La crise pandémique ou l’échec du capitalisme néolibéral

Publié le 7 mai 2021 par Charlotte Balavoine

La crise pandémique n’est pas la cause de la crise systémique mais un facteur aggravant. L’industrie pharmaceutique préoccupée de ses seuls intérêts est en contradiction avec l’intérêt des populations. La première mesure à prendre est la levée des brevets.

Abstract:
The pandemic crisis is not the cause of the systemic crisis but an aggravating factor. The pharmaceutical industry concerned with its own interests is at odds with the interests of the people. The first step to take is the lifting of patents.

Avant la crise sanitaire de nombreux économistes alertaient sur un nouveau crash financier et une intensification de la crise systémique. La pandémie, loin d’être à l’origine de l’explosion des inégalités et de la pauvreté, est néanmoins un accélérateur et un amplificateur des antagonismes de classes et des contradictions du système capitaliste.

En effet, la première phase de l’année 2020 aura été marquée par une débâcle totale de nos gouvernants. Non contents d’ignorer les alertes de propagation du virus venues de Chine ou d’Italie, ils ont ensuite été incapables de se mettre d’accord sur une réponse commune à la crise sanitaire (on se souvient des « vols de masques » par la Hongrie ou des déclarations douteuses des représentants français aux débuts 2020 sur le système de santé italien comparé au nôtre). Le fait est que 30 ans de politiques néolibérales en France, en Europe comme dans le monde, ont menées nos systèmes de santés au bord du gouffre. Les pénuries de lits, criantes durant l’année 2020 restent aujourd’hui problématiques. Malgré les déclarations de bonnes intentions, loin d’embaucher largement et de revaloriser les salaires du secteur médical, le gouvernement continue à fermer des lits dans les hôpitaux.

Pourtant, cette crise ne touche pas tout le monde de la même façon. On savait déjà que les salariés des métiers de « contacts », c’est à dire ceux qui sont en première ligne de la lutte contre la pandémie, sont aussi ceux qui développent les formes les plus graves de Covid. Aujourd’hui des études, américaines, britanniques et européennes montrent que depuis le début de la crise sanitaire il y a eu jusqu'à cinq fois plus de décès parmi les pauvres que parmi les riches. En France l’Insee ne peut pas encore «distinguer les décès survenus au cours de la période selon la profession ou le niveau de vie». Les dernières statistiques montrent néanmoins que les ouvriers et employés qui ont continué à travailler sur leur lieu de travail, ou encore des habitants des communes les plus pauvres et les plus denses sont particulièrement à risque, dans la mesure ou le respect des gestes barrières est beaucoup plus compliqué voire impossible à maintenir.

Alors que les salariés les plus précaires, et parmi eux particulièrement les femmes, ont dû faire face au chômage partiel ou total, à la réduction des salaires et à des conditions de travail de plus en plus pénibles (que ce soit par le biais du télétravail ou en présentiel), certaines multinationales enregistrent de leur côté des bénéfices records. Selon ce rapport, entre le 18 mars et le 31 décembre 2020, les milliardaires ont vu leur fortune augmenter de 3900 milliards de dollars, « plus qu’il n’en faut pour financer la vaccination de la totalité de l’humanité et empêcher que d’autres personnes ne basculent dans la pauvreté des suites de la pandémie », à l’inverse, entre 200 et 500 millions de personnes supplémentaires pourraient avoir basculé dans la pauvreté en 2020, soit environ 10% de la population mondiale.

Notre santé versus les intérêts des Big-Pharmas

Pourtant des avancées spectaculaires, facilitées par le partage de la séquence complète du génome du coronavirus par les autorités chinoises dès le 11 janvier 2020, ont pu voir le jour en moins d’un an avec aujourd’hui plusieurs vaccins mis en circulation ou sur le point de l’être. La raison de cette efficacité : l’investissement public ! Rien que pour les vaccins potentiels, plus de dix milliards de dollars ont été apportés par les États-Unis. Le pays a en outre massivement investi pour assurer la logistique et la distribution avec des accords pour étendre notamment la capacité de production des fabricants de flacons et seringues pharmaceutiques. L'Union européenne a quant à elle précommandé aux laboratoires jusqu'à quasiment deux milliards de doses au total, si l'on ajoute les options prises pour des doses supplémentaires. Dans le détail, la Commission européenne a signé avec six laboratoires, dont le dernier en date Moderna, pour fournir jusqu'à 160 millions de doses de vaccin. Avant cela, l'UE avait déjà signé avec Astra Zeneca et Johnson & Johnson (jusqu'à 400 millions de doses auprès de chacun), le duo Sanofi-GSK (jusqu'à 300 millions de doses), Pfizer-BioNTech (jusqu'à 300 millions de doses) et l'allemand Curevac (jusqu'à 405 millions de doses). Le montant total de ces contrats passés par l’Union européenne est toujours tenu secret. Il est cependant estimé à 2,1 milliards d'euros sans compter celui de Moderna. À cela s’ajoute le fait que la recherche et le développement ont déjà été en grande partie financés par des fonds publics. L’Union européenne et les États-membres assument également le risque commercial et le risque financier en cas de vices cachés.

