© Joshua Koblin (Unsplash)

Le service sanitaire, levier d’une identité professionnelle intégrant la santé primaire

Télécharger l'article

L’évolution du système de santé plaide en faveur d’un renforcement des actions de santé primaire dans les lieux de soins. Le développement effectif de la prévention implique une évolution de l’identité professionnelle soignante, encore dominée par une approche curative. Le Service sanitaire, en contribuant à développer une posture préventive dès la formation initiale, constitue un levier important de transformation des identités et des pratiques, mais également une occasion pour les structures de soins regroupés de tisser de nouveaux partenariats.

Abstract:

The evolution of the health system pleads in favor of strengthening primary health actions in places of care. The effective development of prevention implies a change in the professional identity of healthcare professionals, still dominated by a curative approach. The Health Service, by helping to develop a preventive posture from initial training, constitutes an important lever for transforming identities and practices, but also an opportunity for the healthcare structures grouped together to form new partnerships.

Face aux enjeux démographiques, environnementaux, sociétaux et économiques actuels, la santé est aujourd’hui une question centrale dans le débat publique. Professionnels du soin, mais également acteurs de la société civile, sont investis dans des actions de santé publique favorables à la santé des individus. Dans une culture soignante encore dominée par des approches curatives, les actions de santé primaire demandent à être développées alors qu’elles ont démontrées leur bénéfice sur l’état de santé des populations, autant que sur l’émancipation des individus. Leur progression  dans l’offre de soin demande, de la part des intervenants, une évolution de leur conception de la santé, mais également de la représentation de leur place et de leur posture dans le processus de gestion de leur santé par chaque personne. Faire  « pour » ou faire « avec » les usagers du système de santé, s’approprier de nouvelles pratiques, ouvrir des nouveaux espaces de soins, sont autant de questions que les professionnels sont amenés à se poser pour faire progresser la conduite des actions de santé. S’y pencher n’est pas sans interpeller l’identité professionnelle des soignants et sa nécessaire évolution, dans laquelle la formation initiale et/ou continue peut jouer un rôle certain.

Du sanitaire à la santé, favoriser le développement des soins de santé primaire

Depuis le virage de l’après-guerre, la santé n’est plus perçue comme la simple absence de maladie, mais comme un état de bien-être global [1]. En 1978, la conférence d’Alma-Ata renforce cette logique en définissant les soins de santé primaire comme des soins de santé essentiels, fondés sur des méthodes et des techniques pratiques, scientifiquement valables et socialement acceptables, rendus universellement accessibles à tous les individus et à toutes les familles de la communauté avec leur pleine participation et à un coût que la communauté et le pays puissent assumer à tous les stades de leur développement dans un esprit d’auto- responsabilité et d’auto-détermination. Ils constituent le premier niveau de contact des individus avec le système de santé, le plus en proximité possible des lieux de vie et/ou d’activités des usagers [2]. Les personnes y sont reconnues comme ayant le droit de connaître leur situation de santé et de pouvoir participer aux solutions à y apporter. Dans le même temps, le système de santé doit favoriser et assurer la participation des communautés aux actions de santé. L’individu devient responsable de sa santé et de son bien-être, dans une relation de partenariat avec les professionnels.

Dans la continuité, la charte d’Ottawa marque, en 1986, la nécessité, pour le système de santé de réorienter ses services au-delà d’interventions qui restent majoritairement cliniques et curatives [3]. Cette idée maîtresse constitue un corolaire aux autres éléments socles de la promotion de la santé, et en particulier la participation active des citoyens et le développement de l’empowerment, perçus comme une stratégie émancipatrice [4]. Depuis les années 90, ses principes fondateurs ont trouvé un écho politique et sociétal à travers les mouvements d’engagement des patients consécutifs à l’épidémie de sida [5] et à l’augmentation grandissante des soins de santé essentiels (ISS) [6]. Dans ce contexte, il s’avère important que les professionnels de santé investissent cette approche de la santé qui peut influencer positivement les problématiques de santé publique, face à une culture de soins historiquement paternaliste et curative [7]. Parmi les stratégies portées par la promotion de la santé, le développement de l’éducation pour la santé (EPS) augmente l’accessibilité à l’information et favorise l’implication de l’usager dans la prise de décision pour sa propre santé [8]. En s’appuyant sur la co-construction des savoirs, l’EPS place le professionnel dans une position d’accompagnement plutôt que de prescription de comportements à adopter. Créer le changement chez l’individu, afin qu’il puisse décider de sa santé, requière donc de la part des professionnels de santé, une évolution de l’approche des soins, le cure faisant place au care, voire de leurs identités professionnelles.

