Sénégal, démocratiser la gestion des ressources humaines en santé

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Résumé :
L’auteur, expert des questions de santé au Sénégal livre ici une réflexion sur l’organisation des services de santé et sociaux. Il propose une nouvelle organisation basée sur la compétence, les diplômes et qui ne soit plus aux mains des seuls médecins.

Abstract :
The author, an expert on health issues in Senegal, offers here a reflection on the organization of health and social services. It proposes a new organization based on skills and diplomas and which is no longer in the hands of doctors alone.

Il est souvent reproché au système sanitaire sénégalais un déficit chronique et permanent en ressources, aussi bien humaines, matérielles que financières. Pour la présente contribution, nous nous limiterons à la gestion des ressources humaines, en prenant prétexte des récentes nominations controversées au niveau du Ministère de la Santé et de l’Action sociale, qui ont suscité des protestations véhémentes du syndicat des médecins, pharmaciens et chirurgiens-dentistes (SAMES) et l’approbation d’autres syndicats, dans lesquels les agents paramédicaux prédominent.

Les nouvelles autorités ont promis la mise en place de l’appel à candidatures pour les postes stratégiques des secteurs public et parapublic. Dans le programme présidentiel, ils envisagent de moderniser de l’administration publique, en « rendant systématiques le concours et l’appel à candidature, pour tout recrutement dans la fonction publique ».

S’il y a un secteur, où cette disposition aurait eu toute sa pertinence, c’est bien celui de la Santé et de l’Action sociale, car la gestion démocratique du personnel n’y a jamais été une réalité, tout au moins, pour celle des cadres supérieurs de santé (et du secteur social), désignés, sans concertation formelle avec les partenaires sociaux, même si c’est toujours par note de service, arrêté ou décret. C’est donc dire qu’en attendant la matérialisation de cette judicieuse réforme, ce sont les anciennes traditions de gestion discrétionnaire de cette question importante et sensible, qui ont cours, sous l’œil bienveillant de divers groupes de pression.

Au Sénégal, l’atmosphère du secteur socio-sanitaire est polluée par des accusations itératives de « médicalisation » du secteur de la Santé comprise, ici, comme l’accaparement par le corps des médecins de la quasi-totalité des postes de directions. Qu’en est-il réellement ?

Une gestion archaïque des ressources humaines

  1. Au niveau des districts et régions

Il est vrai que les districts, qui, selon l’OMS, sont les unités opérationnelles par excellence du système socio-sanitaire, chargées d’activités de santé publique et de mise en œuvre opérationnelle du Programme National de Développement Sanitaire et Social (PNDSS), sont tous gérés par des médecins. Cela vient essentiellement du fait que la fonction de chef de district et celle (très orientée vers le curatif) de chef de centre de santé sont encore confondues. Les dissocier offrirait l’opportunité à d’autres cadres supérieurs de santé non médecins (docteurs en pharmacie, en chirurgie dentaire, en sciences infirmières ou obstétricales) d’occuper le poste de chef de district et même de région. Par ailleurs, les équipes – cadre des districts sanitaires et des directions régionales de santé incluent des techniciens supérieurs de santé, des assistants sociaux et même des agents paramédicaux expérimentés (IDE, SFE).

La plupart d’entre eux mériteraient d’être promus, car ils acquièrent non seulement de nouvelles compétences dans des problématiques diverses (formation, supervision, stewardship), mais aussi des diplômes (master, doctorat) dans les domaines les plus variés (gestion des programmes, administration des services de santé, épidémiologie…), sans compter l’expertise acquise sur le terrain.

  • Au niveau des hôpitaux

Par contre, la gestion de l’écrasante majorité des structures hospitalières échoit encore à des non-médecins, qui ne sont parfois même pas du secteur de la santé, mais qui ont acquis des diplômes d’administration des services de santé. Ces directeurs nommés par décret présidentiel constituent une sorte de « lobby administratif et financier » dans les structures sanitaires, dont certains membres, issus du monde politico-syndical, pensent devoir s’acquitter d’un devoir de gratitude envers l’Exécutif et leurs structures d’origine, au détriment parfois des normes de bonne gouvernance.

Cet état de fait est en contradiction flagrante avec la prétendue autonomie hospitalière, qui a permis, jusque-là aux ministres politiciens de vampiriser les structures hospitalières à leur profit, à travers des instances délibérantes ravalées au rang de caisses de résonnance. Les cadres supérieurs de santé sont réduits au rôle d’observateurs impuissants, confinés dans des commissions médicales d’établissement (CME) honorifiques, ayant peu de prise sur la réalité hospitalière. Il en est de même pour les agents paramédicaux, dont les commissions techniques d’établissement (CTE) ont un statut encore moins valorisé.

