection sociale, N° 53 juin 2025.