 Des identités professionnelles en mutation

L’identité professionnelle se construit et évolue avec le temps. Elle est le résultat de l’éducation familiale et scolaire, de l’expérience, des croyances, des habitudes. Elle se structure à partir de ce qu’était l’individu avant son expérience professionnelle, de son métier, de l’environnement dans lequel il travaille et des groupes auxquels il appartient [9]. L’identité professionnelle s’élabore de manière individuelle et collective, jusqu’à créer un sentiment d’appartenance à un collectif, en l’occurrence à un métier ou à une profession.  Elle contribue à la reconnaissance sociale et impacte sur un rôle social attendu, défini clairement et précisément. D’un point de vue plus général, l’identité est donc le résultat à la fois stable et provisoire, individuel et collectif, subjectif et objectif, biographique et structurel, des divers processus de socialisation qui, conjointement, construisent les individus et définissent les institutions [10]. Elle constitue un espace de cristallisation des contradictions sociales, familiales et psychiques [11], pourvoyeur de cohérence au sein de notre société parcellaire, par la confrontation possible, dans le contexte de la santé, de la sphère professionnelle soignante et de la sphère personnelle d’usager potentiel du système de santé. Un processus réflexif, au cours duquel des concepts, des valeurs et des normes parfois différentes sont mobilisés, participe à la construction d’une identité professionnelle dite viable [12].

 Soignants et soignés vers la mise en place de nouvelles normes en santé

Dans un contexte de réforme et de transformation du système de santé, le rôle du soignant évolue. La loi du 4 mars 2002, relative aux droits des usagers et à la qualité du système de santé, pose notamment le développement des soins de santé primaire avec une forte incitation à la santé communautaire comme un levier de la démocratie en santé [13]. Information et éducation pour la santé s’inscrivent alors dans de nouvelles configurations de la relation soignant-soigné. La démocratie en santé développant la participation du patient à son parcours de soin, est ainsi étroitement liée au changement du rôle soignant vis-à-vis du patient vers une interrelation. D’un côté, le savoir soignant est encore reconnu par le patient qui cherche à être autonome dans ses décisions de santé ; de l’autre côté, les soignants, dans une logique informative et éducative, analysent les situations avec les patients afin d’accompagner la prise de décision. Ces normes et ces valeurs aboutissent à une compétence sociale transformée des deux parties, soignants et usagers [14]. Cette évolution s’accorde avec la santé primaire qui, en se basant sur une approche globale de la santé, se centre sur les besoins de l’individu, à travers ses déterminants de santé, sa santé physique, mentale et sociale. Cette transformation est autant sociologique qu’institutionnelle et juridique. Depuis 2007, les stratégies nationales de santé ont ainsi tenté de prendre en compte les besoins et les préférences de l’individu, de sa famille et de sa communauté dans un contexte socio-économique complexe [15, 16, 17], participant à une ouverture vers la santé primaire dans les structures de soins. Les mesures récentes du projet Ma Santé 2022, visant la transformation du système de santé français, réaffirment la volonté d’accélérer l’amélioration de l’accès aux soins, notamment les soins de santé primaire, et de lutter contre les inégalités sociales de santé des patients, définis aujourd’hui comme des acteurs à part entière du système de soins [18]. Le rôle du soignant consiste ici à créer des repères au sein du parcours de soins et de santé de l’usager, notamment à travers des actions d’information et d’éducation pour la santé. Soigner, au sens de réaliser des soins cliniques, devient un acte spécifique intervenant ponctuellement dans le parcours de santé et ne s’inscrivant pas forcément en première intention d’une intervention en santé. Dans ce contexte en mouvement de l’approche du soin et de la relation soignant-soigné, le développement des soins de santé primaire sera en partie facilité par une évolution de l’identité professionnelle, dans lequel la formation peut jouer un rôle important, pour accompagner le processus réflexif qu’il sous-tend.