Pour résumer : les contrats sont passés dans la plus totale opacité, les entreprises pharmaceutiques multinationales (communément appelées Big pharma) imposent leurs conditions à la Commission Européenne et aux États Membres pour au final...organiser la pénurie ! Car c’est bien de cela dont il s’agit: en décembre déjà Pfizer avait fait état de problèmes de production en Europe. Entre-temps pourtant, ses vaccins ont inondé Israël, qui payait le double du prix. En février 2021 rebelote : l’entreprise Astra Zeneca décide de réduire ses livraisons de vaccins subitement et refuse de se présenter à la Commission Européenne. Celles-ci soupçonne en effet l’entreprise de livrer des vaccins produits avec de l'argent européen à d'autres pays d'abord.

Résultats les pays riches ont acheté suffisamment de doses pour vacciner leur population trois fois, et laisse le monopole aux entreprises pour organiser le jeu mortifère de « qui pourra payer le plus ». A l’inverse, parmi les pays les plus pauvres du monde, seule la Guinée a pu vacciner à ce jour 55 personnes et 1 personne sur 10 seulement pourrait avoir accès au vaccin pendant le courant de l’année 2021. Mais peut-on reprocher à des entreprises gérées dans le seul but de faire un maximum de profit, d’organiser une spéculation sur les prix des vaccins ? Elles ne font finalement qu’appliquer les règles néo-libérales mises en œuvre par le système capitaliste actuel. Le risque étant aujourd’hui de ne jamais pouvoir sortir de cette pandémie et donc d’accentuer encore plus la crise systémique.

Pourtant des solutions existent: La première d’entre elle est de lever les brevets!

C’était d’ailleurs l’objet d’une intervention d’E. Macron en mai 2020 à l’OMS appelant «à développer un vaccin produit par le monde entier, pour le monde entier, on pourra alors parler véritablement parler d’un bien public mondial». Promesse trop vite enterrée puisque malgré l’argent public investi, la Commission européenne a transféré l'intégralité des droits de propriété intellectuelle sur le vaccin aux entreprises pharmaceutiques. Une large coalition de plus de 100 pays emmenée par l’Inde et l’Afrique du Sud demande depuis des mois de suspendre d'urgence les brevets sur les vaccins Covid-19 afin de pouvoir augmenter la production. Jusqu’à présent la France et l’Union Européenne s’y sont opposées de façon constante.

Pourtant les outils juridiques existent ! En effet, l’article 31 de l’Organisation Mondiale du Commerce stipule que l’on peut procéder à une lever des brevets «dans des situations d'urgence nationale ou d'autres circonstances d'extrême urgence ou en cas d'utilisation publique à des fins non commerciales». C’est ce qu’on appelle les licences d’office ou obligatoires, qui permettent d’organiser les transferts de technologie vers tous les laboratoires industriels compétents.

En France, l’article L613-16 du code de santé publique modifié par Loi n°2004-1338 du 8 décembre 2004-art. 10, qui prévoit que «si l'intérêt de la santé publique l'exige et à défaut d'accord amiable avec le titulaire du brevet, le ministre chargé de la propriété industrielle peut, sur la demande du ministre chargé de la santé publique, soumettre par arrêté au régime de la licence d'office, tout brevet délivré pour :

  1. a) Un médicament, un dispositif médical…
  2. b) Leur procédé d'obtention, un produit nécessaire à leur obtention ou un procédé de fabrication d'un tel produit ;»

Ces outils sont dès aujourd’hui mobilisables pour permettre une mutualisation de toutes les technologies validées, pour développer et répartir la production à l’échelle européenne et à l’échelle mondiale. Concrètement en France cela doit passer par la réquisition et la socialisation des usines Sanofi pour produire largement le vaccin, et non se limiter au « flaconnage » qui est proposé aujourd’hui. La loi d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-9 du 23 mars 2020 prévoit en effet «la réquisition de tout bien ou service nécessaire à la lutte contre la catastrophe sanitaire ainsi que toute personne nécessaire au fonctionnement de ces services. L’indemnisation de ces réquisitions est régie par le code de la défense».

