Résumé :
L’auteur propose ici une analyse globale de la situation de l’hôpital et des autres formes de médecine et avance une réflexion synthétique sur les solutions aux problèmes posés. Elle milite pour un service public de soins de premier recours qui est indispensable autour des centres de santé, une démocratisation des structures, une politique de formation des personnels et un financement mieux adapté de l’assurance maladie.
Abstract :
The author offers here a global analysis of the situation of the hospital and other forms of medicine and puts forward a synthetic reflection on the solutions to the problems posed. She campaigns for a public primary care service which is essential around health centers, a democratization of structures, a staff training policy and better adapted financing of health insurance.
L’accès aux soins est une préoccupation majeure dans notre pays : « déserts médicaux », services d’urgence fermés ou régulés. C’est en fait l’ensemble de notre système de santé qui est en crise, le premier recours, l’hôpital dans sa globalité, le médico-social, malade des politiques d’austérité de nos gouvernements successifs. Depuis vingt ans les gouvernements ont voulu diminuer le poids de l’hôpital dans le système de santé au profit de la médecine de ville, en s’appuyant sur les progrès médicaux qui ont permis de réduire les durées d’hospitalisation, mais si ces progrès sont réels, ils impliquent surtout une plus grande coopération entre les deux secteurs, alors qu’ils ont été utilisés pour fermer des lits à seule fin d’économies. Il ne s’agit pas d’opposer comme cela a été fait l’hôpital à la ville mais de travailler à la complémentarité : il y a besoin d’un hôpital fort pour avoir un service de soins de premier recours fort et inversement.
Le discours officiel attribue la crise des urgences à tous les patients qui auraient pu recourir à un médecin en ville, mais l’encombrement des urgences est en lien avant tout avec des malades qui ont besoin d’être hospitalisés et qui attendent des heures ou des jours dans les services d’urgence qu’un lit se libère du fait des fermetures massives de lits au cours des dernières décennies. Nous avons proposé dès 2018 un plan d’urgence pour l’hôpital public tandis que les députés communistes entamaient un tour de France des hôpitaux. Les propositions sont plus que jamais d’actualité ! Six ans déjà !
Cet article ne vise donc pas à reformuler ces propositions, mais après avoir donner quelques éléments du contexte historique, à les élargir à l’ensemble du système de santé. Les mêmes thèmes reviennent : service public avec la nécessaire création d’un service public de santé de premier recours, démocratie, formation, financement !
Comment en est-on arrivé là ?
La réforme Debré de 1958, en créant les Centres Hospitaliers Universitaires et en instituant le temps plein de soins, d’enseignement et de recherche a fait passer l’hôpital public de la charité à la solidarité : ce n’est plus le médecin qui gagne sa vie en ville le matin et vient faire la charité à l’hôpital l’après midi ! Complétée par la loi Boulin de 1970 instituant le service public hospitalier, cette réforme, en lien avec la Sécurité sociale, a permis que le système de santé français soit le premier au monde en 2000. Déjà, la droite, dans les débats parlementaires lors du vote de la loi Boulin, soulevait les deux points essentiels pour la suite : la nécessité de respecter l’hospitalisation privée et celle de réduire la progression des dépenses de santé. Avec des fluctuations selon les gouvernements, en particulier une période faste avec Jack Ralite, ministre communiste de la santé, la suite a été marquée par le développement de la privatisation et des politiques austéritaires, avec deux corollaires, le recul démocratique et la mise en place du numerus clausus.
Notre système de santé est marqué historiquement par une dualité hôpital ville recouvrant une opposition service public/médecine libérale : hospitalisation plutôt dans le secteur public, soins ambulatoires plutôt en libéral.
Quelques mots sur l’histoire du libéral : l’affirmation de l’identité libérale va de pair avec la diffusion des idées corporatives, c’est-à-dire la conception de la profession médicale comme un corps fermé se réglementant lui-même. La reconnaissance du diplôme de médecin (4 ans d’étude) date de 1803 tandis que les officiers de santé n’en faisaient que 3. Ces derniers œuvraient surtout dans les campagnes et vis à vis des populations pauvres tandis que les médecins se réservaient les populations des villes riches. À méditer quand on parle d’autoriser le premier recours à des infirmières en pratique avancée (IPA). À la fin du XIXe siècle, l’histoire se mélange à celle de la mutualité, les médecins s’organisant pour ne pas accepter les tarifs proposés par les mutuelles. En 1892 la loi Chavandier met fin au statut d’officier de santé.
Entre les deux guerres, l’histoire du syndicalisme médical est marquée par l’influence croissante des idées de l’Action Française et valorise la prise en charge individuelle au détriment de la prévention collective. 1927, c’est la charte de la médecine libérale toujours reconnue par la Sécu : liberté d’installation, liberté de choix du malade, liberté de prescription.
La naissance de la Sécurité sociale rencontre l’hostilité des syndicats médicaux et la première convention globale entre la sécurité sociale et les syndicats de médecins libéraux ne date que de la toute fin des années 60. L’histoire de l’hôpital, œuvre de charité puis service public, en a fait le dernier recours même quand, ni une hospitalisation, ni des soins techniques ne sont nécessaires, pour des questions d’accessibilité financière ou tout simplement de permanence des soins, là où la médecine libérale a jeté l’éponge sur cette permanence au début des années 2000.
C’est donc un service public de soins de premier recours qui est indispensable autour des centres de santé.
Notons d’emblée qu’il ne saurait s’agir de remplacer l’hôpital dans son rôle, y compris dans la nécessité de garder sa proximité et moins encore de donner des gages aux ARS parfois désireuses de transformer des services d’urgence en accueil de soins non programmés. Répétons le : il faut avoir un hôpital public fort pour avoir un service de soins de premier recours fort et inversement. Il s’agit de donner à la population l’accès à une prise en charge globale de sa santé en tout point du territoire. C’est une question d’égalité républicaine.
