L’auteur explique que la décision de sanctions financières et économique prise contre le gouvernement actuel du Mali par la CEDEAO impacte très négativement le système de santé malien qui se voit privé de ressources. Il demande une procédure d’exception pour le domaine sanitaire.
Abstract : The author explains that the decision of financial and economic sanctions taken against the current government of Mali by ECOWAS has a very negative impact on the Malian health system, which is deprived of resources. He asks for an exceptional procedure for the health sector.
Depuis janvier 2022, le Mali est sanctionné par la Communauté Economique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) et avril 2022 par la Banque mondiale et la Banque Africaine de Développement (BAD). Il est reproché au pouvoir militaire à Bamako, de prolonger les délais de la transition au-delà des 18 mois initialement prévus. Les sanctions prises impactent négativement le secteur de la santé, la mise en œuvre et l’exécution des projets de santé.
Analyse du contexte
Le Mali depuis son indépendance en septembre 1960 a connu cinq coups d’État (1968, 1991, 2012, 2020, 2021), quatre rebellions armées (1963, 1991, 2006, 2012) et le pays vit depuis août 2020 sa quatrième transition. Devant le refus de la junte militaire actuellement au pouvoir d’honorer son engagement initial, à savoir remettre le pouvoir à un régime civil démocratiquement élu au terme d’une transition de 18 mois (août 2020 / février 2021), la CEDEAO décide de sévir et a pris des sanctions économiques et financières en mettant sous embargo le Mali. Les sanctions prédisent les humanitaires, pourraient avoir un impact dévastateur sur le pays, ou une personne sur trois dépend déjà de l’aide humanitaire. Les sanctions impactent déjà le secteur de la santé et, ce qui est une évidence, le Mali est fortement dépendant des donateurs extérieurs. Ces derniers ont couvert 33% des dépenses totales de santé du pays en 2019.
Sanctions
Les sommets extraordinaires de la Communauté Économique de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO)[1] et de l’Union Économique et Monétaire Ouest-Africaine (UEMOA)[2] tenus le 09 janvier 2022 à Accra au Ghana ont pris des sanctions économiques et financières à l’encontre du Mali, en réponse à la décision du gouvernement de transition dirigé par des militaires de reporter les élections démocratiques initialement prévues pour le mois de février 2022. Ces sanctions comprennent entre autres la suspension de tous les transferts financiers et monétaires du Mali, le gel des avoirs du pays à la Banque Centrale des États de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO), la fermeture des frontières et l’imposition d’un embargo commercial. L’on rappelle que depuis le coup d’État du 18 août 2020, beaucoup de bailleurs ont arrêté d’intervenir au Mali. En avril 2022, la Banque Mondiale (BM) et la Banque Africaine de Développement (BAD) décident de suspendre leurs différents décaissements en faveur des projets et programmes qu’elles financent, constatant que le gouvernement malien sous sanction CEDEAO se trouve dans l’incapacité d’honorer ses engagements au titre du service de la dette publique extérieure.
Impacts
La suspension des décaissements en faveur des projets de santé : La Banque Mondiale et la Banque Africaine de Développement ont suspendu leurs opérations en cours d’exécution dans différents secteurs, dont celui de la santé, le centre d’intérêt de notre analyse. Conséquence : l’arrêt de tous les projets de santé financés par ces deux institutions bancaires de développement, à l’exemple du projet « Accélérer les progrès vers la couverture sanitaire universelle » d’un montant de 70 millions de dollars, financés par la Banque Mondiale. Ce projet contribue à améliorer l’utilisation et la qualité des services de santé reproductive, maternelle, néonatale, infantile, adolescente et de nutrition en particulier dans les ménages les plus pauvres. Le projet couvre les districts de santé de quatre régions, à savoir les régions de Koulikoro et Ségou au sud, la région de Mopti au centre et la région de Gao au nord.
Les ONG ont de la peine à répondre aux besoins de santé des communautés. Au lendemain de la prise des sanctions, 13 Organisations Non Gouvernementales (ONG)[3] ont dans un communiqué, invité l’exécutif de l’institution communautaire, à prendre des exemptions humanitaires aux sanctions. Elles estiment, que pour poursuivre leur travail, qu’elles doivent disposer d’un accès sans entrave aux transports de bien de première nécessité, notamment des médicaments et des produits de santé, ainsi que de garanties leur permettant de transférer des fonds dans le pays sans enfreindre les sanctions. Cet appel n’a pas été entendu, il s’en est suivi une diminution de l’appui technique au fonctionnement des structures de santé au centre, au nord et au sud, qui selon l’OMS, ne sont pas ou sont partiellement fonctionnelles. Autres aléas liés aux sanctions économiques et financières de la CEDEAO, le ralentissement, dans certains cas, l’arrêt des travaux de réhabilitation des structures de santé. Une enquête de la représentation de l’OMS au Mali, révèle que près de 93% des structures sanitaires et au centre sont complètement détruites. Ces destructions restreignent l’accès des communautés aux soins de santé, et les opérations de réhabilitation en cours sont momentanément hypothéquées en raison du regain de la crise sécuritaire doublée des sanctions de la CEDEAO et du renchérissement du coût des matériaux de construction et des équipements médico-sanitaires.
