« Le communisme n’est pour nous ni un état qui doit être créé, ni un idéal sur lequel la réalité devra se régler. Nous appelons communisme le mouvement réel qui abolit l’état actuel. Les conditions de ce mouvement résultent des prémisses actuellement existantes » a écrit Marx dans L’idéologie allemande. La citation a nourri bon nombre de travaux ces dernières décennies et alimenté la doctrine communiste jusque dans les congrès du PCF, où désormais la visée communiste référence à l’idée de mouvement perpétuel a supplanté ou au moins éloigné celle au communisme comme but ou société à atteindre. Ce choix présente l’avantage de d’affranchir l’engagement communiste des expériences étatiques du XXe siècle, en revenant à la source de la lutte pour l’émancipation. Elle peut avoir le défaut de cantonner le communisme à un combat moral quand son actualité politique du coup est différée a plus tard.
Je me permets cette entrée en matière car la qualité principale du livre de Michel Limousin « Les vendanges tardives du communisme » est justement d’être un ouvrage qui n’esquive aucuns sujets – même ceux qui pourraient s’avérer intellectuellement comme politiquement inconfortables.
L’essai sait éviter les raccourcis idéologiques et posent les bonnes questions. A commencer par la première d’entre elles : « Après l’échec des expériences du communisme du siècle dernier s’agit-il de renoncer au communisme lui même ? », un renoncement d’ailleurs qui s’apparenterait moins à un découragement ou une capitulation politique qu’au fait que cette voie historique là serait désormais sans issue.
En bon médecin, l’auteur s’attaque d’abord à la chaîne des causalités et dresse un état exhaustif des débats sur le communisme. Au plan historique comme philosophique et politique. Il remonte au tout départ, en nous offrant une lecture du congrès de Tours aussi instructive que passionnante. A la suite de quoi il analyse en détails les évolutions de la société dans les années 20. Le texte est jonché de citations pour appuyer la pertinence du développement. Le propos est pédagogique : il sait restituer l’état réel des débats, prendre le pouls des mouvements qui traversent le monde d’entre deux guerres et poser le diagnostic d’une société qui est en train de basculer..
Le récit se poursuit et se déploie sur l’analyse critique des expériences inspirées par l’idéologie communiste. Le chapitre 4, s’intitule « Le bilan de ces premières expériences communistes ? » où le point d’interrogation fait loi puis le suivant, à l’aune des travaux qui ont pu nourrir le terreau du communisme s’attelle à ce qu’il s’agit de retenir de ses expériences. Où l’on côtoie St Augustin, Kant, Hegel, Wittgenstein et bien d’autres…
A partir de là Michel Limousin va pouvoir acter les bases d’« une refondation pour une nouvelle philosophie communiste » Dans le chapitre 6 qui tient lieu de trait d’union entre la première et la deuxième partie du livre, il pose les mots et les références qui vont nous permettre d’accéder aux bases de cette théorie.
Le reste du récit dès lors apparaît plus facile d’accès car il nous place en vis à vis avec notre époque. L’auteur y ouvre les pistes pour une théorie de l’émancipation et avance la perspective d’une nouvelle civilisation.
« L’ensemble des aliénations ne pouvant être traitées dans les cadres actuels du capitalisme mondialisé », il nous propose une alternative politique et de civilisation qui re-hiérarchise les priorités sociales. Des sujets d’actualité sont abordés qui divisent l’opinion publique jusque dans les rangs militants. Pour ne citer que la question des femmes et de la procréation. Mais la démonstration est faite et renforcée par la crise du COVID 19 de l’urgence de répondre positivement aux exigences de rupture de paradigme qui affleurent au devant de la scène.
Avec « les vendanges tardives du communisme », Michel Limousin signe un essai politique, documenté et abouti. Il ne s’agit pas d’un livre « facile ». C’est un texte exigeant qui appelle du lecteur pour s’approprier la totalité de l’analyse, la même exigence intellectuelle que celle que son auteur a déployé pour construire l’essai. Mais le récit procède d’une cohérence et d’un esprit de suite qui nous permettent de rapidement s’y immerger. La démonstration est rigoureuse et dialectique. Je l’ai déjà écrit mais je tiens à le répéter : sa force est de ne prendre aucun raccourci sur aucun sujet…
La pandémie a rendu difficile la tenue de vrais débats et forum à l’occasion du centenaire du PCF. C’est dommage car regarder devant soi pour ne pas avancer à l’aveugle demande de savoir tirer tous les enseignements du passé. Michel Limousin s’y emploie avec précision et justesse.