Le service sanitaire, une approche formative soutenant une évolution soignante

La construction de l’identité professionnelle engage les individus [19]. La formation, en tant que processus de structuration des capacités en vue de mobiliser des compétences [20], recouvre de cette logique. Formateurs et apprenants doivent être investis tous les deux dans ce processus, afin de faciliter la posture réflexive qui suscite un nécessaire questionnement chez l’apprenant, support d’une réflexion scientifique et contributive de la construction de l’identité professionnelle. Face au défi de l’évolution d’une identité professionnelle historiquement emprunte d’un savoir sachant, il est important de penser des dispositifs de formations originaux qui facilitent l’implication des acteurs et l’ancrage sur le terrain pour faciliter la confrontation des points de vues et des normes en action.

Parmi les dispositifs pédagogiques qui s’inscrivent dans cette logique, le Service sanitaire (SeSa), développé depuis 2018 dans les programmes de formation initiale des filières de la santé, vise à mettre les étudiants dans une posture de préventeur, à travers une expérience dans le domaine de la santé primaire. Il participe plus particulièrement à initier les étudiants aux enjeux de la prévention, à permettre la réalisation d’actions concrètes de prévention participant à la politique de prévention et de lutte contre les inégalités sociales et territoriales d’accès à la santé, à favoriser l’inter-professionnalité et l’interdisciplinarité, ainsi qu’à intégrer la prévention dans les pratiques de santé [21]. Les publics cibles (personnes âgées, jeunes), les structures d’accueil prioritaire (Education nationale, EHPAD, Associations) et les thèmes du service sanitaire sont définis en lien avec les enjeux de santé publique [22]. Conduit sur six semaines le SeSa se structure en trois temps : la conduite de projet de la phase théorique à la phase de concrétisation, la mise en œuvre de l’action en interdisciplinarité et enfin l’analyse de la conduite de projet afin de proposer des axes d’amélioration. Les enseignements  liés au Service sanitaire s’intègrent dans les programmes de formation initiale de la plupart des professions de santé.

Pour les instituts de formation, l’enjeu est de développer des modalités d’enseignement adaptées à la finalité du SeSa, en réalisant notamment une montée en compétence dans le domaine de l’éducation pour la santé au cours de la formation initiale. En construisant, mettant œuvre et analysant une action de santé primaire, l’étudiant construit sa future identité professionnelle. Il développe des logiques d’action qui permettent une professionnalisation de la posture éducative de soignant [23]. Cette participation au SeSa et la réflexivité qu’elle implique, représente un levier favorable pour guider le futur professionnel vers cette posture éducative. Les concepts utilisés pour construire les projets de santé publique attendus par le Service sanitaire, doivent être en cohérence avec la manière de les enseigner. Dans cette logique, il est important que l’ingénierie du SeSa soit pensée dans la logique de favoriser une identité professionnelle infirmière tournée vers une posture éducative plus accentuée. Une réflexion d’ordre pédagogique doit ainsi être menée dans la conduite de cet enseignement. En effet, l’accueil et l’accompagnement des étudiants nécessitent la mise en place de modalités pédagogiques adaptées pour soutenir la réflexion associée à l’action et portée par une logique d’apprentissage par l’expérience vécue [24]. Afin d’en garantir au mieux les bénéfices en termes d’apprentissage, le travail de structuration autour de la mise en place du Service sanitaire, doit se réaliser au sein des institutions de formation en santé, autant que des structures d’accueil des étudiants. Si les espaces de formation académique tels que les Instituts de formation en soins infirmiers (Ifsi) et les facultés de médecine sont en charge d’accompagner les étudiants, les terrains d’intervention constituent également des espaces de formation, du fait de leur activité de santé primaire et dans la logique d’une formation qui allie des apports théoriques et des temps d’actions formatives.

