Résumé :
L’auteur présente de façon très synthétique ce qu’est la prévention et montre l’impact des modèles économiques sur la santé.
Abstract :
The author presents here in a very concise manner what prevention is and shows the impact of economic models on health.
Quelques préliminaires
La définition du terme prévention montre déjà une certaine polysémie (multitude de significations). C’est d’abord un ensemble d’actions (pour éviter qu’un évènement dommageable ne se produise), mais également l’organisation en système de ces actions (prévention routière, prévention du cancer) et les structures qui portent ces actions (PMI, prévention routière).
Le CNRTL (centre national de ressource textuelle et lexicale) donne la définition suivante : La prévention est l’ensemble des mesures destinées à éviter un événement qu’on peut prévoir et dont on pense qu’il entraînerait un dommage pour l’individu ou la collectivité. Nous nous limiterons à la prévention en direction de la santé et pour paraphraser le CNTRL, je dirai : La prévention, en matière de politique de santé, c’est tout ce qui assainit le milieu social, afin d’empêcher que naisse les altérations de la santé.
Pourquoi prévention en direction de la santé ? Il ne s’agit pas seulement de prévention des maladies et des accidents mais de permettre d’accéder « au bien être physique, mental et social » de la définition de la santé de l’OMS. Malheureusement la prévention en France ne va pas jusque-là. Par exemple, pour la prévention du cancer du sein, on n’a jamais vu de campagne expliquant que les horaires décalés avec du travail de nuit étaient un facteur de risque de cancer du sein ; peut-être faudrait-il alors réduire le travail de nuit pour supprimer ce facteur. Supprimer le travail de nuit lorsqu’il n’est pas induit par la nécessité de l’activité (comme dans les hôpitaux ou dans certaines industries « à feu continu ») serait une véritable prévention et améliorerait la santé sociale également en facilitant la vie familiale et les échanges sociaux. Je n’ai jamais jugé indispensable la fabrication de biscuits la nuit !
Pourquoi parler d’altération de la santé et non d’atteinte à la santé ? Parce que les altérations précèdent les atteintes à la santé et la véritable prévention doit intervenir, autant que possible, avant même les altérations. La prévention pour la santé doit viser la mise en place de conditions de vie (matérielles et sociales) permettant l’épanouissement de chacun dans la société, lui permettant d’apporter sa pierre à l’édification commune en fonction de ses capacités. L’insertion dans la vie sociale (dans le travail professionnel ou bénévole) assure la reconnaissance sociale et permet la construction d’une estime de soi, ce qui est un élément indispensable à la santé mentale.
Première classification
On a l’habitude, classiquement ou du moins dans un but pédagogique, de distinguer la prévention primaire, secondaire et tertiaire.
Prévention primaire : Actions visant à réduire la fréquence d’une maladie ou d’un problème de santé dans une population saine, par la diminution des causes et des facteurs de risque. Les outils sont la sensibilisation et l’éducation à la santé mais aussi l’éradication des facteurs de risque, c’est-à-dire la suppression du risque ou au moins sa réduction à un niveau le plus bas possible.
Prévention secondaire : actions visant à diminuer la prévalence d’une maladie dans une population. Ce stade recouvre les actes destinés à agir au tout début de l’apparition du trouble ou de la pathologie afin de s’opposer à son évolution ou encore pour faire disparaître les facteurs de risque pour le reste de la population. Les outils sont classiquement la surveillance régulière, le dépistage précoce auquel on ajoute la vaccination.
Prévention tertiaire : Actions visant à réduire la progression et les complications de la maladie avérée ou d’un problème de santé. Elle consiste en mesures destinées à réduire les incapacités, les invalidités et les inconvénients et à améliorer la qualité de vie. Il s’agit plus de compensation que de prévention.