Les menaces sur le Programme d’Agents de Santé Communautaires (ASC)
Depuis 2009, le système de santé au Mali s’est appuyé sur les Agents de Santé Communautaire (ASC) pour fournir les services de santé essentiels dans les communautés. Malheureusement, le programme des ASC se retrouve entièrement dépendant du financement des bailleurs. Avec les sanctions de la CEDEAO et des partenaires financiers comme la Banque mondiale et la BAD, il plane une menace sur la viabilité du programme. Ce qui emmènent certains spécialistes des questions de santé communautaire, à entrevoir déjà au sortir des sanctions, le soutien d’une transition de sources externes vers des sources internes de financement.
Les inquiétudes sur la poursuite du Projet d’Appui à la Coopération Transfrontalière (ACTS) dans sa zone d’expérimentation au nord du Mali.
Les partenaires locaux du Comité national de suivi interministériel pour l’exécution du projet ACTS sont inquiets de la poursuite des activités du projet dans la zone malienne. Les raisons avancées sont entre autres les répercussions des sanctions économiques et financières de la CEDEAO, la crispation dans les relations entre le Mali et la France. Le projet financé par le Fonds de Solidarité Prioritaire du Ministère français des Affaires Étrangères, et dont la zone d’intervention comprend le Mali, le Burkina Faso et le Niger. Les activités du projet s’articulent autour de deux domaines thématiques, la santé et le pastoralisme. À son actif , la réalisation d’une étude diagnostique de la situation sanitaire dans la région des Trois frontières (Mali, Burkina Faso et Niger). L’étude a été complétée par la production d’un document stratégique sur l’amélioration de l’offre de soins de santé dans la région des trois frontières.
Deux grilles de lecture en guise de conclusion.
Les sanctions de la CEDEAO et les partenaires techniques et financiers, comme nous venons de le voir, renvoient à deux grilles de lecture.
La première : On assiste aujourd’hui à une plus grande déresponsabilisation de l’État malien à travers la junte au pouvoir dans le domaine de la santé, qui estime face à la crise sécuritaire et à un déficit budgétaire croissant, que c’est aux partenaires techniques et financiers d’assurer les dépenses de santé, dans un contexte ou la menace sécuritaire est perçue comme plus urgente. Ce désintérêt pour la santé est propre au Mali, au Burkina Faso et au Niger. Ils consacrent moins de 10% de leurs budgets nationaux au secteur de la santé. Ce dernier dans le contexte de la crise sécuritaire et coups d’État à répétition reste la grande « oubliée » des initiatives nationales.
La Deuxième. Pour la CEDEAO il n’est pas possible de laisser le Mali devenir, un « trou perdu » où une junte militaire repliée sur elle-même, cristallise toutes les attentions. La sanction qui a valeur d’exemple, était le prix à payer pour éviter d’éventuelles contagions, et exposer d’autres États de l’espace communautaire ouest-africain aux velléités de coups d’État.
Conclusion
La CEDEAO entend avec les sanctions économiques et financières contraindre la junte militaire au pouvoir à accélérer le retour à un régime civil. En prenant les sanctions, l’institution communautaire ouest-africaine n’a pas analysé de manière spécifique leur impact négatif sur le système de santé. La nouvelle donne créée avec l’imposition des sanctions contribue à affaiblir le système de santé malien déjà dépourvu de ressources humaines, matérielles et financières. Il urge pour l’Organisation régionale, d’agir en faveur du système de santé, en créant un cadre national d’exemption qui associe les responsables de la santé, les acteurs locaux de la santé, les acteurs de la société civile, les partenaires techniques et financiers actifs dans la gouvernance de la santé, les Organisations Non Gouvernementales humanitaires. Ce cadre pour veiller à une réelle mise à l’abris du secteur de la santé des sanctions, au cas où celles-ci venaient à être reconduites ou se prolonger.