© Photo de Michel Limousin. Henri Gauquié "L'humanité recueillant les victimes du travail"

Accidents de travail et maladies professionnelles : il faut les prendre en charge et les faire reculer.

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Résumé :
L’auteur pose les termes du débat idéologique et dresse un état des lieux. Les sommes drainées par les cotisations AT/MP sont convoitées par les employeurs. Officiellement ils demandent qu’elles soient réinvesties dans la prévention. Ils veulent surtout que la gestion leur soit confiée pour des aides directes pour des mises en conformité. Les obstacles et les freins pour améliorer l’état de santé des salariés et des travailleurs dans leur ensemble sont multiples. L’auteur fait ensuite une série de propositions.

Abstract :
The author sets the terms of the ideological debate and takes stock of the situation. The funds raised by AT/MP contributions are coveted by employers. Officially, they demand that they be reinvested in prevention. Above all, they want to be entrusted with management for direct assistance with compliance. There are multiple obstacles and barriers to improving the health of employees and workers as a whole. The author then makes a series of proposals.

La prise en charge des accidents du travail et des maladies professionnelles a toujours fait l’objet de mobilisations de la classe ouvrière. Pour éviter le recours aux tribunaux, avec la loi sur les accidents du travail de 1898, la prise en charge devient de type assurantiel (1920 pour les maladies professionnelles). En 1946 la gestion de la reconnaissance et de la réparation est attribuée à la sécurité sociale (caisse des AT/MP) à partir de tableaux élaborés hors de la sécurité sociale.

Par le biais de la cotisation et des taux modulés en fonction des AT/MP des entreprises ainsi que par les aides directes pour l’amélioration des conditions de travail, les CARSAT (Caisse d’Assurance Retraite et de la Santé au Travail, issues des caisses AT/MP). agissent sur la prévention. Les contrôleurs disposent aussi d’un pouvoir d’injonction (rarement utilisé).

Les débats idéologiques

Deux conceptions du risque de maladies liées au travail se confrontent depuis le début de l’industrialisation et continuent d’alimenter les controverses sur la responsabilité du travail dans l’apparition des maladies. Soit on considère que s’il existe un risque en dehors du travail, la responsabilité de l’employeur est partielle : soit on considère que ce qui est hors travail n’entre pas en considération pour établir la responsabilité de l’employeur (par exemple dans le cancer du poumon d’un travailleur de l’amiante, c’est l’amiante qui est tenue pour responsable même s’il est fumeur).

La première conception reprend actuellement de la vigueur. À partir de là l’ouvrier est responsable de son accident ou de son mauvais état de santé ! Les employeurs affichent depuis les débuts de l’industrie le déni du risque et de leur responsabilité. Ils font généralement l’impossible pour reporter la responsabilité sur le comportement des salariés.

État des lieux

Les chiffres cités concernent le régime général de la Sécurité sociale et ne sont donc que partiels. Sur 30,4 millions de personnes en emploi en 2023, seulement 19 millions dépendent du régime général.

– Accidents du travail

Pour le seul régime général il y a plus de 2 000 AT et plus de 2 morts/jour au travail. Près de 40 000 salariés auront des séquelles avec une incapacité permanente reconnue par la Sécurité sociale. Les conditions de travail sont dégradées avec des rythmes plus que soutenus, des effectifs structurellement insuffisants qui rendent toute entraide dans la réalisation des tâches impossible, l’individualisation imposée dans l’évaluation des performances, le turn-over généralisé et les réorganisations permanentes en vertu d’une idéologie qui soutient que l’instabilité favorise l’engagement des salariés. Tout cela forme le terreau des accidents du travail.

ll existe une sous-déclaration des AT de plusieurs origines. Certains accidents sont considérés comme bénins par les salariés et ne sont pas signalés à l’employeur. L’employeur peut aussi faire pression sur le salarié ou organiser la prise en charge directement. Ceci évite à l’entreprise de voir éventuellement son taux de cotisation augmenter. Un élément important concerne les décompensations psychiques suite à un traumatisme (altercation ou agression) qui sont rarement perçus somme des AT même par les salariés.

– Maladies professionnelles

Les maladies professionnelles indemnisables et donc inscrites sur un tableau sont loin de couvrir l’ensemble du spectre des atteintes à la santé provoquées par le travail. Ces tableaux sont établis par le Conseil d’orientation des conditions de travail. Cette instance « paritaire » comprend des représentants désignés des organisations syndicales de salariés, des organisations patronales mais également des représentants du ministère, de la Sécurité sociale et des experts (universitaires). La mise à jour et les nouveaux tableaux sont introduits par décret, la surveillance est confiée aux services de santé au travail et la gestion aux CARSAT.