Ces définitions montrent que la prévention primaire et secondaire s’adresse à une population, leur but est de protéger la population et non de garantir chaque individu face à un risque. Ces classes de prévention ne sont pas étanches. Assurer le suivi médical annuel d’une population peut s’inscrire dans la prévention primaire si on ne cherche pas l’apparition d’une pathologie spécifique ou l’action d’un risque prédéfini ; dans le cas contraire c’est de la prévention secondaire. En santé au travail par exemple, les visites annuelles, si elles voulaient s’intéresser à la santé, permettaient de donner des conseils aux salariés, mais pouvaient aussi permettre d’alerter les employeurs et les représentants du personnels de dysfonctionnements ou de situations ou conditions de travail qui commençaient à user les organismes et donc altéraient la santé des salariés. Mais elles permettaient aussi de dépister des signes précoces d’imprégnation de certains toxiques industriels lorsque le médecin savait qu’il était présent afin de retirer le salarié du poste. On voit que ce découpage est schématique, les actions ne rentrent pas dans ces cases obligatoirement. Et de toute façon il faut mettre en œuvre des actions sur les 3 axes en même temps pour obtenir une efficacité.
Autres classifications
Plusieurs autres découpages sont possibles mais aucun ne satisfait tout le monde car il dépend du point de vue sur lequel on regarde le problème :
- Par moments de la vie : le nouveau-né et la mère, l’âge scolaire, l’adolescence, l’activité professionnelle, les séniors ; auxquels on peut ajouter des populations cibles particulières comme les migrants, les précaires, les personnes en situation de handicap. Chaque période de la vie présente de possibles fragilités spécifiques dans la construction de la santé qui nécessitent une attention particulière.
- Par pathologie ou par organe ou fonction physiologique : la santé mentale, la santé reproductive, les cancers digestifs ou du sein, les mélanomes, la santé environnementale qui impacte tous les organes et dont on est loin de connaître tous les effets des différents polluants notamment chimiques. Cette méconnaissance nécessite de mettre en place, au-delà de la prévention, un principe de précaution ; ce principe consiste à éviter de mettre en circulation un risque nouveau non maîtrisé (produit chimique, nanomatériaux, organisation du travail nouvelle non évaluée par exemple)
- Selon les institutions existantes : PMI, santé scolaire, CMP et CMPP, santé au travail, (j’en oublie certainement)
- Selon les financeurs : le conseil général, les mutuelles, le ministère de la santé, les ministères différents en fonction des cibles, les employeurs dans leur domaine. Cette dispersion montre peut-être l’absence de cohérence du système et l’absence de réflexion sur ce sujet. Les actions restent ponctuelles alors qu’elles nécessitent d’être soutenues dans le temps et coordonnées.
- Selon le type d’acteurs intervenant : prévention médicale (assurée par les médecins ou les soignants), prévention sociale (par les services sociaux). Quel rôle de chacun (sur soi, sur les autres par la vigilance que l’on peut porter à son voisin ?). Dans ce cadre, la reconstitution du lien social est un élément de prévention. Mais quelle limite entre prévention et attitude intrusive, surveillance ? A la réflexion, toutes ces classifications sont plus ou moins de type opérationnel. Elles décrivent des modalités de mise en œuvre de la prévention ; il y manque le fil conducteur qui donnerait un sens à ces actions. Il faut trouver le substrat qui relie ou fait le lit des problèmes ciblés par les différentes classifications. Peut-être faut-il la trouver dans une classification moins « opératique » : une classification selon les inégalités sociales de santé.
- A partir des inégalités sociales de santé : il s’agit d’une classification plus politique, qui s’attaque davantage aux racines des différents maux. Toutes les études montrent effectivement que le milieu social (CSP pour résumer) conditionne l’accès à des conditions de vie différentes. Dès avant la naissance les déterminants de la santé se mettent en place : suivi de grossesse, salubrité ou confort du logement et du lieu de résidence, accès à la culture et par là aux informations, accès à du temps pour vivre (impossible quand on lutte pour survivre), accès à la formation pour un travail plus épanouissant et moins toxique. En santé scolaire j’ai toujours constaté que les problèmes s’accumulaient sur les mêmes enfants : difficultés sociales apportant les difficultés de santé non traitées en raison des problèmes sociaux, entrainant des difficultés d’apprentissage et par la suite, des difficultés d’orientation (limitation des possibilités d’orientations professionnelles en raison des problèmes de santé). On voit là un cercle vicieux que l’on retrouve en santé au travail avec les salariés cassés par des emplois très physiques impossibles à reclasser car ils ont une scolarité minimale et souvent chaotique. Le seul moyen de casser ce cercle vicieux est de s’attaquer aux inégalités sociales. Donc de s’attaquer à la source de ces inégalités : l’organisation capitaliste de notre société.