Au-delà de ces mesures d’urgence, il faut changer les règles et sortir la santé des mains des big pharma et de la loi du marché.

C’est dans cette logique que nous avons lancé le 30 novembre dernier la campagne européenne Pas de Profit sur la Pandémie. Celle-ci, par le biais de initiative citoyenne européenne (ICE) : https://noprofitonpandemic.eu/fr/, vise à obtenir 1 million de signatures dans au moins 7 États Membres de l’UE pour exiger un changement législatif à la Commission Européenne.

Cette initiative demande un changement législatif pour faire des vaccins et traitements anti-pandémique des biens communs de l’humanité et d’un point de vu législatif :

Depuis novembre dernier, de nombreuses organisations ont rejoint la campagne qui en regroupe aujourd’hui plus de 350 au niveau européen. Nombre de chercheurs et spécialistes de la santé ont également appelé à soutenir cette initiative à l’image de la tribune parue dans le journal Le Monde en février 2021[1], intitulée « La protection de la population mondiale doit passer avant la logique du profit » et signée par 120 spécialistes du monde médical.

Au-delà de l’outil juridique que constitue l’ICE, il s’agit pour nous de construire un rapport de force permettant d’extraire les traitements anti-pandémiques, et la santé de façon générale de la loi du marché.

Cette mobilisation commence à payer, puisqu’aujourd’hui de plus en plus de pays, d’Assemblées (dont l’OMS) et de citoyens défendent cette idée. Une des dernières victoires en date est l’adoption par l’Assemblée du Conseil de l’Europe de la résolution, le 27 janvier 2021 sur les Vaccins contre la covid-19: considérations éthiques, juridiques et pratiques[2] demandant notamment à «surmonter les obstacles et les restrictions découlant des brevets et des droits de propriété intellectuelle, afin d’assurer la production et la distribution à grande échelle de vaccins dans tous les pays et pour tous les citoyens;».

Plus récemment encore, la Déclaration conjointe du Comité international de bioéthique et de la Commission mondiale d'éthique des connaissances scientifiques et des technologies de l’UNESCO du 24 février 2021[3] souligne « le fait que le développement rapide des vaccins n’aurait pas été possible sans les contributions essentielles de travaux menés antérieurement par les chercheurs de différentes institutions publiques ... Il est important de partager la propriété intellectuelle afin que les fabricants d’autres pays puissent également amplifier  la  distribution  des  vaccins  à  tous. Les  vaccins  devraient  être  considérés  comme  un bien commun mondial»

Au-delà de la question des brevets, il faut aujourd’hui que la puissance publique qui finance la recherche fondamentale mais aussi largement la recherche appliquée maîtrise en totalité la chaine de production des produits pour répondre aux besoins des populations. C’est en ce sens que nous proposons donc de créer des établissements publics qui financent la recherche, la production, la distribution et soient propriétaires des brevets qu’ils déposent. La force de portée de nos propositions est qu’elles sont aujourd’hui une question de bon sens. Plus de 100 millions de personnes ont contracté le SARS-Cov-2, plus de 3,1 millions en sont mortes, et la menace est plus grande que jamais avec l’évolution des variants, qui sont plus transmissibles et dangereux.

La réponse à la crise sanitaire ne peut être que collective et mondiale et nécessite pour cela de faire passer les vies humaines avant les intérêts de Big pharma. Mais au-delà de ce constat, il s’agit ici de d’acter l’échec du modèle capitaliste actuel à résorber la crise pour avancer vers la construction d’une autre société. Dans celle-ci la santé sera sans nul doute une des fondations et c’est en ce sens que la proposition de longue date du PCF de création d’un pôle public du médicament à l’échelle nationale, européenne et mondiale a une portée révolutionnaire. Mettre fin au monopole des Big Pharmas pour construire un monde de partage où la santé et la vie humaine seront réellement un droit et non une source de profit, est au cœur du projet communiste pour une société socialiste du XXIème siècle.

Pour citer cet article :

Charlotte Balavoine, « La crise pandémique ou l’échec du capitalisme néolibéral.», Les Cahiers de santé publique et de protection sociale, N° 37, Mai 2021. https://cahiersdesante.fr/editions/la-crise-pandemique-ou-lechec-du-capitalisme-neoliberal/

Notes de bas de page :

[1] https://www.lemonde.fr/idees/article/2021/02/22/la-protection-de-la-population-mondiale-doit-passer-avant-la-logique-du-profit_6070802_3232.html

[2] https://pace.coe.int/fr/files/29004/html

[3] https://unesdoc.unesco.org/ark:/48223/pf0000375608_fre