Service public ! L’attrait des jeunes médecins pour le salariat et le travail en équipe pousse actuellement au développement de centres de santé à but lucratif, en lien avec les sociétés financières tournées vers l’hospitalisation privée. Il ne peut évidement s’agir de cela quand on parle centres de santé. Centres de santé, car cette organisation a fait ses preuves en terme de prise en charge globale, de prévention et de fonctionnement démocratique. Les statuts peuvent être divers, en tout cas à but non lucratif.
Dans un récent rapport, la Cour des Comptes préconise la création par les hôpitaux de centres de santé dans les déserts médicaux : notre ambition n’est pas un service public pour les pauvres, mais bien un service public généralisé. La psychiatrie, actuellement en déconfiture totale faute de moyens, avait mis en place avec les secteurs un service public territorialisé dont il est possible de s’inspirer. Il y a nécessité d’une volonté politique nationale de mise en œuvre d’un tel service public, ne serait ce que pour mettre fin à la mise en concurrence des territoires sur le recrutement des médecins !
J’en viens à trois ordres de propositions pour l’ensemble du système de soins : démocratie, formation, financement.
En commençant par la démocratie. Pour faire le lien avec l’ambition d’un service public de soins de premier recours autour des centres de santé, l’absence totale actuelle de pratique démocratique à l’hôpital n’est pas en faveur de la création de centres de santé dépendant directement des hôpitaux. Les coopérations sont nécessaires : elles peuvent l’être sous une autre forme ! Il y a besoin, dans l’ensemble du système de santé, d’avoir un rôle décisionnel des élus, des représentants des usagers et des personnels. Il est nécessaire de donner des droits nouveaux aux personnels hospitaliers et à leurs organisations syndicales sur la gestion de leur établissement et l’organisation de leur travail !
Formation :
Garder les personnels et mettre fin à leur fuite est une urgence y compris pour donner envie aux jeunes d’embrasser ces métiers : revalorisation salariale, amélioration des conditions de travail et respect de l’éthique professionnelle, ce qui veut dire se tourner vers la satisfaction des besoins des malades et non le tableau Excel de la rentabilité de la structure.
Il faut salarier les étudiants en échange d’un engagement de service public. C’est valable pour les écoles paramédicales comme pour les étudiants en médecine : cela permettrait une réelle démocratisation des études et en permettant à plus de jeunes des zones rurales ou des quartiers de devenir médecin, faciliterait leur installation ultérieure dans ces zones.
Il faut développer les formations continues à tous les niveaux. Si la place des IPA en premier recours dans les déserts médicaux est éminemment contestable, le développement de la progression des compétences et des qualifications au cours de la carrière professionnelle est indispensable, avec d’ailleurs de nouveaux métiers, pour enrichir le travail en équipe. Cela doit évidemment s’accompagner d’une vraie reconnaissance salariale et si cela aidera les médecins actuels trop peu nombreux, cela doit être conçu pour une amélioration des prises en charge, même avec assez de médecins !
En cette période de pénurie prolongée, la question de la répartition des médecins est fortement posée. L’interdiction d’installation dans une zone sur-dotée, sauf remplacement d’un départ à la retraite, serait légitime. Son impact serait sans doute limité car ces zones sont de plus en plus réduites, mais cela permettrait d’élargir le débat, en particulier sur la nécessité de former beaucoup plus de médecins, sous peine d’une situation pire dans dix ans et montrerait que les syndicats médicaux ne sont pas opposés à l’intérêt général. Car si ce texte peut paraître un plaidoyer contre la médecine libérale, rappelons que de nombreux médecins sont avant tout des humanistes. C’est dommage que les positions réactionnaires de leurs organisations conduisent une partie de la population à en faire les boucs émissaires de la faillite de notre système de santé !
Financement :
Il est nécessaire d’investir pour les bâtiments, le matériel, la recherche et la formation ! Cela nécessite des avances à taux zéro qui pourraient être faites par un fond européen pour les services publics et/ou par un pôle public bancaire.
Le fonctionnement du système de soins repose sur la Sécurité Sociale. Le débat au Parlement de la Loi de Financement de la Sécurité Sociale 2025 doit s’accompagner de mobilisations et de luttes. Pour donner une idée, l’augmentation du point d’indice de 10 % prévue dans le programme du Nouveau Front Populaire, alors que la masse salariale représente près de 70 % des dépenses des hôpitaux et qu’il y a l’inflation sur les autres postes de dépenses (énergie, alimentation ….) veut dire qu’il faudrait une augmentation de l’ONDAM (objectif national des dépenses d’assurance maladie) de l’ordre de 10 % alors que le gouvernement démissionnaire prépare des économies nouvelles ! Et il faut aussi envisager des augmentations dans d’autres domaines, en particulier pour l’autonomie.
Il faut augmenter les recettes de l’assurance maladie ! La suppression des exonérations de cotisations sociales est souvent évoquée. En fait, un peu moins de 3 Mds seulement ne sont pas compensées par le budget de l’État et la suppression totale agirait donc essentiellement sur le budget de l’État.
Surtout, la proposition déjà ancienne du PCF est mieux comprise en dehors des cercles militants : moduler les cotisations en fonction des politiques d’emploi des entreprises ce qui peut se traduire simplement : faire cotiser beaucoup les entreprises du CAC 40, peu le boulanger du coin ! Et bien sûr rappelons pour conclure la proposition de faire cotiser les revenus financiers des entreprises.