La prévention au cours de l’Histoire
L’idée de prévention est aussi vieille que l’humanité, on en retrouve des traces archéologiques dans les activités humaines de la préhistoire. La prévention collective face aux épidémies est décrite dès le XIVe siècle (mise en quarantaine lors de la peste de 1346-48 par exemple) ; c’est l’époque des grandes explorations, de la découverte de nouvelles terres et le début des colonisations ultramarines.
La prévention suit les variations du développement économique et des rapports de force dans la société ainsi que des besoins du développement du capital. Les mises en quarantaine des bateaux et des voyageurs étaient nécessaires après les ravages des grandes épidémies favorisées par le développement du commerce, aidé par les grandes découvertes et le développement technologique de la renaissance. De même, le rapport Villermé sur l’état de santé des populations en 1840 doit l’intérêt qu’il a suscité à la difficulté de trouver des hommes suffisamment valides pour être engagés dans les armées. La limitation du travail des femmes et des enfants, si elle prend l’habit d’une motivation sociale, est une nécessité économique pour préserver le renouvellement de la force de travail. Le capital s’intéresse aux êtres humains quand il a du mal à trouver la main d’œuvre nécessaire pour l’accumulation des richesses. On voit actuellement le MEDEF commencer à se poser des questions sur la réforme des retraites en raison de la dégradation de la santé des salariés âgés ; il se demande alors s’il n’est pas nécessaire de faire un peu plus de prévention au travail. Mais il ne s’agit que de limiter les accidents ou les maladies mais pas de faire en sorte que le travail soit émancipateur et permette à chacun de se construire.
La place de la prévention dans la société
L’État a le devoir de garantir l’organisation de la vie en société dans l’intérêt général. Il a donc l’obligation, de par le préambule de la constitution, d’assurer la santé de nos concitoyens et donc de veiller à ce que les conditions permettant à chacun de construire sa santé soient garanties. Or la prévention est la façon la plus efficace et la plus économique de le faire.
Le fondement du système capitaliste est la recherche de l’accumulation de richesse, non pas pour le bien de l’ensemble des individus qui constituent la société, mais pour alimenter les profits pour quelques-uns. L’accès à la santé constitue la possibilité, pour chaque individu dans le cadre de la société, de construire une vie épanouie sur le plan physique, psychique et social. On voit donc que ces deux objectifs sont antagoniques et que la poursuite de l’un s’oppose à la prise en compte de l’autre. Le développement de la prévention pour la santé relève donc d’un choix de société où la priorité serait donnée à la satisfaction des besoins humains.
Actuellement on nous parle de prévention mais celle-ci a le même statut que l’écologie : l’État laisse prospérer le risque et charge les individus de les éviter avec des sanctions s’il le faut pour contraindre les gens. En santé au travail cela se traduit par la responsabilisation des salariés sur le port des équipements de protection par exemple, ce qui signifie que les employeurs veulent faire partager la responsabilité du risque par le salarié en diminuant les remboursements en cas d’accident. Au lieu d’obliger les employeurs à supprimer ou diminuer les risques (surtout chimique), l’État valide des seuils d’exposition même si on sait qu’ils présentent un risque. Pour l’alimentation, il laisse les entreprises de l’agroalimentaire utiliser des produits et des procédés nocifs pour la santé (produits trop gras et trop sucrés entre autres, matière première de mauvaise qualité nutritive) plutôt que de légiférer.