Tout médecin qui juge qu’une maladie peut être d’origine professionnelle peut faire une déclaration de MCP. Le but était de faire évoluer les tableaux de MP mais cette procédure est méconnue des médecins du soin et peu utilisée par les médecins du travail. Ces déclarations aboutissaient chez les médecins inspecteurs régionaux de travail dont de nombreux postes ne sont plus pourvus. Il reste donc une grande majorité d’atteintes à la santé qui ne sont pas répertoriées. Il existe une 2e voie de reconnaissance des MP : le comité régional de reconnaissance des MP ou C2RMP. Il statue sur les maladies couvertes par un tableau mais pour lequel toutes les conditions ne sont pas réunies (environ 20 000 cas reconnus) ou pour des pathologies hors tableau (environ 9 000 avis dont 5 200 concernent des maladies psychiques)ii

Le nombre de cas de MP reconnues augmente avec 47 434 cas en 2023 relevant essentiellement des TMS (troubles musculo-squelettiques) mais aussi des cancers même s’ils sont insuffisamment reconnus dans les tableaux.

Les CARSAT se trouvent également en pénurie de médecin conseil, certains départements en étant totalement dépourvus. Les associations de défense des victimes du travail constatent des disparités dans les décisions des caisses ainsi que des C2RMP.

Une fois reconnue, la réparation financière n’est pas totale, elle est forfaitaire suivant une grille souvent moins intéressante que lors d’une mise en invalidité. Les sommes drainées par les cotisations AT/MP sont convoitées par les employeurs. Officiellement ils demandent qu’elles soient réinvesties dans la prévention. Ils veulent surtout que la gestion leur soit confiée pour des aides directes pour des mises en conformité.

Les obstacles et les freins pour améliorer l’état de santé des salariés et des travailleurs dans leur ensemble sont multiples. On constate une absence de volonté d’agir sur les causes de ces atteintes à la santé illustrée par l’absence de centralisation des données. La mainmise du patronat sur les organismes dits paritaires aboutit à détourner la surveillance en une aide à la mise en conformité des employeurs.

Les salariés sont isolés par les organisations du travail : l’intensification, l’individualisation empêchent les échanges pour construire une compréhension commune de la situation, seule à même d’agir. Ils sont maintenus dans l’ignorance des risques auxquels ils sont soumis et des possibilités d’action.

Les leviers d’action existent pour limiter les AT/MP !

Ces actions relèvent essentiellement des entreprises. En confortant le dialogue social, en reconnaissant l’expertise des salariés (qui s’était construite dans les CHSCT dont la suppression a été une régression importante), en donnant des moyens à la médecine du travail, à l’inspection du travail, il est possible de réduire la fréquence et la gravité des accidents du travail et maladies professionnelles. Les CARSAT peuvent agir sur les entreprises pour les inciter ou les contraindre à agir sur les conditions de travail et donc sur les AT et MP. Les CARSAT peuvent aider financièrement les entreprises à mettre en place des process plus sûrs.

Nos propositions :

– Il y a urgence à un recensement centralisé des maladies professionnelles et des AT permettant d’en faire une analyse pertinente pour mieux les prévenir.

– La rentabilité ne doit pas être un frein à la mise en œuvre des systèmes de prévention et de protection avec des sanctions alourdies contre les employeurs qui mettent en danger la santé.

– Les services de santé au travail doivent avoir les moyens d’exercer leurs missions sans pression, (éléments hors CARSAT) de même que les contrôleurs de la CARSAT.

– Les maladies professionnelles doivent être mieux reconnues : il faut faciliter la demande de reconnaissance en formant mieux les médecins dans ce domaine et en affirmant le rôle du médecin du travail dans cette procédure. Il faut redonner aux médecins conseil les moyens d’examiner les demandes de reconnaissance avec empathie. Les moyens de la CARSAT doivent être au service de la santé des salariés. Il faut faciliter la mise en place de nouveaux tableaux pour les MP en prenant en compte la réalité du travail, améliorer l’indemnisation des maladies professionnelles pour aller vers une réparation intégrale du préjudice.

La meilleure prise en charge des accidents ou maladies professionnelles reste de les éviter. La prévention exige d’agir sur les conditions de travail, de former, de lutter contre la précarité, de reconnaître aux salariés une expertise certaine sur leur poste et de leur donner la capacité d’intervenir sur les décisions dans l’entreprise ainsi que sur l’organisation du travail et de la production. Pour cela il est nécessaire de redonner tout son sens au travail et de redonner à l’entreprise sa fonction initiale de produire pour la société ce qui est nécessaire à son développement. C’est la voie de l’émancipation dans le travail et de l’efficacité économique et sociale.