Résumé :
L’auteur donne ici les chiffres des suicides en France. Il s’étonne que ces données ne soient pas étudiées alors que le débat sur le suicide assisté fait rage dans le pays. Oui le suicide est bien une question de santé publique complètement négligée.
Abstract :
The author provides suicide figures in France. He expresses surprise that these data are not studied while the debate over assisted suicide rages in the country. Yes, suicide is indeed a completely neglected public health issue.
Les débats sur la question du suicide assisté sont en cours. L’Assemblée nationale vient de se prononcer en sa faveur. Les débats ont été riches, bien respectueux des diverses opinions qui s’expriment. Pourtant une question me tracasse. On n’a pas parlé du suicide « ordinaire », celui qui touche des milliers de personnes dépressives dans notre pays. Le suicide n’est pas qu’une question de « fin de vie ». Cela nécessite une politique de santé mentale et des mesures sociales oubliées dans le débat et surtout des décisions. Cet oubli, volontaire ou pas, est inquiétant.
a) les données objectives
Regardons le phénomène du suicide. Le suicide est l’aboutissement le plus grave de la dépression. C’est la complication d’une maladie. Le nombre de suicides en France métropolitaine en 2024 a été de 9 024. Soit 25 morts par jour sur 685 tentatives quotidiennes. Ces chiffres sont très importants et permettent de dire que le suicide est un véritable problème de santé publique. La plupart des tentatives n’aboutissent heureusement pas à la mort. Le taux de mortalité en France par suicide pour 100 000 habitants est de 13,4 contre 10,2 en Europe ce qui est inquiétant pour notre pays. Les hommes se suicident 3 fois plus que les femmes (6278 hommes pour 2088 femmes en 2024) mais les femmes font plus de tentatives que les hommes. Bien souvent la tentative de suicide n’est pas une volonté réelle de mourir mais plutôt un appel au secours dans une situation de détresse ou un état pathologique sous-jacent de dépression. Ceci doit nous inciter à prendre avec beaucoup de prudence l’expression d’un désir de suicide. On note que le taux de suicide le plus élevé se rencontre chez les personnes de plus de 75 ans : raisons de santé mais aussi financières, sociales et d’isolement. Les dernières données publiées en 2024 montrent une augmentation inquiétante de suicides chez les jeunes, plus particulièrement chez les jeunes filles en 2020 et 2021, avec une persistance en 2022. La période de pandémie a fait apparaître un phénomène en croissance[1] de plus de 22% chez les jeunes femmes en 2021. Les professionnels appellent à la mobilisation de tous pour enrayer ce phénomène : 200 000 tentatives par an et 100 000 hospitalisations ! C’est à rapprocher du nombre de mutilations volontaires également en nette augmentation ces dernières années que s’infligent particulièrement les jeunes. « L’exercice du lien social, à ses différents niveaux, de l’intime à l’institutionnel, est trop souvent ignoré, négligé, à notre époque où la focalisation est largement et très excessivement axée sur l’individu, lui imposant une charge mentale excessive, de réussite, d’excellence dont on connaît trop l’effet délétère et potentiellement suicidogène, notamment chez les élèves, voire chez les étudiants », déclarait Marc Fillatre, psychiatre, praticien hospitalier au CHRU de Tours et président de l’Union Nationale de Prévention du Suicide lors du colloque « Lien social et prévention partagée : comprendre, entretenir, recréer » qui s’est tenu le 9 février 2024 à Paris.
Enfin un groupe de malades particuliers, les psychotiques délirants, parfois se prennent pour des oiseaux et sautent par la fenêtre. Leur attitude ambivalente vis à vis de la mort est un souci constant des médecins. Les adolescents aussi sont souvent dans un comportement mortifère, ils jouent avec les limites. Il y a parfois des drames…
Il faut savoir que les personnes tentant de se suicider, quel que soit leur âge, lorsque la mort n’est pas au rendez-vous, sont soignées. La plupart de temps les patients sont d’ailleurs heureux d’avoir survécu. Les médecins ont appris à reconnaître les risques de passage à l’acte de ces patients dépressifs. Ils ont des méthodes de prévention de ce risque et de soins. La dépression est une maladie qui se soigne même en fin de vie. Ce sont ces soins que fournissent les médecins généralistes, les pédiatres, les psychiatres et les psychologues malheureusement trop peu nombreux. L’hospitalisation est assez souvent nécessaire et relève de la psychiatrie.
b) Il y a des mesures à prendre
Les gouvernements actuels réduisent les moyens de soins et de suivis des malades psychiatriques de façon drastique. Des mesures de prévention et de soins s’imposent. Augmenter le nombre de psychiatres et d’infirmiers psychiatriques, améliorer l’attrait pour les métiers de la psychiatrie, rénover et donner les moyens nécessaires à la psychiatrie publique, arrêter la privatisation, relancer la politique de secteur, et particulièrement s’occuper de la psychiatrie infanto-juvénile en grande détresse. L’école doit aussi jouer son rôle dans la prévention mais comment faire quand il y a un médecin scolaire pour 13 000 enfants ? On pourra se reporter à l’article du Dr Martine Garrigou sur la pédopsychiatrie paru en septembre 2023[2] dans notre revue.
Concernant la maladie d’Alzheimer (900 000 personnes en France) qui est une maladie progressive et qui crée beaucoup d’angoisse chez les personnes âgées, le désir de mourir avant de voir la situation se dégrader peut survenir. Faut-il considérer que ces personnes seront éligibles à l’assistance au suicide comme le proposent certains ? Est-ce la solution à leur problème ou aux problèmes qu’ils posent à la société ? À quel moment alors passera-t-on à l’acte ? À quel moment ces personnes seront-elles en situation de prendre en toute conscience une telle décision alors que cette maladie détruit peu à peu la conscience ? Qui va décider ? Cela concerne des centaines de milliers de gens dans notre pays. Ne va-t-on pas passer alors du suicide assisté à une euthanasie de masse qui ne dira pas son nom? Où seront les limites ? Il en est de même pour d’autres maladies neurodégénératives.
Le cas où une personne pleinement consciente et dotée de toutes ses capacités cognitives choisit de mourir n’existe pas. La question sera aiguë chez les malades diminués, particulièrement les malades mentaux. Dans certains pays on a vu certains proposer que cette disposition soit élargie justement aux malades psychiatriques, voire aux prisonniers. Et d’autres l’ont proposé pour les enfants aussi lorsqu’ils sont gravement malades et souhaitent peut-être en finir[3]. Où va-t-on ? Autre élément de réflexion : la politique actuelle vise à restreindre les retraites et les pensions. Pour l’Assurance maladie l’idée de réduire l’accès aux soins pour les personnes âgées circule : c’est déjà le cas en Grande-Bretagne après 75 ans. En effet c’est à partir de cet âge-là que les dépenses de santé sont les plus importantes ; plus on s’approche de la mort, plus les dépenses sont importantes comme le montre le tableau de la CNAMTS ci-dessous. Il montre que les dépenses augmentent de façon importante dans les derniers mois de la vie. Cela pourrait donner des idées à certains mais ils ne le diront pas… Il faudra alors juger sur les actes.