Si chacun a une part de responsabilité sur ses propres actions, la culpabilisation est totalement contreproductive ; aucune avancée n’est possible si on ne traite pas les causes. Plutôt que de conseiller de ne pas consommer certains produits il faut les interdire. Pour le tabac, il est bon de délivrer les messages de prévention chez les jeunes mais dans les entreprises les campagnes de sevrage n’ont qu’une efficacité limitée (et souvent non pérenne) si la question du stress au travail qui augmente la consommation n’est pas au moins discutée pour être réglée.
Le parti communiste, à travers le communisme municipal a eu une action significative en faveur de la prévention pour la santé. Cependant, ce qui a manqué c’est peut-être une réflexion systématique sur ce qu’est la prévention, son rôle, ses modalités de mise en place et sûrement ses limites. C’est cette réflexion qu’il faut ouvrir.
Exemple de la complexité d’un système de prévention
Pour prendre un exemple que je connais, la santé au travail concerne les salariés (ce qui exclue arbitrairement les travailleurs non-salariés) mais également les familles des salariés car ceux-ci peuvent rapporter de leur travail des problèmes tels que des toxiques ou des difficultés psychiques, sans parler de difficultés familiales provoquées par la maladie. Il y a donc un impact au-delà de la personne strictement suivie, et toute la famille peut être atteinte. Dans le cas de la santé au travail, l’institution qui intervient dans la prévention semble clairement définie mais dès qu’on creuse un peu, on découvre une complexité très importante : salariés et non-salariés, du public ou du privé, régime général, agricole ou des indépendants, employés de maison, maladies professionnelles ou à caractère professionnel, pathologies liées au travail mais non reconnues. Les institutions intervenant dans la prévention sont multiples : services de santé au travail, inspection du travail, CARSAT, préventeurs, ANACT, INRS, pour ne citer que les principaux. Le financement mérite examen : les employeurs sont sensés assurer le financement mais les aides de la CARSAT sont souvent nécessaires pour que les employeurs acceptent de faire quelque chose.
Ces quelques notes montrent la complexité considérable de ce sujet. La prévention pour la santé n’est compatible qu’avec un système social qui donne la priorité à l’être humain.
Notes sur la prévention (CNTRL):
Ensemble de mesures destinées à éviter un événement qu’on peut prévoir et dont on pense qu’il entraînerait un dommage pour l’individu ou la collectivité ; par métonymie, organisme chargé de concevoir et d’appliquer ces mesures. Prévention de la délinquance, des accidents, des maladies ; prévention médicale, sociale ; mesures de prévention. La prévention soutient que les plans en question auraient été perdus chez elle par un individu faisant, à l’étranger, de l’espionnage (Affaire Dreyfus, 1896, p.23). La prévention, en matière de politique criminelle, c’est tout ce qui assainit le milieu social, afin d’empêcher que naisse l’idée criminelle (P. Cannat, Réf. pénit., 1949, p.23).
♦ Prévention des naissances. Mesure tendant à empêcher une union sexuelle d’aboutir à une naissance“ (A. Sauvy, La Prévention des naissances, 1962, p.6).
♦ Prévention routière. Ensemble de dispositions destinées à réduire le nombre et la gravité des accidents de la route ; par métonymie organisme chargé de concevoir et d’appliquer ces dispositions. Campagne d’information de la prévention routière. Pour limiter le nombre d’accidents de la route la prévention routière intervient par un effort d’éducation et d’information, un renforcement de la réglementation, un contrôle des véhicules, une répression plus rigoureuse des infractions (Branc.Écon.1978).
♦ Définition de l’OMS reprise par Michel Soulé et Janine Noël (1985, p. 3013) : « La prévention primaire comprend tous les actes destinés à diminuer l’incidence d’une maladie dans une population, donc à réduire le risque d’apparition de cas nouveaux. […] La prévention secondaire comprend tous les actes destinés à diminuer la prévalence d’une maladie dans une population, donc à réduire la durée d’évolution de la maladie. Elle prend en compte le dépistage précoce et le traitement des premières atteintes. La prévention tertiaire comprend tous les actes destinés à diminuer la prévalence des incapacités chroniques ou des récidives dans une population, donc à réduire au maximum les invalidités fonctionnelles consécutives à la maladie. »