Forte d’un ancrage territorial au travers de ses 103 Comités départementaux et de sa proximité quotidienne avec les personnes atteintes de cancer et leurs proches aidants, la Ligue contre cancer dénonce les conséquences catastrophiques qui découleraient de la mise en œuvre du projet de loi de financement de la Sécurité sociale pour 2024 et s’oppose formellement à ce que les articles les plus problématiques : 27, 28 et 39 soient conservés dans leur rédaction actuelle.
« Tout, pour tous, et partout : c’est la devise qui guide la Ligue contre le cancer pour gagner la bataille sociétale contre le cancer. Aujourd’hui, alors que les inégalités persistent, d’un territoire à l’autre, pour les patients atteints d’un cancer. Loin d’apporter des réponses aux difficultés majeures en matière d’accès au soin, le projet de loi de financement de la sécurité sociale 2024 va encore accentuer les inégalités » déclare Daniel Nizri, président de la Ligue contre le cancer.
Alors que le gouvernement affirme en préambule que « le projet de loi de financement de la Sécurité sociale pour 2024 consacre la poursuite d’une dynamique d’engagements et d’investissements en faveur d’un meilleur accès aux soins des citoyens »[1], la Ligue contre le cancer juge certains de ces articles extrêmement préoccupants. Pour les personnes atteintes de cancer, les articles 27, 28 et 39 entraîneront un recul significatif de leurs droits, dont les conséquences seront dramatiques.
Constituant un grave déséquilibre de la relation employeur/salarié, déjà très fortement abimée par les dispositions de la loi travail de 2023, l’article 27 du PLFSS 2024 permettra à un médecin mandaté par l’employeur d’aller au-delà de la suspension du maintien de salaire actuellement prévu, pour s’étendre à celle des indemnités journalières, si le rapport de ce dernier conclue à l’absence de justification de l’arrêt de travail. La Ligue contre le cancer alerte également sur l’effet rétroactif qui pourrait aboutir à une obligation de remboursement des indemnités perçues dès le début de l’arrêt de travail, si le médecin estime qu’il n’a jamais été justifié. Il n’est pas tolérable que des médecins contrôleurs privés, se voient attribuer une telle compétence jusqu’ici réservée au médecin conseil de la Sécurité sociale et puissent demander la suspension de prestations qui relèvent de l’Assurance Maladie.
L’article 27, au-delà d’ouvrir les effets de ce contrôle, ne prévoit dans sa rédaction actuelle, qu’un recours de l’usager sans effet suspensif : ce dernier ne touche donc plus rien dans l’attente du règlement de son recours… Et autant dire qu’une personne atteinte de cancer, en grande fragilité, n’ira que rarement au bout d’une telle démarche. Sans maintien de salaire et sans indemnité journalière, par la décision d’un seul médecin, l’article 27 présente un risque de précarisation et de décrochage de l’emploi des personnes atteintes de cancer. La Ligue contre le cancer craint également que le lien de confiance employeur/salarié n’en soit encore que davantage entamé. C’est d’ores et déjà fréquemment le cas aujourd’hui, par peur d’un licenciement ou d’une mise au placard. Une situation attestée quotidiennement dans les témoignages recueillis par la Ligue : « Avec les traitements je n’ai plus la force de penser, toutes ces démarches sont un parcours du combattant ».
Selon des chiffres du Ministère de la santé, début 2023, plus de 700 000 patients en affection de longue durée (ALD) n’avaient plus de médecin traitant. Pour ces patients et tout particulièrement pour ceux qui vivent dans des déserts médicaux, le recours à la téléconsultation est devenu la seule solution pour échanger avec un professionnel de santé. L’article 29 qui va limiter à trois jours, les arrêts prescrits en téléconsultation, constituera pour ces populations une perte de chance extrêmement grave.
Les patients n’auront, dès lors, pas d’autre solution que de devoir rechercher un médecin qui acceptera de les recevoir. Ils seront, en outre, contraints de justifier le recours à ce tiers, via la fourniture de « justificatifs », dont la rédaction actuelle du texte ne précise pas ce qu’ils pourraient être. Un tel dispositif n’est tout simplement pas envisageable pour des personnes atteintes de cancer gravement affaiblies par les traitements. A l’heure où de plus en plus de Français connaissent des difficultés d’accès au soin, la Ligue contre le cancer estime que de telles disparités de prise en charge, n’ont pas leur place dans une politique de santé ambitieuse qui se doit d’assurer une égalité d’accès aux soins pour tous, partout.
Quant chaque année, 90 000 personnes dans l’Union Européenne décèdent d’un cancer lié à une exposition à l’amiante, qui constitue encore aujourd’hui, la première cause de cancers d’origine professionnelle, l’article 39 vient s’attaquer à la protection des victimes de faute inexcusable de la part de leur employeur n’ayant pas respecté son obligation de sécurité. Il prévoit l’allègement des coûts à la charge des organisations ne respectant pas les principes de prévention du Code du Travail. Cet article va ainsi entraîner la déresponsabilisation des employeurs pourtant auteurs d’une faute inexcusable à l’origine de ces pathologies. De nombreux experts s’accordent pour conclure que cette mutualisation des coûts entrainera inévitablement la diminution des indemnités perçues. L’article prévoit aussi de restreindre drastiquement la durée d’indemnisation des victimes. Alors que celles-ci bénéficiaient depuis peu d’une reconnaissance des préjudices physiques et moraux jusqu’à la fin de leur vie, la nouvelle mouture du texte entend limiter strictement le versement des indemnités pour souffrances physiques et morales, depuis la date de déclaration de la maladie jusqu’à la consolidation de l’état de santé, comme si les séquelles prenaient fin un jour.
La Ligue contre le cancer alerte quant aux conséquences potentiellement dramatiques pour les salariés de cette déresponsabilisation des employeurs dès lors tentés de diminuer leurs efforts en termes de prévention, ce qui aurait immanquablement pour conséquence une augmentation des maladies professionnelles.
Enfin, la Ligue contre le cancer pointe la contradiction entre la rédaction de ce texte et les déclarations du Gouvernement dans l’exposé des motifs du PLFSS, lequel affirme avoir pris en compte les récents arrêts de la Cour de cassation. En effet, invariablement depuis 2010, cette même juridiction propose une indemnisation intégrale et non forfaitaire des victimes. « Que le droit s’éloigne trop de la réalité et il perd l’une des conditions essentielles de sa légitimité : celle d’être perçu par les justiciables comme acceptable » – avocat général, Maître Louis Joinet 1990.