  • Au niveau de l’administration centrale

La nomination aux postes de direction du niveau central obéit à un faisceau de critères, dont aucun ne renvoie à une compétition saine et loyale ou en rapport avec le profil des postulants :

  • Critère politicien, pour récompenser les cadres de la majorité présidentielle, qui n’hésitent d’ailleurs pas, en cas d’alternance, à rejoindre la nouvelle majorité,
  • Critère académique, qui devrait poser le débat sur les plans de carrière des cadres de santé publique, par rapport aux universitaires, qui viennent occuper des postes – parfois en deçà leurs qualifications – , au niveau du Ministère,
  • Critère lié à l’appartenance à un groupe de pression syndical, associatif voire religieux…

En lien avec la gestion verticale du système sanitaire, à l’origine d’une foultitude de programmes, on note une profusion de jeunes cadres supérieurs (médecins, pour la plupart), au siège du Ministère en charge de la Santé, où certains d’entre eux n’ont même pas de bureau. En l’absence de coordination optimale, ces différents programmes, qui déroulent leurs plans d’action, dans un souci de réaliser, coûte que coûte, l’absorption des financements reçus, se télescopent aux niveaux régional et de district, jusqu’aux postes et cases de santé les plus reculés.

Nouvelles réalités du système sanitaire

Les exigences liées à la multi-sectorialité, mais aussi à la philosophie des soins de santé primaires, adoptée à Alma-Ata en 1978, commandent de réformer la gouvernance sanitaire et de faire la place aux nouveaux corps, voire aux nouveaux métiers, intervenant dans la Santé prise au sens large. En effet, partout dans le monde, la Santé est, de plus en plus caractérisée par une multiplicité d’intervenants, ayant des statuts et des employeurs différents, dont ceux provenant des communautés (agents et relais communautaires).

Dans ce contexte caractérisé par une complexité croissante, il faut en arriver à une organisation des acteurs, qui les pousse à se réinventer, pour s’adapter à plusieurs innovations technologiques en cours (génomique, numérique, liée à l’intelligence artificielle…), se déroulant en marge du système sanitaire, qui peine à se les approprier entièrement. Dans le même ordre d’idées, le secteur de la Santé a vu, en quelques décennies, un élargissement de son champ d’action aux sciences sociales, y compris à la participation communautaire et au travail social, à la digitalisation, à l’environnement, à l’économie, au droit, à la communication et même aux mathématiques (statistiques)…

Toutes ces considérations doivent induire un changement de paradigme dans la gestion des ressources humaines, laquelle devra reposer sur un socle démocratique, qui devra bannir le corporatisme étroit, mais surtout l’approche discrétionnaire, ouvrant la porte à des considérations extra-sanitaires voire à la complaisance et au népotisme.

Pour une gestion des ressources humaines basée sur des critères

Pour corriger les impairs dans la gestion des ressources humaines, il faut en revenir aux bonnes vieilles recettes, à savoir la représentation des professionnels de la Santé, à travers leurs syndicats, dans les réunions de redéploiement des personnels, à tous les niveaux et à l’appel à candidatures pour les postes de direction.

Il faudra également, en amont du processus de sélection des candidats, définir des critères minimaux, auxquels doit satisfaire tout postulant, parmi lesquels, outre le profil, l’expérience, le parcours professionnel, les diplômes requis pour le poste… Ces critères devront transcender la qualification professionnelle ou le corps d’origine, mais être fondé sur la hiérarchie et le niveau d’études, mais surtout sur les compétences requises pour satisfaire à la description de poste.

De manière pratique, nous pensons, qu’on peut envisager que des cadres de santé non médecins (pharmaciens, chirurgiens-dentistes, docteurs en sciences infirmières ou obstétricales) puissent occuper le poste de directeur régional de la Santé. Pour les autres cadres, acteurs de la Santé comme les anthropologues, les sociologues, les géographes, les travailleurs sociaux ayant au moins le doctorat, ils pourraient, par contre, postuler, au même titre que les cadres de santé, pour être des coordonnateurs départementaux de santé, (rattachés à l’équipe de la préfecture), sans pouvoir hiérarchique direct sur les médecins de district). Dans certains pays, on parle déjà de service territorial de santé publique.

Dans le même ordre d’idées, les directeurs d’hôpitaux devraient avoir, en plus, des niveaux académiques élevés, leur accordant une pleine légitimité pour gérer tous les cadres de santé de la structure.

L’implication des nombreux acteurs de la Santé non médecins ne devrait pas avoir pour corollaire, l’éviction injuste des médecins des sphères de gestion administrative et de santé publique, pour les confiner au rôle de cliniciens exécutants, au service d’autres catégories socioprofessionnelles. De même, des plans de carrière stimulants et des passerelles entre les différentes catégories d’acteurs de la santé permettront une flexibilité et une complémentarité pour mettre fin aux malentendus et préjugés.

Ce ne sont là que quelques pistes de réflexion à l’intention des organisations regroupant les divers acteurs de la Santé, y compris les usagers et les patients de plus en plus impliqués dans le cadre de la démocratie sanitaire, en droite ligne de la philosophie des soins de santé primaires d’Alma Ata.

Références :

  1. Décret n° 98-701 du 26 août 1998 relatif à l’organisation des établissements publics de santé hospitaliers
  2. Diomaye Président, LE PROJET, Pour un Sénégal souverain, juste et prospère
  3. OMS Europe ; Déclaration d’Alma Ata, 1978
  4. OMS : Éléments essentiels au bon fonctionnement d’un système de santé, mai 2010