 Des terrains de pratique pour des partenariats intersectoriels en santé primaire

Sortant du périmètre strict des soins curatifs, développés pour une bonne part en milieu hospitalier, les actions de santé primaire ouvrent des espaces d’intervention encore à investir par les soignants [25]. Ainsi, les associations agissant dans le champ de la prévention primaire et/ou secondaire se sont fortement mobilisées sur les questions de soins primaires. Ces acteurs de la société civile s’inscrivent activement dans le SeSa et plaident en faveur du développement des compétences de préventeur chez les intervenants associatifs autant que chez les professionnels du champ sanitaire ou social [26, 27]. D’autres espaces de soins constituent des terrains privilégiés pour accompagner l’ouverture des futurs soignants à une pratique de santé primaire et à l’évolution possible de l’identité professionnelle qu’elle implique. C’est le cas, des services de santé scolaire dont les missions s’intègrent dans le Parcours éducatif de santé (PES) qui vise, de la maternelle au lycée, à proposer des dispositifs d’intervention en matière de protection de la santé des élèves, d’éducation pour la santé, de prévention,  notamment sur les conduites addictives, la contraception, la protection de l’enfance, l’alimentation et l’activité physique [28]. C’est le cas également des centres de santé (CDS) qui s’inscrivent comme des acteurs de santé primaire de premier plan, à travers des contributions originales au regard d’actions concertées et pluriprofessionnelles, en proximité des populations vulnérables et inscrites dans leurs missions [29].

En tant que structures de soins regroupés, les CDS s’intègrent pleinement dans la logique d’un parcours de soins des usagers du système de santé qui peut être initié dès la mise en place de stratégies préventives favorables à leur santé. L’organisation pluridisciplinaire et transversale des centres de santé favorise la continuité et le suivi des actions complémentaires, englobant différents niveaux de prévention, tels que, par exemple, l’information auprès du grand public fréquentant le CDS (prévention primaire), le dépistage (prévention secondaire), la prise en charge clinique (prévention tertiaire) et l’éducation thérapeutique (prévention quaternaire) [30].

L’engagement de ces espaces de santé primaire, dans la formation des futurs soignants, invite les acteurs du Service sanitaire à mettre en place des partenariats interdisciplinaires et intersectoriels, en faveur du développement de compétences et de pratiques de prévention qui reste minoritaires chez les soignants [31]. A travers le SeSa, les intervenants de santé publique trouvent une occasion de créer des liens dans une organisation des soins jusqu’alors segmentée. Se former à mettre en œuvre de Service sanitaire, développer en collaboration des actions de prévention, accompagner conjointement les étudiants, sont autant d’occasions de travailler ensemble au profit de la formation des soignants et de la construction d’une identité professionnelle tournée vers la santé. Le Service sanitaire devient également une opportunité de faire émerger associations, espaces de prévention ou lieux de soins regroupés, comme acteurs de santé à part entière.

Conclusion

Dans un environnement où la conception du soin dépasse la dimension strictement curative et où la relation soignant-soigné va vers un plus grand partenariat de soins, les pratiques soignantes s’inscrivent dans une ouverture plus grande vers la santé primaire, sous-tendant une évolution de l’identité professionnelle encore largement construite sur un modèle dominant. En proposant des modalités d’enseignement basées sur l’action réflexive, le service sanitaire offre des opportunités aux instituts de formation en santé d’accompagner cette transformation des pratiques et des professionnels vers une approche de la santé plus axée sur l’individu. Ce dispositif de formation initiale est aussi une occasion pour les espaces de santé primaire de développer des partenariats avec les autres acteurs du système de santé. Encore en phase de structuration à l’échelle des opérateurs, le Service sanitaire présente également des perspectives en matière de formation continue des professionnels de terrain qui accompagnent les futurs soignants, de dispositifs de partenariat à l’échelle du territoire et de recherche sur le développement des soins de santé primaire dans le parcours de soins des usagers du système de santé.